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Laissez-nous faire la guerre en paix !

Vendredi, 17 février 2023

Dans son discours annuel à l’Assemblée générale sur les priorités d’action pour la nouvelle année, le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, s’est appuyé sur un indicateur développé par un groupe de scientifiques, dont Albert Einstein en 1947, pour mesurer à quel point nous approchons de la fin du monde : l’horloge de l’Apocalypse.

Cet indicateur est mis à jour périodiquement par un groupe d’experts et de scientifiques, comprenant au fil des ans, 40 lauréats du prix Nobel dans les différentes disciplines de la science. 

Selon la dernière mise à jour de cette horloge symbolique, il ne reste que 90 secondes avant minuit (la fin du monde), alors qu’en 1991, avec la fin de la Guerre froide entre l’Union soviétique et les Etats-Unis et la signature du Traité sur la réduction des armes stratégiques et de l’arsenal nucléaire des deux pays, les aiguilles de l’horloge indiquaient 17 minutes, et lors de la pandémie du Covid-19 en 2021, 100 secondes.

Dans un monde qui souffre de crises récemment décrites comme multiples, persistantes et complexes, la liste présentée par le secrétaire général comprend les guerres, la dégradation du climat, les répercussions des pandémies, l’augmentation de l’extrême pauvreté et les fortes disparités de revenus entre les Etats et à l’intérieur des Etats, ainsi que les conflits géopolitiques qui sapent les efforts de coopération internationale et la confiance entre les pays. Alors que le monde dispose de solutions techniques efficaces à ces crises récurrentes, ainsi que de ressources financières, technologiques et techniques pour les résoudre, il est ligoté par le manque de volonté et par des préjugés qui contribuent à la destruction du monde et à la misère des êtres humains. Le secrétaire général a déterminé 7 priorités qui représentent des droits de l’homme inaliénables pour sortir le monde de l’obscurité de sa situation misérable et empêcher les aiguilles de l’horloge de se rapprocher de sa fin.

La première serait d’instaurer la paix en Ukraine, en Palestine, en Afghanistan, au Myanmar, en Haïti et dans d’autres pays souffrant de conflits et de crises humanitaires dont 2 milliards de personnes sont touchées. La deuxième consisterait à activer les droits sociaux et économiques, ainsi que le droit au développement en combattant l’augmentation de l’extrême pauvreté à un moment où 1 % de la population mondiale jouit de 50 % des nouvelles richesses générées au cours de la dernière décennie, en faisant face aux répercussions de l’endettement international élevé et des coûts d’emprunt élevés encourus par les pays en développement. Le fait qui exige une réforme urgente du système économique international biaisé et défectueux et un examen des règles de l’architecture financière mondiale, y compris les institutions financières internationales. Sans ces actions globales et urgentes, il sera impossible d’atteindre les 17 Objectifs De Développement (ODD) lancés en 2015. La troisième priorité est d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le changement climatique et les engagements des sommets ultérieurs, y compris celui de Charm Al-Cheikh, qui a réussi à parvenir à un accord sur les pertes et dommages causés par le changement climatique. La quatrième priorité porte sur le respect de la diversité et des différences culturelles entre les différentes sociétés. La violation flagrante de ce droit a généré des tensions, alimenté des conflits et le terrorisme faisant d’innombrables victimes parmi les différentes minorités, les migrants et les réfugiés, augmentant les coûts de la sécurité, entravant le règlement des différends entre pays et réduisant les opportunités de progrès et de développement. La cinquième priorité met l’accent sur les droits de la femme et la réalisation du cinquième ODD de l’égalité des sexes. La réalisation de cet objectif a marqué un recul évident dans de nombreux pays en développement. Plus les chocs sont importants, plus le ralentissement économique est grand, plus les femmes et les filles sont les victimes les plus susceptibles d’être privées d’éducation, de soins de santé, d’emploi et de rémunération équitable. Le secrétaire général a souligné un chiffre alarmant selon lequel, au rythme actuel, il faudrait 286 ans aux femmes pour atteindre le même statut juridique que les hommes. La sixième priorité porte sur les droits politiques et civils et la liberté d’expression. La répression a augmenté et la pandémie a servi de couverture aux violations des droits politiques et civils, notamment une hausse de 50 % du nombre de journalistes et d’hommes de médias tués.

Enfin, la septième priorité consiste à protéger les droits des générations futures. La détérioration enregistrée dans les six domaines et droits précités nuit pratiquement aux chances des générations futures d’avoir une vie meilleure. Dans de nombreuses sociétés, les jeunes sont conscients qu’ils sont moins susceptibles de jouir d’un niveau de vie équivalent à celui de leurs parents. Le fait qui frustre également la génération des parents qui se sentent incapables d’assurer une vie décente à leurs enfants. Ce sujet représente d’ailleurs l’objet du Sommet du futur prévu l’année prochaine, qui fixera des priorités au sujet de la nature, les exigences de l’ère numérique, l’interdiction des armes de destruction massive et la réforme des systèmes de gouvernance. Le sommet s’appuiera sur les résultats des trois sommets qui se tiendront en septembre de cette année sur le développement durable, le changement climatique et la finance.

Toutefois, pour que ces efforts profitent à la population mondiale, ils doivent s’inscrire dans un cadre de coopération internationale qui n’est pas compatible avec le climat actuel de conflits. Dans le dialogue avec les parties impliquées dans la guerre en Ukraine, j’ai été frappé par le fait que chaque partie a commencé à s’exonérer des effets négatifs de la guerre sur la pauvreté, l’endettement et les prix élevés dans les pays en développement, et a rapidement déclaré que les prix des céréales et des engrais qu’elle exporte avaient baissé et que leurs quantités ont retrouvé leurs niveaux d’avant-guerre. C’est comme s’ils disaient : « Ne vous préoccupez pas des problèmes des pays et de leurs fardeaux économiques, sociaux et politiques. Laissez-nous tranquilles. Laissez-nous faire la guerre en paix ».

S’il y a vraiment un désir de guerre, ce serait contre l’extrême pauvreté qui s’est étendue, le changement climatique qui menace la vie et les moyens de subsistance des gens, les maladies infectieuses, les dettes et les prix exorbitants qui rongent les moyens de subsistance des démunis et de la classe moyenne, la privation des moyens d’éducation, de travail et de vie décents. Ce sont ces guerres légitimes qui méritent cet appel : « Laissez-nous faire la guerre en paix ».

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