Jeudi, 25 avril 2024
Opinion > Opinion >

Les trois paris perdants d’Erdogan

Dimanche, 08 décembre 2019

Janvier 2011. Le monde arabe est balayé par des vents de révolte. La Tunisie, l’Egypte, la Libye et le Yémen sont touchés par des manifestations massives qui secouent les régimes en place. Dans plusieurs de ces pays, les islamistes accèdent au pouvoir. La Turquie, régie depuis 2002 par le régime islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan, y voit l’opportunité de réali­ser un vieux rêve, celui de repositionner la Turquie en tant que leader régional, autour des anciennes pro­vinces ottomanes, perdues après la Première Guerre mondiale, et nouvellement dotées de régimes isla­mistes. D’ailleurs, après son arrivée au pouvoir en 2002, le régime turc avait tenté de restaurer son influence dans le monde arabe à travers l’économie, les entreprises turques sillonnant le monde arabe, notam­ment dans le secteur de la construction, mais aussi à travers la culture et le cinéma avec la diffusion à grande échelle des séries télévisées turques, devenues très populaires dans le monde arabe.

Très vite, le pouvoir turc se pose en défenseur de la mouvance islamiste qui s’est retrouvée soudainement propulsée sur le devant de la scène après le Printemps arabe. Son objectif est le même: étendre l’influence de la Turquie au Proche-Orient. En 2011, Erdogan, alors premier ministre, se rend tour à tour en Egypte, en Tunisie et en Libye.

En Egypte, après la chute de l’ancien président Hosni Moubarak et l’arrivée au pouvoir des Frères musul­mans en 2012, il cherche à construire une nouvelle sphère d’influence en nouant des liens rapprochés avec le président frériste, Mohamad Morsi. Erdogan se rend au Caire en novembre 2012, prononce un discours à l’Université du Caire où il fait l’éloge de Morsi et évoque « une alliance stratégique entre la Turquie et l’Egypte ». Mais alors qu’il est sur le point de réaliser ses ambitions, des manifestations massives éclatent contre Morsi, accusé de dérives autoritaires. La chute de Morsi en juin 2013 met brusquement fin au rêve turc.

En Syrie, le président turc suit une approche simi­laire. Il soutient la révolte contre Bachar Al-Assad et donne son appui à la rébellion islamiste. Son rêve: la chute de Bachar et l’établissement d’un régime isla­miste affilié à Ankara. Mais là encore, le rêve se révèle être une illusion. Les tentatives d’Erdogan pour ame­ner la chute du régime de Damas échouent, et finissent même par compromettre les intérêts de la Turquie en Syrie. La rébellion islamiste, soutenue par Ankara, perd pied, surtout après l’intervention de la Russie en 2015, laissant ainsi un vide, rapidement occupé par deux acteurs aussi indésirables que pernicieux aux yeux de la Turquie: Daech et les Kurdes qui cherchent à créer une enclave indépendante. Résultat: la Turquie se bat non pas pour amener la chute d’Assad, mais pour écarter les « menaces » à la frontière syrienne. Englué dans un conflit aux répercussions incertaines, Ankara cherche alors l’appui de la Russie pour écarter la « menace » kurde. Mais la Russie a d’autres intérêts. Et Moscou demande aux Turcs, en échange de cet appui, de normaliser leurs relations avec Assad. Ankara doit accepter un compromis avec le régime syrien qu’elle a toujours refusé. Le pari d’Erdogan en Syrie est perdu.

De l’Egypte et la Syrie à la Libye où pendant des années, le chef de l’Etat turc a soutenu militairement les milices islamistes, violant ainsi l’embargo sur les armes décrété par l’Onu. La fourniture des armes turques a eu pour conséquence la dégradation de la situation sécuritaire en Libye et le prolongement de la guerre civile. Mais Erdogan n’en finit pas de nous sur­prendre. Il vient de signer le 27 novembre deux mémorandums avec le gouvernement de Fayez Al-Sarraj sur la sécurité et la démarcation des fron­tières maritimes. Ces frontières passent tout près des côtes sud de la Grèce, ce qui porte atteinte à la sou­veraineté de ce pays, et pose de multiples interroga­tions sur la légalité de l’accord. L’objectif du président turc est clair: sortir de son isolement dans l’Est de la Méditerranée après la création cette année du Forum du gaz de l’Est de la Méditerranée qui regroupe l’Egypte, Chypre, la Grèce, Israël, la Jordanie, la Palestine et l’Italie. En effet, pour légitimer sa rhéto­rique sur la scène internationale, Erdogan a besoin d’un autre partenaire que la République de Chypre du Nord. Mais là encore, le pari du président turc est risqué car le régime de Fayez Al-Sarraj est instable, et est loin de rétablir son autorité sur l’ensemble de la Libye. Une fois de plus, Recep Tayyip Erdogan prouve qu’il est un mauvais élève et ses politiques ne font que déstabiliser la région .

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique