Vendredi 18 juin se tiendra la présidentielle en Iran. Le chef de l’appareil judiciaire, Ebrahim Raïssi, 60 ans, devrait l’emporter. Proche du guide suprême Ali Khamenei et candidat préféré des conservateurs, il est soutenu par le puissant corps des Gardiens de la Révolution islamique qui domine le Conseil des Gardiens de la Constitution, institution chargée du choix des candidats à la présidentielle. Ce Conseil a pratiquement éliminé les sérieux candidats réformistes. Sur les sept candidats retenus, cinq sont conservateurs, partisans d’une ligne dure en politique étrangère.
Le ton et le style peuvent ainsi évoluer dans un sens plus intransigeant aussi bien en politique intérieure qu’extérieure. Cette nouvelle donne peut affecter la politique nucléaire de l’Iran, mais ne signifie pas forcément que sa stratégie globale changera, notamment à l’égard de l’accord sur son programme nucléaire, actuellement en discussion à Vienne avec les grandes puissances.
L’arrivée d’un nouveau président conservateur rendra probablement les négociations plus ardues, si un accord n’a pas été trouvé avant qu’il ne prenne ses fonctions en août prochain. Il sera plus difficile pour les délégations européennes et américaines de négocier avec une nouvelle équipe iranienne moins expérimentée exprimant les positions anti-américaines d’un président conservateur, en particulier si celui-ci choisit, selon toute vraisemblance, un partisan de la ligne dure comme ministre des Affaires étrangères, en remplacement du modéré Mohammad Djavad Zarif.
Il faut toutefois garder à l’esprit que la plupart des partisans de la ligne dure en Iran ne s’opposent pas au rétablissement de l’accord nucléaire. L’« Etat profond » souhaite également remettre l’accord nucléaire sur les rails pour atténuer les problèmes économiques du pays, qui se sont aggravés à la fois sous les sanctions américaines et la pandémie de Covid-19, qui a durement touché le pays, augmentant l’inflation à 50%. Raïssi, le probable prochain président, ne s’oppose pas non plus à un retour à l’accord nucléaire, même si ses positions sont plus dures que celles du président sortant Hassan Rohani.
Depuis le retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire en mai 2018, Raïssi s’est joint à d’autres responsables iraniens pour critiquer la politique conciliante de Rohani envers Washington. Il a notamment reflété les vues anti-américaines de Khamenei, affirmant qu’il ne fallait pas faire confiance aux Etats-Unis et que la réponse à la crise économique iranienne ne réside pas dans la levée des sanctions, mais dans l’adoption d’une « économie de résistance » visant à encourager l’autosuffisance et la production locale. Malgré ces prises de position destinées à l’opinion publique interne, Raïssi ne fait pas exception à l’entente commune des dirigeants iraniens selon laquelle un retour à l’accord nucléaire en échange de la levée des sanctions est nécessaire pour permettre la reprise économique. De plus, s’il remporte la présidentielle, il aura encore plus d’intérêt à améliorer la situation économique, qui a toujours été un facteur-clé du succès ou de l’échec de tout président iranien.
Khamenei lui-même a intérêt à faire bénéficier le prochain président conservateur du rétablissement de l’accord nucléaire tant pour la reprise économique que pour le renforcement de la confiance du public, au plus bas à cause de la détérioration de la situation économique. Ceci est d’autant plus vrai que Raïssi exprime des positions alignées sur les vues de Khamenei sur les questions intérieures et extérieures. En outre, Khamenei semble avoir un intérêt particulier à assurer le succès de Raïssi en tant que président, surtout si l’on en croit les informations faisant état que le guide suprême considère ce dernier comme un candidat de premier plan pour lui succéder.
Ceci dit, les chances de parvenir à un accord global plus contraignant et plus étendu dépassant le strict cadre du nucléaire sont considérablement minces avec la victoire attendue d’un président conservateur. Les Etats-Unis et les puissances européennes veulent renforcer les contraintes sur le programme nucléaire de l’Iran, mais aussi ajouter de nouvelles dispositions limitant son programme de missiles à longue portée et sa politique déstabilisatrice dans le monde arabe. Même un président modéré ne pourra pas consentir aux demandes occidentales étant donné la forte méfiance entre l’Iran et les Etats-Unis, qui s’est aggravée après le retrait du président Donald Trump de l’accord nucléaire et la réimposition de sévères sanctions économiques sur Téhéran. De plus, l’équilibre des forces à l’intérieur de l’Iran ne permet pas de tel changement, vu que les conservateurs, qui dominent les principales institutions politiques, ainsi que Khamenei s’opposent à l’extension de l’accord à des questions autres que celles du programme nucléaire.
C’est plutôt l’Administration américaine qui s’est déclarée disposée à assouplir sa position sur cette question. Le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, a indiqué le 8 juin devant la commission des relations extérieures du Sénat que la priorité de Washington était de rétablir l’accord sur le programme nucléaire de l’Iran, puis de l’utiliser dans un second temps comme « plateforme » à la fois pour examiner si l’accord lui-même peut être prolongé, et si nécessaire, renforcé, et également pour traiter « les préoccupations régionales ». Il faisait allusion aux inquiétudes de la majorité des monarchies du Golfe, notamment l’Arabie saoudite. Celle-ci estime que l’accord sur le nucléaire iranien était inadéquat, car il ignorait d’autres problèmes préoccupants, tels que le transfert de missiles balistiques à des alliés régionaux de l’Iran et l’ingérence déstabilisatrice dans les affaires intérieures de pays arabes, comme c’est le cas au Yémen, en Iraq et au Liban.
Impliquée dans une guerre coûteuse au Yémen et confrontée à des attaques répétées de missiles et de drones contre ses infrastructures pétrolières qu’elle impute à l’Iran, l’Arabie saoudite s’oppose à ce que les problèmes plus larges– autres que celui du programme nucléaire– soient mis de côté. C’est pour cette raison que Riyad, sans attendre les résultats des négociations à Vienne, a entamé en avril dernier à Bagdad des pourparlers avec Téhéran en vue d’examiner les moyens de régler les différends qui les opposent.
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