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A propos du barrage

Wednesday 28 oct. 2020

Le président américain, Donald Trump, a critiqué cette semaine l’Ethio­pie au sujet de la construction du bar­rage de la Renaissance évoquant une situation « dangereuse ». « Ils (les Egyptiens) finiront par faire sauter le bar­rage. Je le dis haut et fort », a-t-il insisté. Une fois de plus, le président américain prend position en faveur de l’Egypte dans son bras de fer avec l’Ethiopie sur la question du barrage. Il avait, début septembre, suspendu une partie de l’aide financière américaine fournie à l’Ethiopie après la décision unilatérale d’Addis-Abeba de remplir le barrage sans accord préalable avec les pays en aval, l’Egypte et le Soudan. « Nous étions parvenus à un accord, mais l’Ethiopie ne l’a pas signé », a affirmé Trump en allu­sion aux négociations qui ont eu lieu en novembre 2019 aux Etats-Unis sous parrainage américain. Les Ethiopiens ont mal réagi aux propos de Trump l’accusant « d’inciter à la guerre ! ».

En réalité, le président américain a vu lui-même comment les Ethiopiens ont claqué la porte à Washington et comment ils se sont absentés de la signature de l’accord avec l’Egypte et le Soudan, signe évident d’une mauvaise volonté.

Mais au-delà de la position de Trump, tout observateur objectif sait que ce barrage fera subir à l’Egypte d’énormes dommages en l’absence d’un accord. L’Egypte est l’un des rares pays qui dépendent presque entièrement des eaux d’un fleuve. Elle y dépend à 97 % pour son irrigation et son eau potable. Tandis que l’Ethiopie est riche en res­sources hydrauliques avec des pluies torrentielles, 14 rivières et de mul­tiples barrages, l’Egypte est en dessous du seuil de pauvreté hydrique (1 000 m3 d’eau par an) avec seulement 610 m3 d’eau par an par habitant en 2019. L’Egypte souffre également d’une importante carence en matière de production alimentaire, qui l’oblige à importer environ 55 % de ses besoins alimentaires actuels.

Si l’Ethiopie décide de remplir le barrage en trois ans (comme elle l’avait précédemment déclaré), cela réduirait de 25 à 33 milliards de m3 le quota annuel de l’Egypte dans les eaux du Nil, ce qui, à son tour, entraînerait une perte de 5 à 6 milliards de feddans de terres cultivables. Et même si la période de remplissage du barrage était de 6 ans au lieu de 3 (l’Egypte a donné son accord pour une période de 5 ans), cela se traduirait par une réduction de 12 à 17 milliards de m3 d’eau pour l’Egypte, qui pourrait alors tomber encore plus en dessous du seuil de pauvreté hydrique. D’ici 2022, la part d’eau par habitant diminuera à 409 m3, amenant l’Egypte au seuil d’une pénurie d’eau. Une situation qui peut coûter au secteur agricole jusqu’à 150 milliards de livres par an. Si l’Egypte perdait 15 milliards de m3 d’eau sur une base annuelle, le pays perdrait 18 % de ses terres agricoles, environ 1,8 million de feddans sur un total de 10 millions de feddans.

En dépit de tout cela, l’Egypte ne s’est jamais opposée au barrage de la Renaissance (elle l’a reconnu dans la Déclaration de principes signée à Khartoum en 2015) et a reconnu les droits de l’Ethiopie au développement. Elle a seulement demandé à ce que le remplissage du barrage soit régi par un accord dans l’intérêt des deux parties. Un accord que l’Ethiopie ne veut pas. Peut-on blâmer l’Egypte parce qu’elle défend ses droits.

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