Depuis la chute des Frères musulmans en 2013, la politique étrangère de l’Egypte a pris de nouvelles directions loin de celles qui avaient prévalu durant la courte accession au pouvoir de la confrérie. Ce virage stratégique a été accentué depuis l’élection du président Abdel-Fattah Al-Sissi en juin 2014.
Au niveau régional, l’Egypte, qui luttait contre l’extrémisme religieux sur son sol, a agi contre l’islam politique et ses parrains. C’est ainsi qu’elle a rompu avec la Turquie en novembre 2013 et entretenu avec le Qatar des relations très tendues jusqu’à leur rupture en juin 2017. Et pour cause, puisque ces deux acteurs étaient les principaux mentors des Frères musulmans dans la région. Cependant, l’évolution de la conjoncture régionale en sa défaveur a poussé Ankara à tenter, depuis le début de 2021, une réconciliation avec Le Caire, au prix d’un abandon des Frères musulmans égyptiens. De même, depuis l’annonce d’une réconciliation entre l’Arabie saoudite et le Qatar en janvier dernier, une détente s’est installée entre Le Caire et Doha, qui cherchent, depuis, à aplanir leurs divergences.
Dans le prolongement de son combat contre les forces islamistes, partisanes d’un changement du statu quo régional, l’Egypte est devenue un défenseur-clé de la stabilité régionale dans le monde arabe, abandonnant l’agenda sectaire qui avait dominé sa politique sous les Frères musulmans. Cette dernière avait produit une froideur, presque un gel, dans les rapports entre Le Caire et les principaux pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Depuis 2013, l’Egypte a rétabli son alliance avec ces derniers, soutenant leur stabilité interne.
Dans la même veine, l’Egypte a agi contre les formations islamistes dans les pays arabes où elles risquaient d’accéder au pouvoir. C’était le cas en Libye voisine où Le Caire a apporté son soutien au dirigeant anti-islamiste Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne. Dans le même souci d’empêcher l’accession au pouvoir des islamistes en Syrie, il a oeuvré pour la fin de l’isolement du régime syrien et son retour dans le giron arabe. Sous l’ancien président frériste Mohamad Morsi, l’Egypte avait rompu ses relations diplomatiques avec Damas et oeuvré à la chute du président Bachar Al-Assad. Le renversement progressif de l’équilibre des forces en faveur de celui-ci, à la suite de l’intervention militaire de la Russie en septembre 2015, a rendu le choix égyptien d’une réintégration du régime de Damas dans la Ligue arabe plus attractif pour les acteurs arabes qui avaient agi pour la chute du président Assad. Ainsi, les Emirats arabes unis, puis l’Arabie saoudite, guidés par un calcul de realpolitik, ont renoué ces dernières années avec Damas et ne s’opposent plus à son retour dans le concert arabe.

Mai 2021, première visite d’un président égyptien à Djibouti.
Au niveau de l’Afrique, le danger posé par la construction du barrage éthiopien de la Renaissance sur le Nil bleu a incité l’Egypte à mener une politique active et multidimensionnelle vis-à-vis du continent, notamment envers les pays du bassin du Nil, en vue de gagner le soutien de ces derniers et renforcer de la sorte sa position face à Addis-Abeba. C’est ainsi que Le Caire a signé une série d’accords militaires et économiques avec l’Ouganda, le Kenya, le Burundi, le Rwanda et Djibouti ces derniers mois. En outre, Le Caire dispose déjà d’accords d’intégration substantiels avec le Soudan, où il a récemment mené des exercices militaires conjoints impliquant l’armée de l’air et des forces spéciales. L’Egypte espère que la construction d’un cercle d’alliés autour de l’Ethiopie serait rentable si une confrontation avec l’Ethiopie devenait envisageable.
Le renforcement des liens avec les pays africains s’inscrit dans un cadre plus large que celui des secteurs militaire et économique. Le 19 juin, le ministère des Affaires étrangères a annoncé la mise en place d’un projet de lutte contre le paludisme au Soudan du Sud, qui sera financé par l’Agence égyptienne de partenariat pour le développement. Le 17 juin, le ministère de la Santé a indiqué qu’il envisageait l’exportation vers le continent africain du vaccin russe anti-Covid-19, Spoutnik V. Le 11 juin, Le Caire a signé un protocole pour la construction d’un centre de chirurgie cardiaque dans la capitale rwandaise, Kigali. Le centre, le premier du genre en Afrique de l’Est, assurerait le traitement des maladies cardiovasculaires, en particulier chez les enfants, la formation du personnel médical et la recherche biomédicale. Le 27 mai dernier, lors de la première visite d’un président égyptien à Djibouti, Sissi a annoncé la construction d’un hôpital dans la capitale djiboutienne.
Ces actions, et bien d’autres, font partie d’un plan de prestation de services et de transfert de connaissances, de formation et d’expertise en vue de la promotion des relations avec les pays africains. Ce plan ne date pas d’hier. En mars 2019, lors de la présidence égyptienne de l’Union africaine, Sissi a lancé une initiative pour éliminer l’hépatite C chez un million d’Africains, ainsi que pour former le personnel médical à lutter contre cette maladie.
Sur le plan international, l’Egypte a cherché à rééquilibrer ses relations avec les grandes puissances après des décennies de politique étrangère traditionnellement pro-américaine. Sans remettre en cause ses rapports étroits avec Washington, avec lequel elle est liée par un réseau dense d’intérêts stratégiques, politiques et économiques. Le Caire s’est évertué à renforcer ses liens avec deux puissances mondiales montantes, la Chine et la Russie. L’origine de cette orientation se trouve dans la décision de l’Administration du président Barack Obama de suspendre les livraisons d’armes lourdes à l’Egypte en septembre 2013, à la suite de la dispersion des sit-in des partisans de Morsi le mois précédent. Aujourd’hui, la volonté du président Joe Biden de se désengager du Moyen-Orient renforce l’orientation égyptienne pour un rééquilibrage de ses rapports avec l’étranger. Cela répond également à une tendance profonde en fonction de laquelle le système international, qui témoigne du déclin relatif des Etats-Unis, se dirige vers un monde multipolaire dans lequel la Chine et la Russie occuperaient une place autrement plus importante.
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