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Quelle issue à la crise en Iraq ?

Dimanche, 24 novembre 2019

Après plus d’un mois de manifesta­tions inédites, l’Iraq ne semble pas près de sortir de sa crise politique sans précédent. Cette vague de protestations antigouvernementales est le plus grave défi que doit relever le cabinet du premier ministre, Adel Abdel-Mahdi, depuis son acces­sion au pouvoir, il y a un an. Les manifestations, qui ont débuté le 25 octobre, visent à lutter contre la corruption, le chômage et le manque de services de base, problèmes auxquels Abdel-Mahdi a tenté de remédier. La corruption qui sévit à tous les échelons du pouvoir exécutif était cependant le principal moteur des manifes­tations, car elle est considérée comme étant à la base de tous les autres maux dont souffre la société. Ce phénomène est exacerbé par un sys­tème politique dont les institutions sont domi­nées par les partis politiques et les milices armées qui contrôlent également les fonds publics.

Les revendications des protestataires les plus difficiles à satisfaire sont toutefois politiques appelant à la démission du gouvernement et du président et à la dissolution du parlement. Elles vont encore plus loin pour demander le change­ment de tout le système politique mis en place depuis l’invasion américaine de 2003. La diffi­culté de satisfaire ces demandes provient en premier lieu du fait que tout changement de gouvernement est tributaire des principaux blocs politiques au parlement, qui agissent selon leurs propres intérêts étroits. Cela s’est reflété dans les récentes déclarations du président Barham Saleh dans lesquelles il a souligné que « toute formation de gouvernement est soumise à un accord entre les blocs d’Al-Hachd Al-Chaabi (mobilisation populaire) et Saïroun (en marche) », les deux plus grands blocs du parlement iraqien. Saïroun, appelée aussi « La marche pour les réformes », est une coalition électorale dominée par le parti de l’Intégrité du dirigeant chiite Moqtada Al-Sadr. Elle a rem­porté 54 sièges sur les 329 que compte le parle­ment lors des dernières législatives de mai 2018. Al-Hachd Al-Chaabi est le bras politique com­posé de divers groupes de la milice chiite por­tant le même nom, qui a combattu aux côtés de l’armée iraqienne l’organisation terroriste de Daech de 2014 jusqu’à sa défaite en 2017 et qui a intégré l’armée au début de 2018. Il domine la coalition électorale de « l’Alliance de la conquête », dirigée par Hadi Al-Amiri, qui a obtenu 48 sièges aux élections de 2018.

Le rôle de l’Iran

Quelle issue à la crise en Iraq  ?

A cette difficulté interne s’ajoutent des fac­teurs externes et des ingérences étrangères, en particulier de l’Iran, qui jouit d’une influence prépondérante auprès des élites chiites depuis le départ des troupes américaines fin 2011. C’est ainsi que Téhéran a été étroitement associé à l’élaboration d’une nouvelle stratégie de sortie de crise, avec la tenue de plusieurs réunions entre groupes politiques et représentants du gouvernement, auxquelles a participé Qassem Soleimani, le général qui commande la « Force Al-Qods » (Jérusalem) du Corps des gardiens de la Révolution islamique, chargée des rapports avec les alliés de la République islamique à travers le Moyen-Orient. Des sources iraqiennes ont indiqué que Soleimani avait approuvé le plan de réforme, qui maintiendra le premier ministre Abdel-Mahdi au pouvoir jusqu’aux élections anticipées de l’année prochaine, ce qui donnera à l’Iran le temps de reconsidérer les moyens de conserver son influence en Iraq. Selon ce plan, les autorités iraqiennes poursui­vront leurs efforts visant à calmer la foule, à travers la promesse de nouvelles élections orga­nisées par une commission censée être plus indépendante et un parlement restructuré et plus représentatif de la population diversifiée du pays.

Des sources ayant assisté aux récentes réu­nions du gouvernement ont indiqué que cette stratégie bénéficie du soutien non seulement des partis soutenant le gouvernement, mais égale­ment de leurs principaux rivaux, notamment le courant du chef religieux Moqtada Al-Sadr, qui dénonce régulièrement l’Iran et avait appelé le premier ministre à démissionner. Le soutien d’Al-Sadr au plan de réformes sponsorisé par Téhéran s’explique par sa crainte que les mani­festations qu’il ne contrôle pas ne menacent sa position et sa popularité parmi ses partisans. Les dirigeants politiques sunnites et kurdes soutien­nent également le plan, qui prévoit la réduction de l’âge minimum des candidats à la députation, l’augmentation du nombre de circonscriptions électorales et la réduction du nombre de sièges au parlement à 222. Les personnalités politiques nommées à la Haute commission électorale indépendante seront remplacées par des techno­crates et des juges. Le parlement devrait voter ces modifications avant d’approuver éventuelle­ment une date pour des élections anticipées en 2020.

Mais l’échec de l’annonce de ces réformes à calmer la colère de la rue a poussé des diri­geants-clés politiques, notamment les anciens premiers ministres Nouri Al-Maliki et Haider Al-Abadi, à tenir une réunion la semaine der­nière avec les commandants des milices chiites à l’issue de laquelle ils se sont entendus à don­ner au premier ministre 45 jours pour mettre en oeuvre des réformes et adopter un nouveau pro­jet de loi sur les élections qui donnera aux can­didats indépendants une chance réelle d’entrer au parlement. Si Abdel-Mahdi ne s’exécute pas, ont-ils déclaré, le parlement se prononcera par un vote de censure. Certaines personnalités pro-iraniennes ont assisté à cette réunion, indiquant que l’Iran avait peut-être compris que ses efforts pour préserver le gouvernement actuel avaient échoué et qu’il faudra agir vite avant que la situation ne dégénère et qu’elle ne devienne hors du contrôle du gouvernement. Pour défendre le statut de l’élite chiite pro-ira­nienne, Téhéran a apparemment compris qu’il doit accéder rapidement et sans tergiverser à la demande des manifestants de remplacer le premier ministre et d’organiser de nouvelles élections dans le cadre desquelles il tentera de garantir le succès de ses partisans.

Toujours est-il que toutes les réformes annoncées ne répondent pas aux exigences des manifestants de mettre fin au système poli­tique post-Saddam Hussein dans son ensemble. Leurs griefs portent sur le confessionnalisme mis en place par les Américains après leur invasion de l’Iraq. Cette dimension était enra­cinée dans la politique suivie par l’occupant américain, qui a décidé d’instaurer une divi­sion confessionnelle entre les principaux membres du bureau de l’Autorité provisoire créée par le représentant des Etats-Unis, Paul Bremer. Cette division entre communautés religieuses et/ou ethniques a produit des centres de pouvoir gouvernementaux dans les­quels chaque communauté a cherché à augmen­ter sa part dans le pouvoir et établi des milices privées. Le même système confessionnel a encouragé les membres des élites qui représen­tent les différentes communautés à se partager les contrats lucratifs et les revenus rentiers de l’Etat. Dans ce système, le parlement n’est pas en mesure de superviser les activités du gouver­nement ou de l’armée, car il est lui aussi tenu captif des divisions confessionnelles. Chaque membre du parlement est un loyaliste et un émissaire d’une communauté ou d’un groupe qui ne ressent aucune obligation vis-à-vis de l’intérêt national .

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