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PERSPECTIVES 2023 : La métamorphose de l’économie mondiale

Mercredi, 21 décembre 2022

La guerre Russie-Ukraine, la pandémie de Covid-19 et la concurrence stratégique croissante entre les Etats-Unis et la Chine sont trois facteurs majeurs en passe de modifier durablement l’économie mondiale, en premier lieu son trait phare, la globalisation. A tel point que des courants de pensée divers estiment que le monde se dirige vers une déglobalisation. La réalité est cependant plus complexe. Certes, les flux économiques mondiaux évoluent et se remodèlent en fonction des facteurs précités, mais la mondialisation est loin d’être en déclin. Simplement, ses règles de fonctionnement et sa forme changent.

La Russie, à cause de son invasion de l’Ukraine, a été largement coupée économiquement de l’Occident, qui se tourne vers d’autres sources d’approvisionnement. Les relations commerciales entre les Etats-Unis et la Chine se délitent en raison de leur compétition stratégique. En même temps, les pays occidentaux réorientent leurs chaînes d’approvisionnement vers des pays amicaux et plus proches, soit pour des raisons de sécurité nationale, soit pour éviter de futures perturbations telles que celles causées par la pandémie de Covid-19. Les Etats-Unis, par exemple, tentent de se sevrer de la dépendance excessive à l’égard de fournisseurs éloignés, en particulier la Chine, supposée hostile, et de les remplacer par d’autres plus proches géographiquement et moins menaçants, comme le Mexique. Plutôt que de rechercher les sources les moins chères, les plus faciles, davantage d’importance sera accordée aux sources les plus sûres et les plus fiables. Cela s’est traduit par un renforcement des relations commerciales entre les Etats-Unis et leurs alliés traditionnels en Europe.

Rien ne prouve que le monde se dirige vers plus de protectionnisme et de fermeture ou que la mondialisation soit en voie de disparaître. Le volume du commerce mondial est plus élevé que jamais et les exportations mondiales en proportion de la production sont restées stables ces dernières années, bien qu’elles aient fortement chuté au cours de l’année pandémique de 2020. La part du commerce des marchandises dans le PIB mondial était en baisse en 2020 par rapport à son sommet de 2008, l’année de la crise financière mondiale, mais elle reste toujours élevée, bien au-dessus des niveaux observés pendant l’époque dite d’hyperglobalisation des années 1990.

Le commerce mondial a également atteint un niveau record l’année dernière, tout comme le commerce des intrants industriels. En outre, le commerce mondial des services a continué de croître avant la pandémie et se développe à nouveau à mesure que les pays rouvrent, à tel point que le monde témoigne aujourd’hui d’une véritable explosion du commerce numérique, notamment les produits des technologies de l’information et de la communication — smartphones, logiciels— et des services traditionnels rendus possibles par ces mêmes technologies: formations en ligne, réunions professionnelles, consultations médicales, conseils juridiques, etc. Le trafic mondial de données numériques devrait plus que tripler entre 2020 et 2026 et la bande passante internationale — indicateur des flux de données transfrontaliers— a connu une augmentation de 30% entre 2020 et 2021. D’autres aspects de la globalisation, tels que les flux de capitaux et les migrations internationales, restent également à des niveaux historiquement élevés.

La Chine, principale force motrice de la relance économique mondiale, est plus que jamais ancrée dans l’économie mondiale et la globalisation malgré les efforts des Etats-Unis pour dissocier leur économie de celle de la Chine. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, la Chine était le premier bénéficiaire d’investissements directs étrangers au premier semestre 2021, suivie des Etats-Unis. Ceux-ci restent le marché d’exportation le plus important de la Chine. Cependant, les sanctions américaines, les droits de douane et les restrictions à l’exportation encouragent les entreprises chinoises à diversifier leurs destinations d’exportation et à élargir leur accès aux marchés non américains, en particulier dans l’Asie-Pacifique. La création en novembre 2020 du Partenariat économique régional global, l’accord de libre-échange le plus important au monde entre 15 pays de cette vaste région, accélérera encore la tendance à la régionalisation de la Chine dans les années à venir.

Le conflit ukrainien, la guerre commerciale sino-américaine et la pandémie du coronavirus ont ébranlé les modes autrefois bien ancrés des flux économiques et commerciaux entre les grandes puissances économiques du monde et amené les multinationales à repenser leurs chaînes d’approvisionnement. Mais il s’agit bien plus d’une remondialisation que d’une démondialisation. Il est erroné de prédire la fin d’une économie mondiale soudée par le commerce transfrontalier. Les contours changeants du système commercial mondial marquent une sorte de reglobalisation dans laquelle les puissances économiques et les multinationales repensent leurs réseaux commerciaux pour s’adapter aux nouveaux défis géopolitiques et économiques. Les entreprises américaines, par exemple, ont déplacé certaines opérations hors de Chine principalement vers l’Asie du Sud-Est et le Mexique, mais pas sur le sol américain. De plus, la baisse des exportations russes et ukrainiennes a poussé les acheteurs internationaux à se tourner principalement non pas vers la production locale, inexistante ou insuffisante, mais vers d’autres fournisseurs comme le Canada, l’Afrique du Sud, l’Amérique latine, les Etats-Unis et l’Inde.

Le commerce mondial reste florissant. Il est juste devenu différent de ce qu’il était. Et il sera probablement encore plus différent dans les prochaines années. Le libre-échange n’est certainement pas indolore, mais ses perturbations ne l’emportent pas sur ses avantages économiques. L’autosuffisance est sûrement souhaitable, mais difficile à atteindre dans bien des domaines. Les alternatives au libre-échange, tels le protectionnisme et la fermeture des frontières, ne sont plus des solutions dans un monde en progrès technique rapide, métamorphosé par la révolution des technologies de l’information et de la communication.

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