L’Arabie Saoudite et l’Iran doivent tenir prochainement à Bagdad un quatrième cycle de négociations dans le but de rapprocher leurs positions sur les questions qui les opposent et de réduire ainsi les tensions qui caractérisent leurs relations. L’annonce de ce nouveau round a été faite par le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, quelques jours après sa rencontre avec son homologue saoudien, Fayçal bin Farhan Al Saoud, lors d’une conférence régionale organisée par l’Iraq le 28 août.
Des responsables iraniens et saoudiens avaient tenu des discussions discrètes à Bagdad sous les auspices du gouvernement du premier ministre, Moustafa Al-Kazimi, depuis avril dernier. L’initiative d’organiser ces pourparlers a été initialement lancée par le précédent gouvernement iraqien de Adel Abdel-Mahdi, mais ils ne se sont concrétisés qu’en 2021 pour des raisons touchant à l’Arabie saoudite. Celle-ci était en premier lieu contrainte de réévaluer ses politiques à l’égard de l’Iran après le départ du président américain Donald Trump, farouchement anti-Téhéran. Avec l’élection du président Joe Biden et l’intention affichée par la nouvelle Administration américaine de restaurer l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, Riyad craignait les conséquences d’une telle éventualité : un assouplissement des sanctions économiques contre Téhéran qui lui permettrait de consolider sa politique interventionniste dans le monde arabe, aussi bien au Yémen, en Iraq, en Syrie qu’au Liban.
L’Arabie saoudite redoutait également qu’un possible accord entre les grandes puissances et l’Iran ne laisse entières les questions du programme de missiles balistiques de ce dernier, ainsi que sa politique déstabilisatrice dans le monde arabe. Pour parer à cette éventualité, Riyad agit sur plusieurs fronts en faisant pression sur les grandes puissances occidentales qui négocient avec l’Iran pour que l’accord nucléaire comprenne des engagements iraniens clairs à cet égard. Mais les souhaits de Riyad ne sont pas accueillis avec beaucoup d’enthousiasme aux Etats-Unis, qui veulent avant tout accélérer les pourparlers afin de mettre le programme nucléaire iranien sous contrôle international strict. En outre, il est fort improbable que Téhéran accède aux demandes saoudiennes, soutenues par les puissances occidentales. D’une part, il a toujours refusé, y compris à l’époque du précédent président modéré Hassan Rohani, tout lien entre l’accord nucléaire et son programme de missiles à longue portée. Il considère, d’autre part, les milices armées qu’il soutient au Yémen, en Iraq et au Liban comme des partenaires essentiels à son influence et son statut dans la région.
De son côté, l’Iran souhaite vivement la reprise des relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite, ce qui l’aiderait à réduire son isolement diplomatique et jetterait les bases de son intégration régionale aux niveaux politique et économique. Une telle éventualité est de nature à atténuer les effets de la crise économique en Iran et à renforcer la position du gouvernement face à son opinion publique. Le régime cherche à montrer à sa population qu’il n’est pas complètement isolé et que les difficultés économiques que cette dernière endure sont en grande partie le résultat de l’hostilité américaine et non de ses interventions coûteuses dans le monde arabe, qui sont devenues la cible de protestations populaires.
Un autre facteur qui milite en faveur du dialogue entre Riyad et Téhéran est la situation en Afghanistan. L’Arabie saoudite, qui s’est longtemps appuyée sur les Etats-Unis pour sa sécurité, s’inquiète de la fin chaotique de la guerre de deux décennies de Washington en Afghanistan. Aussi bien l’Arabie saoudite que l’Iran considèrent le retour des Talibans au pouvoir comme une menace, qui risque de redynamiser les mouvements islamistes radicaux en Asie centrale et au Moyen-Orient, qui étaient en déclin ces dernières années. Alors que l’Iran, pays à majorité chiite, condamne l’idéologie extrémiste des Talibans, le prince héritier saoudien, Mohamad bin Salman, qui fait avancer les efforts de modernisation de son pays, craint qu’une société en pleine mutation ne jette des radicaux mécontents dans les bras de groupes extrémistes, comme les Talibans.
La Conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat a permis de relancer les négociations saoudo-iraniennes.
Malgré l’existence de fortes incitations pour que les deux rivaux, dont les rapports diplomatiques sont interrompus depuis 2016, se rencontrent et discutent des moyens de réduire leurs divergences, une réconciliation mettant fin aux litiges qui les opposent est à exclure, tellement sont opposés leurs intérêts issus d’orientations idéologiques irréconciliables et d’ambitions régionales antinomiques. Les deux pays pourraient cependant ambitionner à une désescalade des tensions, voire au fait de parvenir à des compromis – nécessitant des concessions réciproques – sur des questions déterminées. Ceci serait par exemple possible dans le conflit au Yémen, duquel l’Arabie saoudite cherche une sortie honorable. Un compromis mettant fin à la guerre civile pourrait être envisageable à travers un accord entre le gouvernement yéménite internationalement reconnu et le groupe rebelle des Houthis qui lui assurerait une participation au pouvoir. Un autre compromis serait également possible dans le conflit syrien en fonction duquel le régime de Damas, un allié de Téhéran, soit réintégré dans le concert arabe.
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