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Idleb, le coeur du conflit

Dimanche, 23 février 2020

Idleb est de nouveau au coeur de l’actualité. Dans la crise syrienne, Idleb, dernier empla­cement de l’opposition armée, représente un intérêt particulier. Cette fois-ci, plusieurs chan­gements sont à noter. Le premier concerne l’armée syrienne qui a réussi à imposer sa domination sur une région d’où elle s’était absentée pendant 9 ans. Pendant la phase précé­dente (août-septembre 2018), le régime s’était contenté d’effectuer des frappes de temps à autre, mais sans gagner de nouvelles positions stratégiques. Puis, il a réussi à évoluer graduel­lement en direction des régions dominées par l’opposition. En août 2019, le régime syrien a réussi à dominer la ville stratégique de Khan Cheikhoun et à se diriger vers le nord de Hama, longeant Idleb et menant aux régions dominées par le régime. Et depuis décembre 2019, les forces du régime, avec un soutien russe, ont entamé une large offensive militaire sur les zones rurales du sud et du sud-est d’Idleb ainsi que la zone rurale au nord-ouest d’Alep, où passe la route internationale reliant Alep et Damas, et traversant de grandes villes syriennes pour arriver aux frontières sud avec la Jordanie. Cette route de 432 km, la plus longue du pays, est commerciale par excellence, puisqu’elle relie les principales villes syriennes. Grâce à la domination complète du régime sur la route, il est prévu que les taux d’échange commerciaux quotidiens connaissent une hausse considé­rable, ce qui profitera au processus de recons­truction et d’investissement. Aussi, le volume de coopération commerciale entre la Syrie et la Jordanie augmentera après l’ouverture de la route, surtout que le passage frontalier avec la Jordanie a été inauguré au milieu d’octobre 2019.

Le deuxième changement concerne la réac­tion turque envers les actions militaires du régime. La Turquie s’était contentée, alors que Damas s’apprêtait à attaquer Idleb en 2018, de renforcer ses positions militaires à l’intérieur du gouvernorat et à ses points de contrôle. Ceci avait coïncidé avec la mise en garde adressée par le président turc concernant le déplacement de milliers de civils à la suite de l’attaque, menaçant de riposter militairement au cas où les forces turques seraient frappées. Mais actuellement, avec l’escalade des frappes syriennes etalors que les forces du régime ont réussi à assiéger huit points de contrôle turcs durant son opération militaire, la Turquie s’est dirigée vers l’installation de nouveaux déploie­ments militaires à plusieurs emplacements sur les territoires syriens.

Le troisième changement concerne le recul de la coopération turco-russe. Cette coopération entre les Etats impliqués dans la crise syrienne, à savoir la Turquie, la Russie et l’Iran, était intense. Ces 3 parties insistaient à assurer que leur rôle était axial dans la crise en direction du règlement, tout en tentant de donner l’impres­sion qu’Astana est un substitut à l’initiative onusienne de Genève, soutenue par les Etats-Unis. A ce moment, les tensions entre la Turquie et les Etats-Unis étaient apparues pour plusieurs raisons. Et en contrepartie, il y a eu un rappro­chement turco-russe. Malgré la divergence des visions des deux pays envers la crise syrienne et l’escalade des déclarations et des renforcements militaires, ils ont cependant oeuvré ensemble à préparer le terrain commun de coopération concernant la crise. C’est dans ce contexte que la Turquie et la Russie ont signé l’accord de Sotchi, et la Turquie a promis de liquider Hayet Tahrir Al-Cham. Or, il est actuellement question d’une dissidence turco-russe en Syrie.

La preuve de cette dissidence est l’échec des négociations tenues à Ankara à parvenir à un accord. Selon l’opposition syrienne, Moscou a présenté un nouveau plan de route de la région de désescalade qui se prolongerait des fron­tières turco-syriennes jusqu’à une profondeur de 30 km, en plus de l’insistance à poursuivre les opérations militaires jusqu’à la réalisation de la domination complète sur les deux routes internationales Alep-Lattaquié et Alep-Damas. Tout en gardant toutes les régions dans les­quelles les forces syriennes se sont engagées sur les deux côtés de la route. En contrepartie, Ankara a refusé la proposition syrienne et a insisté à garder les résultats de l’accord de Sotchi, tout en assurant la nécessité du retrait des forces du régime syrien jusqu’aux points turcs fixés par l’accord. En outre, aucun indice ne semble annoncer une réunion prochaine entre les 2 présidents turc et russe, comme il était courant pendant les phases d’intensifica­tion de la crise.

Le quatrième changement porte sur le rôle iranien. Celui-ci s’axait précédemment sur la confirmation de la nécessité de lutter contre le terrorisme, y compris la lutte contre Hayet Tahrir Al-Cham en sa qualité d’organisation terroriste. Téhéran aspire par ses dernières manoeuvres à confirmer de nouveau sa présence en tant qu’acteur international influent dans la crise syrienne. Et ce, après les grandes pres­sions économiques et populaires que l’Iran a connues et qui ont affecté sa présence sur la scène régionale. Dans ce contexte, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a fait l’annonce de la médiation entre la Turquie et la Syrie, afin de résoudre les problèmes en suspens entre les deux pays conformément à la loi internationale. Zarif a également confirmé que le seul moyen de préserver la sécurité de la Turquie était de déployer des forces militaires dans les régions frontalières avec la Syrie et non pas en visant l’unité et la souveraineté des terri­toires syriens.

Enfin, les frappes israéliennes sur Damas apparaissent comme un autre sujet de différend. Avant que le régime syrien ne prenne ses mesures militaires, des rapports journalistiques avaient parlé en mai 2018 d’une coopération sécuritaire russo-israélienne dans le sud syrien de sorte à permettre à l’armée syrienne d’étendre sa domination sur le sud du pays jusqu’aux frontières israéliennes, alors qu’il ne serait pas permis à l’Iran et au Hezbollah de prendre part à cette opération. Par la suite, Moscou a annoncé le 1er août 2018 que les forces iraniennes ont retiré leurs armes lourdes de la Syrie à une distance de 85 km des hauteurs du Golan.

Il est tout à fait probable que les batailles et les raids persistent au nord et au sud d’Idleb, afin que le régime encercle la route Alep-Damas M5 et réimpose sa complète hégémonie sur la route Alep-Lattaquié M4. Dans ce contexte apparaissent des tentatives turco-russes pour parvenir à une sorte d’entente. Mais il ne sera possible de parvenir à de telles ententes ou de tels accords qu’à travers une réunion entre les deux présidents russe et turc.

L’objectif actuel du régime pourrait être d’imposer sa domination sur les deux routes internationales seulement et d’encaisser une grande perte à la Turquie et à ses factions pro-opposition. Et si le régime réalise son objectif, ces batailles pourront être le début de grandes ambitions pour la restitution de la totalité du gouvernorat d’Idleb pour se diriger ensuite vers les régions dominées par la Turquie au nord. Mais à ce moment-là, les Etats-Unis pourraient avoir une autre vision qui entraverait les ambi­tions du régime syrien .

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