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Vers un partenariat Chine-Iran

Lundi, 20 juillet 2020

L’Iran et la Chine seraient en bonne voie pour conclure un partenariat stratégique qui couvrira une vaste palette de coopération dans les domaines de l’économie, de la défense et de la sécurité. Le partenariat, d’une durée de 25 ans, étendrait considérablement les investissements chinois en Iran dans des secteurs aussi variés que l’énergie, le transport, les banques, les télécommunications, les ports, les chemins de fer, la santé, le tourisme, les infrastructures de sécurité et la logistique dans les ports et les îles du sud du pays. En échange, la Chine recevrait un approvisionnement régulier en pétrole à un prix préférentiel.

Le projet d’accord, connu sous le nom de « Partenariat stratégique global sino-iranien », a été approuvé par le gouvernement iranien en juin dernier. Mais ses fondements remontent à la visite du président chinois Xi Jinping à Téhéran en janvier 2016, où il a rencontré le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, une semaine seulement après le début d’application de l’accord sur le nucléaire iranien, qui a permis la levée des sanctions internationales. Le contenu exact de ce partenariat reste cependant sujet à un débat houleux et à des spéculations en Iran. Alors que le projet était en cours d’élaboration depuis plus de quatre ans, il a reçu peu d’attention jusqu’à ce que certains médias rapportent ce qu’ils prétendaient être des faits et des chiffres clés. En septembre dernier, une source anonyme du ministère iranien du Pétrole a détaillé les promesses chinoises de 400 milliards de dollars d’investissement dans le cadre de l’accord, notamment dans les secteurs du pétrole, du gaz naturel et des transports. En retour, Pékin bénéficierait d’une remise de 32 % sur les achats du brut iranien et de deux ans de moratoire sur le paiement.

Ce qui a particulièrement suscité la colère des opposants iraniens au projet d’accord, notamment parmi les ultraconservateurs, ce sont les informations selon lesquelles l’accord autoriserait la Chine à envoyer jusqu’à 5 000 soldats pour protéger ses intérêts en Iran, ainsi qu’à avoir un contrôle important sur les ports situés dans les îles iraniennes du sud du pays, qui joueraient un rôle majeur dans le cadre de l’initiative économique et commerciale chinoise « La Ceinture, la Route ». Mais Téhéran s’est empressé de nier ces informations, les qualifiant d’« illusion » et de « désinformation ».

Pour l’Iran, le partenariat avec la Chine vise à réaliser plusieurs objectifs, en tête desquels sortir de l’isolement diplomatique que les Etats- Unis veulent lui imposer ainsi que contourner les sévères sanctions économiques infligées par l’Administration de Donald Trump. En outre, Téhéran mise sur l’établissement d’un axe avec Pékin pour faire contrepoids à l’hégémonie américaine au Moyen-Orient. Autant l’Iran que la Chine, les deux pays sont considérés comme des puissances révisionnistes qui cherchent à modifier le statu quo régional et mondial, tout en voulant cependant éviter le déclenchement d’une guerre à grande échelle dans laquelle elles seraient perdantes.

Les relations entre les deux pays ont jusqu’ici manqué la coordination et la stabilité nécessaires pour pouvoir peser sur les évolutions régionales et se sont plutôt limitées à un soutien occasionnel et opportuniste des positions de l’autre sur certaines questions. Téhéran estime que l’accord de partenariat stratégique renverserait cette tendance et marquerait le début d’une action commune avec l’objectif de contrer la domination des Etats-Unis au Moyen-Orient. Or, même si la Chine cherche à contrer l’hégémonie mondiale des Etats-Unis, il est peu probable qu’elle se laisse entraîner dans le jeu de l’Iran aux objectifs bien spécifiques et aux politiques bien différentes. Car l’une des constantes stratégiques de Pékin au Moyen-Orient est de rester neutre sur les questions régionales. Et comme l’a récemment souligné son ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, la Chine n’a ni la volonté ni la capacité de devenir un autre Etats-Unis, et Pékin ne commettrait pas la même erreur que Washington en prenant parti dans les conflits du Moyen-Orient.

En outre, la Chine s’emploie à consolider des relations diversifiées avec des partenaires moyen orientaux qui sont loin d’être des amis et parfois même des ennemis, comme c’est le cas avec l’Arabie saoudite et Israël en tant que partenaires énergétique et technologique. Une indication de cette volonté de diversifier ses rapports afin de servir ses intérêts est la décision de la Chine d’augmenter ses importations pétrolières de l’Arabie saoudite, qui ont bondi de 47 % l’année dernière, faisant de Pékin le plus gros client du Royaume.

Certes, le partenariat stratégique avec la Chine aura des avantages pour l’Iran, mais il aura également son revers de la médaille. Car il augmentera la dépendance de Téhéran à l’égard de Pékin dans la conduite de ses relations extérieures ; une réalité amère qui présentera un revirement douloureux des idéaux révolutionnaires du pays. Le slogan révolutionnaire de l’Iran islamique « ni à l’Ouest ni à l’Est » était inhérent au désir d’une politique étrangère indépendante, qui ne soit pas alignée sur celle d’une puissance mondiale. Il est toutefois douteux que Téhéran puisse, dans le contexte actuel, maintenir une politique étrangère indépendante une fois qu’il est en partenariat stratégique avec une puissance mondiale comme la Chine, car il doit tenir compte des priorités de ce bienfaiteur asymétriquement bien plus puissant. En d’autres termes, il est peu probable que Pékin permette à l’Iran de mettre en oeuvre des politiques jugées préjudiciables aux intérêts et/ou à la réputation et au crédit de la Chine dans la région. Dans cette optique, il ne serait pas exagéré de penser que la Chine cherchera à brider l’activisme régional de l’Iran lorsque celui-ci risque de nuire aux intérêts de Pékin dans la région.

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