L’offensive turque au nord de la Syrie est hautement dangereuse. Dangereuse parce qu’elle aggrave la crise humanitaire qui sévit depuis des années dans la région. Ils sont 450000 civils à vivre dans la région frontalière entre la Turquie et la Syrie et sont désormais sous la menace directe des combats. Environ 60000 auraient déjà fui la région, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. « Nous espérons le meilleur, mais nous nous préparons au pire », a déclaré Panos Moumtzis, coordinateur humanitaire de l’Onu en Syrie. Et d’ajouter que des plans d’urgence ont été élaborés pour venir en aide aux déplacés. Selon le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés, plus de 5 millions de Syriens ont quitté le pays depuis le début de la guerre civile. La tragédie syrienne est à l’origine de plus de 11 millions de déplacés, 5 millions de Syriens ont quitté leur pays et 7,6 millions se sont déplacés à l’intérieur du pays.
Dangereuse parce que l’armée turque a recruté, pour les besoins de cette opération baptisée « P rintemps de paix » (sic), des milliers de combattants dans les milices islamistes locales, dont la branche syrienne d’Al-Qaëda. Ces combattants ont reçu la promesse d’être relogés dans la zone tampon que le pouvoir turc entend instaurer après l’opération.
Dangereuse aussi parce qu’elle risque de « réveiller » à nouveau le spectre de Daech. Les Kurdes, qui ont longuement combattu le groupe extrémiste en Syrie, détiennent environ 12 000 djihadistes au nord-est de la Syrie, placés dans les camps de Derik et d’Al-Hol. Leurs pays d’origine refusent de les rapatrier. Or, face à l’offensive turque, les Kurdes pourraient ne plus être en mesure d’assurer la protection de ces camps. Et l’on pourrait alors assister à la fuite des djihadistes et à une éventuelle résurgence de Daech en Syrie. Enfin, elle est dangereuse parce qu’elle va probablement relancer la crise migratoire. Les pays de l’Europe de l’Est, notamment la Grèce, Chypre et la Bulgarie, craignent désormais une hausse spectaculaire des arrivées de migrants par la Méditerranée orientale.
Habitué à défier la communauté internationale, Recep Tayyip Erdogan a lancé sa 3e opération en Syrie depuis 2016. Son objectif? Créer une zone tampon au nord de la Syrie et y installer 2 des 3,6 millions de réfugiés actuellement réfugiés en Turquie. Erdogan veut surtout empêcher la formation d’une zone kurde au nord de la Syrie. Ankara considère les Kurdes syriens (les Unités de protection du peuple, YPG) comme des « terroristes » à cause de leurs relations avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) contre lequel la Turquie est en guerre depuis 1984. Les YPG ont combattu Daech en Syrie aux côtés de la coalition internationale.
La communauté internationale est désormais appelée à prendre ses responsabilités. Erdogan a certes bénéficié de l’indifférence américaine et du silence russe. Il a utilisé la question migratoire comme outil de chantage face à l’Europe. L’offensive turque au nord de la Syrie vient une fois de plus rappeler que ce pays, livré à la guerre civile depuis 8 ans, est devenu une terre sans immunité livrée à toutes les convoitises.
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