Pourquoi les manifestations en Iraq inquiètent-elles tant le pouvoir iranien? Depuis le début du soulèvement le 1er octobre, Téhéran alterne menaces, chantages et actes d’intimidation en vue de mettre fin à ce qu’il considère être un « complot fomenté par les ennemis ». En clair, les Etats-Unis, Israël et l’Arabie saoudite. Ainsi, le chef de la force Al-Qods, unité des Gardiens de la Révolution iranienne, Qassem Suleimenï, a été dépêché récemment à Bagdad pour soutenir le gouvernement du premier ministre iraqien, Adel Abdel-Mahdi, et surtout pour demander aux autorités iraqiennes de « faire le maximum », pour mettre fin à la révolte. Parallèlement, le guide suprême iranien, Ali Khameneï, a appelé les Iraqiens à manifester « à travers les canaux légaux ». Enfin, l’Iran vient de lancer une campagne sur Twitter et Instagram contre le soulèvement en Iraq. « L’Iran et l’Iraq sont deux nations dont le coeur et l’âme sont liés (…) Des ennemis cherchent à semer la discorde entre eux, mais ils ont échoué et leur complot n’aura pas d’effet », a tweeté le guide suprême en réaction aux manifestations iraqiennes.
Presque deux mois après leur lancement, les manifestations contre le pouvoir iraqien se poursuivent avec la même véhémence. Cette semaine encore, ils étaient plusieurs dizaines de milliers à se mobiliser place Tahrir à Bagdad et dans plusieurs villes du sud iraqien. Les Iraqiens manifestent contre la détérioration des conditions économiques, l’absence des services et la corruption. Ils réclament notamment un changement du système politique en place depuis l’invasion américaine en 2003. Les Iraqiens sont également nombreux à dénoncer l’intervention de l’Iran dans les affaires politiques iraqiennes, et certains disent craindre la perspective d’une intervention de l’Iran pour « faire avorter les manifestations », et pourquoi pas « mener des actes de représailles contre les manifestants ». Rappelons que des manifestants en colère ont attaqué le consulat de l’Iran dans la ville chiite de Kerbela et ont déchiré le drapeau iranien. Des effigies de Ali Khameneï ont également été brûlées à Bassora et à Bagdad.
Les inquiétudes iraniennes sont motivées par les craintes de Téhéran de voir son influence reculer en Iraq. Depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, l’Iran considère l’Iraq comme une pièce maîtresse de sa stratégie régionale. On peut dire que l’Iraq est la porte de l’Iran vers le monde extérieur. Il est le trait d’union entre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah libanais. La République islamique a toujours usé de son influence sur les populations chiites iraqiennes pour s’immiscer dans les affaires internes de Bagdad. En procédant ainsi, elle cherche d’abord à « amadouer » son voisin iraqien, afin de l’empêcher de constituer une menace potentielle, comme ce fut le cas sous Saddam Hussein, qui a mené une guerre de 8 ans contre l’Iran. Il y a aussi le fait que l’Iraq sert de « zone tampon » face à des pays comme Israël ou l’Arabie saoudite. En assurant la stabilité du gouvernement chiite à Bagdad, Téhéran assure aussi la stabilité et la continuité territoriale de l’axe chiite (Iran-Iraq-Syrie-Liban) pour faire barrage à l’axe sunnite formé par les pays du Golfe. L’Iran craint par ailleurs une contagion par le virus révolutionnaire iraqien, surtout que le pays fait face à une crise économique en raison des sanctions imposées par l’Administration Trump.
Sur le plan économique, l’Iraq a une importance de premier plan pour l’Iran permettant notamment à ce pays d’écouler ses biens et ses marchandises. Les échanges commerciaux entre l’Iran et l’Iraq se sont élevés en 2018 à 13 milliards de dollars, et Téhéran entend augmenter ce chiffre à 20 milliards. Cette situation permet aux Iraniens de contourner les sanctions économiques américaines. Pour toutes ces raisons, l’Iran ne lâchera pas facilement l’Iraq, car il en va de son influence dans la région. Il n’est pas exclu que le régime iranien ait recours à une intervention directe à travers les milices chiites pour faire taire les manifestants à Bagdad. Là est le vrai danger.
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