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L'Iraq face à l'amendement constitutionnel

Dimanche, 24 novembre 2019

Bien que les protestations ira­qiennes aient eu une teinte éco­nomique à leur début, rapidement, elles ont inclus des demandes poli­tiques, dont la plus importante est l’amendement constitutionnel. Parfois, certains protestataires ten­daient à parler d’amendement consti­tutionnel parallèlement à l’annula­tion du régime confessionnel, comme s’ils étaient une seule chose. Mais l’heure était à l’unanimité. Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel politique s’étaient mises d’accord sur la demande relative à l’amende­ment constitutionnel, depuis les hautes instances, en passant par les forces politiques chiites et, enfin, sunnites. De son côté, le président du Conseil des députés a pris l’initiative de former un comité chargé de cette mission et a effectivement contacté officiellement les différents partis concernés pour envoyer leurs propo­sitions.

Les Kurdes sont ceux qui ressen­tent le plus d’inquiétude au cas où l’amendement aurait lieu, à cause de ce qui pourrait en résulter de change­ment dans la nature du régime. Au cas où l’Iraq opterait pour le régime présidentiel et l’élection directe du président au suffrage universel, la probabilité que le prochain président soit kurde est en effet minime.

Cet article tente de répondre à trois questions: est-il possible d’amender la Constitution iraqienne? Quelles sont les idées proposées pour l’amen­dement ? Enfin, est-ce qu’une nou­velle Constitution annulera les quo­tas confessionnels ou les préservera-t-elle ?

Rappelons que la Constitution de 2005 renferme un obstacle au niveau de l’article 142, qui rend difficile tout amendement. Cet article pose, en effet, comme condition l’approba­tion d’un amendement par la majo­rité des voix ainsi que le non-rejet par les deux tiers des voix dans trois gouvernorats ou plus. Cet article a fait de la Constitution iraqienne un texte rigide et difficile à changer. Au cas où les chiites ne consentiraient pas à certains amendements, ils auront la possibilité de mobiliser les deux tiers des voix dans les gouver­norats qu’ils contrôlent. Même chose pour les sunnites dans les régions où ils sont majoritaires. Ce qui signifie que tout amendement constitutionnel devra bénéficier d’un haut taux d’en­tente entre les différentes compo­santes du peuple iraqien. Ce qui est difficile, mais pas impossible.

Besoin d’une volonté sérieuse

Si nous passons à l’idée d’amender la Constitution, je dirais que rien ne justifie le changement du régime de parlementaire à présidentiel ou semi-présidentiel. Son application en Iraq serait défaillante. Logiquement par­lant, il est indispensable de réformer et non de changer le système parle­mentaire. Cela peut se faire à travers des mécanismes comme l’amende­ment de la loi des élections pour mieux assurer la représentativité des différentes forces politiques ainsi que la formation d’un gouvernement par le député du parti ayant gagné le plus de voix et non pas celui du can­didat de la coalition. Et ce, pour évi­ter les marchandages politiques. La réforme du système parlementaire nécessite une volonté sérieuse, afin d’arrêter de passer outre la loi des partis d’une manière qui permettrait à deux ailes d’un même parti de se présenter aux législatives. Ou encore qui faciliterait à un groupe militaire de devenir une aile politique parti­sane, comme cela a été le cas pen­dant les élections de 2018. Il serait également possible de penser à créer une deuxième chambre au parlement ou encore à développer le conseil de l’Union pour regrouper des repré­sentants des régions, des gouverno­rats, de hautes personnalités dans les domaines de la politique, du droit, de la culture, selon des critères loin des quotas. Ce qui permettrait aussi de réduire le nombre des députés, qui passerait de 352 à 242.

En ce qui concerne la forme fédé­rale de l’Etat dans la Constitution, il serait risqué à l’heure actuelle de la toucher, sinon des problèmes majeurs émergeront. N’oublions pas que les Kurdes avaient prôné leur droit à l’autodétermination en 2017.

Enfin, je dirais que l’amendement de la Constitution n’a rien à voir avec les quotas confessionnels, qui n’existaient pas initialement. C’est l’exercice politique qui les avait créés. Je mentionnerais ici la ques­tion de la nomination aux hauts postes. Si nous nous référons à la Constitution, l’article 80 stipule que le premier ministre apporte des recommandations au Conseil des députés concernant les nominations. Mais en réalité, d’énormes pressions sont exercées par les blocs poli­tiques sur le chef du gouvernement pour distribuer ces postes conformé­ment aux résultats des élections législatives. Cela sape complète­ment le critère de la performance et de l’efficacité, consolide le confes­sionnalisme politique et fait des élections la clé magique à l’acces­sion à tous les hauts postes. Mais en même temps, il existe dans la Constitution certaines clauses qui véhiculent une teinte de confession­nalisme, surtout dans la préface, qui a été rédigée dans un contexte histo­rique bien déterminé. Si nous appe­lons à changer les pratiques confes­sionnelles, il serait important de s’attacher à l’arabité. Il est par exemple incompréhensible que l’ar­ticle n° 3 de la Constitution souligne le fait que l’Iraq fait partie du monde musulman sans aucune mention de son appartenance arabe. L’affirmation de l’arabité de l’Iraq réunissant sunnites et chiites sur un même sol consoliderait son identité face aux interférences iraniennes et américaines.

Personne ne désire faire de la Constitution une idole, mais avec les conditions d’ébullition populaire, les pressions étrangères et les marchan­dages politiques, il ne faut pas se hâter et donner le temps à tout amen­dement de devenir mature.

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