Les déclarations américaines concernant la situation politique en Egypte depuis le 30 juin se caractérisent par la confusion. L’Administration Obama a hésité à soutenir cet événement et à décrire ce qui s’est passé : révolution populaire ou coup d’Etat militaire ? Car opter pour le coup d’Etat signifiait l’obligation d’adopter des procédures au niveau du Congrès et de l’Administration, en particulier la révision ou le gel des aides militaires dans le cas d’un changement qui semblerait inconstitutionnel ou provoqué par la force militaire. Et ce, conformément à la loi américaine de 1961 qui organise les aides étrangères.
Washington s’est alors abstenu de prononcer le terme « coup d’Etat militaire » pour éviter de remettre en question ses relations stratégiques avec l’Egypte. Or, cela n’a pas empêché une large polémique qui s’est reflétée avec le grand nombre de visites effectuées par des responsables américains dont William Burns, vice-secrétaire d’Etat américain, et les républicains John McCain et Lindsey Graham. Il est vrai que le président américain a exprimé sa compréhension envers la feuille de route annoncée par l’Egypte pour la phase transitoire, alors que le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a annoncé que l’intervention de l’armée avait pour objectif de réinstaurer la voie démocratique. Cependant, la position américaine semble confuse ou instable, au point que l’Administration américaine a annoncé que les 2 membres du Congrès s’étant rendu en Egypte représentent leurs seules personnes et non l’Administration américaine. C’est comme si elle était au courant du message qu’ils venaient adresser à l’Egypte et voulait adopter une posture préventive pour ne pas assumer les répercussions du message, sans pour autant s’opposer à ce qu’il soit transmis à l’Egypte. Les craintes de l’Administration américaine étaient justifiées puisqu’effectivement les déclarations de John Makin ont qualifié ce qui s’est passé en Egypte de « coup d’Etat militaire ».
Cette position semble être la plus expressive de la réalité de la position américaine, malgré les tentatives de cacher la vérité, et s’est concrétisée dans les initiatives proposées par les visiteurs américains qui semblaient vouloir protéger le président déchu et ses alliés, et qui ont été refusées par les gouvernants égyptiens. Pourquoi Washington soutient-il les Frères musulmans bien qu’ils ne constituent pas une force démocratique ? La réponse expose que la présence des Frères musulmans au pouvoir a dévoilé une coopération claire avec les Etats-Unis en particulier en ce qui concerne la continuité des accords internationaux, dont les accords de paix entre l’Egypte et Israël et l’intervention du pouvoir déchu pour convaincre le Hamas de respecter la trêve avec Israël. De plus, on entendait de plus en plus parler de la possibilité de parvenir à des ententes en ce qui concerne le Sinaï de façon à y installer une partie des Palestiniens de Gaza. Ainsi que des ententes sur des questions liées au Soudan et à la Syrie.
Mais il semble que la situation est allée au-delà de la coopération avec les Frères musulmans après leur accession au pouvoir pour devenir partie d’une stratégie complémentaire dont les caractéristiques avaient commencé à prendre forme dès les attentats du 11 septembre 2011 sous le nom de « stratégie d’affrontement du terrorisme ». L’existence d’Al-Qaëda et celle des organisations islamistes violentes ont justifié l’ingérence américaine en Afghanistan et en Iraq et aussi la coopération aux niveaux des services secrets de renseignements avec le Pakistan, et ensuite l’assassinat de Ben Laden, le leader d’Al-Qaëda. Tout ceci représente le côté militaire de cette stratégie qui avait aussi besoin d’une solution politique pour la soutenir et diminuer l’animosité des forces politiques islamiques contre les Etats-Unis.
Et il est certain que l’organisation des Frères musulmans en Egypte était la clé de la solution, surtout que sa relation avec les autres organisations islamistes lui permettait de les calmer. Ainsi donner à cette organisation la possibilité non seulement d’une participation politique dans le processus démocratique mais aussi de détention du pouvoir en Egypte semblait permettre la réalisation des objectifs de la nouvelle stratégie américaine ; tout en prenant en considération que l’intervention militaire américaine n’était plus acceptée au niveau régional comme international, et même au niveau des alliés des Etats-Unis.
Les guerres traditionnelles ne conviennent donc plus pour affronter le terrorisme. Le discours d’Obama au Caire en juin 2009 résume clairement la stratégie alors qu’il s’est présenté comme le conciliateur entre les civilisations et le fondateur d’une nouvelle époque avec le monde islamique basée sur « le respect mutuel ». C’est ainsi que les Etats-Unis ont commencé à redéfinir le Proche-Orient conformément à sa référence religieuse et confessionnelle. C’est ainsi de même que Washington a soutenu le pouvoir chiite de Nouri Al-Maliki en Iraq et le pouvoir sunnite des Frères musulmans en Egypte.
Or, il faut s’interroger : où se trouve la démocratie dans cette stratégie ? L’erreur stratégique de Washington est qu’il a résumé la démocratie aux seules urnes et c’est pourquoi il n’a pu adopter une position claire envers ce qui s’est passé en Egypte après les élections présidentielles : le régime despote a été réinstauré par les Frères musulmans en plus des tentatives d’instaurer un Etat religieux par l’intermédiaire d’une Constitution qui supprime les libertés, les droits de la femme et ceux des minorités. C’est pour cela que le 30 juin a provoqué la confusion de la stratégie américaine au Proche-Orient. L’erreur de Washington est qu’il n’a pris en compte dans sa stratégie qu’une seule partie, les islamistes, sans prévoir d’alternatives.
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