Le conflit entre Israël et le Hamas traverse un carrefour important où l’équilibre idéologique et éthique connaît un certain changement sur le plan international. La nouvelle droite ascendante en Occident, surtout aux Etats-Unis, éprouve désormais une grande compassion pour les Palestiniens, alors qu’Israël perd le terrain qu’il avait l’habitude de monopoliser dans les médias, la culture, les universités et la société civile.
Aux Etats-Unis, plusieurs députés démocrates ont parlé sous la coupole de la Chambre des représentants de l’occupation israélienne, de la discrimination raciale en Israël, du droit des Palestiniens et de la nécessité de renoncer au soutien inconditionnel apporté par les Etats-Unis à Israël. Du jamais-vu malgré l’atrocité des guerres lancées par Israël contre les Palestiniens. Les médias américains ont eux aussi reflété les propos des députés et il n’est plus surprenant de lire des termes comme « occupation » et « discrimination » dans les médias américains.
Le conflit israélo-palestinien n’est pas un conflit local ou un conflit régional dissocié de ce qui se passe dans le monde. Il est le résultat de mutations internationales, notamment en Europe et en Occident. Le sionisme et Israël sont un phénomène européen par excellence. Ce sont les évolutions politiques et idéologiques en Europe et en Occident qui ont transformé le projet sioniste le faisant passer d’une idée imaginaire qui suscite l’ironie en une lourde réalité.
Le nazisme et l’holocauste ont présenté un précieux service au mouvement sioniste en convaincant des centaines de milliers de juifs qu’il est impossible de coexister avec les Européens et qu’ils avaient besoin d’un Etat qu’ils puissent gouverner et qui puisse garantir leur sécurité. C’était l’époque du nationalisme en Europe au cours de laquelle chaque communauté rêvait de créer un Etat. Un fait qui a rendu les tentatives juives de créer une nation et un Etat indépendant compatibles avec l’esprit de l’époque en Europe.
Ce qui est méprisable dans les convictions du sionisme c’est son appel aux juifs d’immigrer vers la Palestine, d’expulser ses habitants et de fonder l’Etat juif sur leurs terres. En dépit du caractère ignoble de cette conviction juive, elle était tout à fait compatible avec l’esprit de l’époque en Europe et en Occident. En effet, la seconde moitié du XIXe siècle a marqué l’apogée de l’expansion colonialiste européenne. Les Européens ont occupé des pays lointains en Afrique et en Asie et se sont approprié leurs richesses.
Au XXe siècle, l’Europe était plus laïque et plus socialiste, alors que le mouvement sioniste parlait au nom d’un groupe religieux et se caractérisait par le fait qu’il soit détenteur d’un livre sacré. Cependant, le mouvement sioniste était compatible avec l’esprit de l’époque en Europe. La première génération et les pères fondateurs de l’Etat d’Israël étaient issus des partis socialistes en Europe. Ce n’est pas un hasard si le Parti travailliste aux orientations socialistes ait gouverné Israël pendant les trente premières années de sa création. Les dirigeants du Parti travailliste n’étaient pas pieux, beaucoup n’étaient même pas croyants. Pour eux, le judaïsme était une identité nationale et non pas une conviction religieuse ou une confession. Ils ont alors réussi à placer leur projet politique dans l’esprit de l’Occident. C’est d’ailleurs là l’une des principales raisons du succès du mouvement sioniste et d’Israël qui s’est présenté à l’Occident comme étant un outil de modernisation et de démocratisation de l’Orient arabe qui vivait alors loin de l’esprit de l’époque.
Le Parti travailliste était sur le point de disparaître, et la droite en Israël ne représentait plus une force idéologique de poids avec l’ascension au pouvoir des partis nationalistes et religieux rigoristes. Parallèlement, les évolutions politiques et idéologiques en Occident sont allées dans d’autres directions. Ces évolutions avaient deux principales caractéristiques. Premièrement, on a assisté à la montée en puissance de nouveaux courants progressistes et gauchistes qui étaient conformes aux orientations générales bien qu’ayant des principes différents. Les disparités sociales et les inégalités sont devenues des questions de race et d’identité et non pas une question d’exploitation sociale. La cause palestinienne a été très facilement intégrée dans cette perspective. Alors que la police américaine tue les citoyens noirs, l’armée israélienne tue les Palestiniens.
Les courants progressistes ascendants en Europe et en Occident font face à une grande résistance de la part des courants nationalistes rigoristes de droite de sorte que la profonde division idéologique est devenue la seconde caractéristique des sociétés occidentales à l’heure actuelle. Il est vrai que ces courants de droite sympathisent avec Israël qui ne jouit plus d’une unanimité occidentale. Il figure désormais sur la liste des sujets à controverse dans les sociétés occidentales.
Par conséquent, il est tout à fait probable que les mutations politiques et idéologiques en Occident imposent à Israël des restrictions qui n’existaient pas auparavant, mais que celles-ci permettent aux Palestiniens d’acquérir leurs droits nationaux, c’est une autre histoire .
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