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Les pays du Golfe et le conflit ukrainien

Mercredi, 20 avril 2022

 Comme le reste du monde arabe, les pays du Golfe ont réagi à la guerre Russie-Ukraine en fonction de leurs intérêts. Leurs responsables se sont contentés d’exprimer leur soutien à une solution diplomatique. Cela reflète leur refus de se laisser entraîner dans le conflit au risque de subir, de la part des parties qui y sont impliquées, des pressions pour prendre parti. Mais cette apparente unanimité cache mal des sensibilités différentes. Ainsi, le Qatar et le Koweït ont adopté des positions qui s’alignent subtilement sur l’Ukraine, alors que l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis (EAU) ont prudemment pris des positions plus proches de la Russie. Enfin, Bahreïn et Oman ont maintenu un profil bas.

Les positions de ces deux derniers s’accommodent parfaitement à leurs politiques extérieures traditionnellement prudentes et enclines à la neutralité. La position du Koweït semble, par contre, s’expliquer par sa propre récente histoire, marquée par l’invasion iraqienne en août 1990. C’est ainsi qu’il est allé le plus loin, parmi les autres monarchies du Golfe, dans son rejet catégorique de l’usage et de la menace d’usage de la force dans le règlement des différends internationaux. Quant au Qatar, il a subi de juin 2017 à janvier 2021 le blocus imposé par ses voisins du Golfe, l’Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn, ainsi que l’Egypte, bien que les sanctions ne soient pas transformées en action militaire comme certains le craignaient. A l’époque, les responsables qataris ont été choqués par la réaction initiale du président Donald Trump de soutenir l’action visant à isoler Doha. Ils y ont répliqué en intensifiant leurs efforts pour renforcer les relations avec les Etats- Unis. Cette action, qui s’est poursuivie sous l’Administration de Joe Biden, a conduit à la désignation du Qatar, le 31 janvier, comme allié majeur des Etats-Unis non-Otan. Les positions de l’Arabie saoudite et des EAU s’expliquent en revanche par les problèmes non résolus avec l’Administration Biden, dont leur proximité avec l’ancien président Trump, l’arrêt du soutien des Etats-Unis à la guerre au Yémen et leur désengagement vis-à-vis de la sécurité de Riyad et d’Abu-Dhabi. Cela s’est traduit par une érosion du capital politique de Washington et une détérioration de ses rapports avec les deux monarchies pétrolières. En conséquence, celles-ci ont résisté à la pression américaine pour augmenter leurs productions de pétrole — afin de faire baisser les prix — et se sont tenues à l’accord de l’OPEP +, conclu avec la Russie en juillet 2021, prévoyant d’augmenter progressivement la production aux niveaux d’avant la pandémie.

Mais ce refus saoudo-émirati a d’autres raisons. Il est certain que la hausse des prix du pétrole représente un intérêt majeur pour Riyad et Abu-Dhabi. Elle reconstituera leurs trésoreries et leur permettra, malgré l’augmentation des coûts des subventions pour couvrir la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, de réaliser l’équilibre budgétaire tant recherché. Toute hausse soutenue des prix du pétrole, et donc des recettes publiques, sera la bienvenue pour les deux pays, car elle prolongera la durée de vie de leurs économies basées sur les hydrocarbures, avant que la trajectoire à plus long terme associée à la transition énergétique mondiale ne commence à éroder leurs revenus. Elle est également de nature à persuader les pays occidentaux que la transition loin du pétrole et du gaz naturel n’est pas pour demain et à leur montrer à quel point les pays consommateurs dépendent encore des hydrocarbures fossiles.

Les positions de l’Arabie saoudite et des EAU sur le conflit ukrainien s’expliquent également par leurs importants liens d’investissement en Russie. Le Public Investment Fund (PIF) saoudien est le plus grand investisseur en Russie, parmi les Fonds souverains étrangers, avec 10 milliards de dollars. La société d’investissement d’Abu-Dhabi Mubadala dispose, elle, d’un portefeuille de 6 milliards de dollars, alors que le Fonds souverain émirati QIA est devenu le deuxième actionnaire — après l’Etat russe — du géant énergétique Rosneft, avec 19 %, suite au retrait de British Petroleum (BP) de sa participation. La décision de ces fonds de ne pas suivre BP et d’autres sociétés indique leurs intérêts communs avec la Russie, surtout sur les marchés énergétiques.

Le refus de Riyad et d’Abu-Dhabi de se ranger du côté de Washington ne signifie cependant pas une volonté de s’aligner sur la Russie, qui n’est pas en mesure de remplacer les Etats-Unis en tant que garant de la sécurité régionale ou partenaire de défense stratégique. Il s’agit plutôt de prendre des positions protégeant leurs intérêts nationaux, principalement énergétiques, d’adopter une approche plus équilibrée tenant compte des données du nouvel ordre mondial multipolaire et d’éviter ainsi les coûts d’un alignement stratégique prononcé sur l’une ou l’autre des parties en conflit. Cette posture a été rendue possible par le retrait relatif des Etats-Unis de leur rôle traditionnel de garant de la sécurité des pays du Golfe, ce qui signifie pour ces derniers que Washington a moins à offrir, mais aussi moins à menacer.

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