Notre mentalité est-elle aujourd’hui plus arriérée qu’elle ne l’était au siècle dernier ? A l’heure où le pays vit un véritable développement, après des années de stagnation, les mentalités de certains connaissent une régression considérable, dans un sens contraire au développement, au point même de l’entraver.

Le développement est indivisible, une société ne peut avancer ni politiquement ni économiquement et en même temps régresser au niveau de la pensée et de la culture. Dans ce cas, le développement ne durera pas, car il n’est pas basé sur des fondements solides. Ce n’est pas par hasard que la direction politique qui a lancé le projet de développement a également appelé au renouvellement du discours religieux, afin que les principes corrects de la religion naviguent de pair avec les données de l’époque actuelle pour débarrasser la religion de tout ce qui lui a été faussement attribué pendant les années de sous-développement, puis donner libre cours à la créativité intellectuelle que l’Egypte a toujours connue. Ainsi, le processus de développement conduit à la renaissance à laquelle nous aspirons.
Comment un député peut-il qualifier d’« obscène » une pièce écrite par l’un des plus grands penseurs du XXe siècle et réclamer que sa mise en scène soit arrêtée à cause du titre que lui a donné Jean-Paul Sartre et que le monde entier a acceptée depuis sa parution en 1946, La Putain respectueuse ? Sommes-nous devenus superficiels au point de juger ainsi les choses ? Si, dans notre société, la « jonglerie » a remplacé la recherche scientifique et l’étude, alors j’imagine que la tâche du député devrait être de rationaliser l’opinion publique. Est-il raisonnable que ce même député adopte une position qui assure qu’il n’a même pas pris la peine de lire la pièce qu’il qualifie d’obscène, pour comprendre son contenu intellectuel et moral avant d’exiger sa suspension ? Ne s’est-il pas demandé comment cette pièce a-t-elle été traduite en arabe au milieu du siècle dernier et mise en scène au Théâtre national du Caire sans que personne ne la décrive comme il l’a fait ? Ce respectueux député défendra-t-il les intérêts de sa circonscription de cette manière, sans recherche ni étude !? Il a même fait une demande d’interrogation parlementaire au premier ministre et à la ministre de la Culture, afin de s’exprimer sur la pièce, sous prétexte que ni la pièce ni son traitement dramatique ne sont adéquats à la société égyptienne.
Je ne sais pas quelles sont les limites de la connaissance du respectueux député de l’art théâtral et qui l’a conduit à dire que la pièce que le public égyptien a acceptée en 1958 sans aucun problème est de l’art pornographique. A moins qu’il considère que tout l’art soit obscène et doive être interdit, et que les statues pharaoniques doivent être recouvertes de cire pour effacer leurs détails, comme certains l’ont déjà demandé.
Je pensais que depuis la chute du pouvoir de la confrérie, nous avions dépassé la phase de décrire des oeuvres d’art d’obscènes ou de portant atteinte à la pudeur. C’est au cours de cette phase que les oeuvres du célèbre écrivain Naguib Mahfouz ont été décrites de « littérature de drogues et de maisons closes ». En plus de dire que le ballet, l’un des arts les plus raffinés, incite au vice et à la débauche. Un de leurs cheikhs avait une fois dit à la télévision à l’une de nos plus célèbres actrices : « Tu as couché avec combien d’hommes ? ». Tout simplement, sans vergogne et sans tenir compte de la pudeur des téléspectateurs. Cette mentalité est-elle encore ancrée chez certains députés au point de décrire une oeuvre d’art au contenu intellectuel raffiné comme les Frères musulmans le faisaient ? Et si ce député n’a même pas lu la pièce qu’il demande d’interdire et dont il ne connaît que le nom, alors à quoi s’oppose-t-il exactement ?!
Les événements de la pièce se déroulent aux Etats-Unis autour d’une prostituée qui refuse de faire un faux témoignage contre un citoyen noir en faveur du vrai coupable à la peau blanche. Cette approche n’est-elle pas du goût du député !
Nous avons aussi été surpris par un autre député membre du parti salafiste Al-Nour, qui n’a plus de place dans la société de développement et de progrès dans laquelle nous vivons, dire que le nom de la pièce est provocateur et immoral et qu’il ne peut même pas le prononcer. Est-ce que ce député salafiste sait que le même mot qu’il refuse dans la pièce de Sartre est mentionné dans un hadith du prophète Mohamad avec la vertu. Alors, le député salafiste voit-il, conformément à sa logique tordue, que ce hadith prophétique doit aussi être interdit ? L’ouléma Dr Saad Al-Din Al-Hilali a attiré mon attention sur ce hadith dont il m’a envoyé le texte et selon lequel le prophète Mohamad a dit que Dieu avait pardonné à une prostituée qui est passée à côté d’un chien mourant de soif gisant près d’un puits, elle a alors attaché son sabot à son voile pour lui retirer de l’eau. Et c’est par cet acte que Dieu lui a pardonné. Il n’y a plus rien à dire.
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