La décision des Emirats Arabes Unis (EAU) de procéder au retrait de la majeure partie de leurs troupes au Yémen pose des questions sur l’avenir du conflit dans ce pays et les perspectives d’un règlement politique.
Les responsables émiratis affirment depuis plusieurs semaines avoir entamé un retrait progressif et partiel des forces de leur pays estimées à 5 000 hommes il y a quelques années. Des témoins indiquent qu’un retrait à grande échelle des troupes et des armes lourdes est en cours dans la province de Marib, dans la capitale « temporaire » d’Aden et dans le port stratégique d’Al-Hodeida sur la mer Rouge. Selon des diplomates arabes et occidentaux informés de ce retrait, une réduction importante a déjà eu lieu. Le mois dernier, les Emiratis ont réduit de 80 % à moins de 150 hommes leur déploiement autour d’Al-Hodeida, qui a été le principal théâtre de la guerre pendant les derniers mois. Selon des témoins, les EAU ont retiré leurs hélicoptères d’attaque et leurs armes lourdes de la périphérie de ce port, principal point de ravitaillement alimentaire de la population, qui était occupé par la rébellion houthie jusqu’à la conclusion en décembre dernier d’un accord prévoyant son passage sous le contrôle des Nations-Unies.
Les EAU maintiendront une présence réduite à Aden, la principale ville du sud du pays où ils étaient déployés, et continueront de soutenir une coalition d’environ 16 milices yéménites, dont le nombre est estimé à 20 000 hommes, qui ont mené la plupart des combats le long des côtes de la mer Rouge, dans la région d’Al-Hodeida. Le commandement de ces forces disparates passe à l’Arabie saoudite, qui a effectivement pris en charge les deux principales bases militaires émiraties situées sur la mer Rouge, à Mokha et à Khokha. Des observateurs estiment cependant que Riyad a peu d’expérience sur ce front et que, sans les Emiratis, les factions yéménites anti-Houthis pourraient commencer à se fracturer.
Le retrait d’Abu-Dhabi pourrait également inciter les Houthis à profiter du vide créé et lancer de nouvelles offensives pour conquérir le terrain qu’ils avaient perdu l’an dernier face à la coalition des milices yéménites soutenues par les EAU. Les combats se sont déjà intensifiés dans plusieurs villes stratégiques situées dans les plaines au sud d’Al-Hodeida, menaçant les lignes d’approvisionnement des forces dirigées par l’Arabie saoudite et réparties autour de la ville.
Après leur retrait partiel, les EAU maintiendront en particulier une mission antiterroriste axée sur la chasse aux militants d’Al-Qaëda. Ils conservent à cet effet leur base militaire à Al-Moukalla, port important sur la mer d’Arabie et chef-lieu du gouvernorat d’Hadramaout (sud). L’attachement des EAU à des politiques fermes de lutte antiterroriste et contre l’islam politique et visant à faire en sorte que ce riche Etat pétrolier continue de peser de tout son poids dans la région se manifeste également par le maintien d’une série d’installations portuaires militaires et commerciales au Yémen et sur la côte ouest de la mer Rouge, dans la Corne de l’Afrique. Cette présence s’explique aussi par sa volonté de contrer l’Iran, allié des Houthis, et par sa rivalité avec le Qatar et la Turquie, deux alliés qui s’emploient à garder une influence dans le sud de la mer Rouge et la Corne de l’Afrique.
Le retrait important des troupes émiraties du Yémen s’explique par un ensemble de raisons. Il suggère qu’Abu-Dhabi se prépare à la possibilité d’un affrontement militaire entre les Etats-Unis et l’Iran dans lequel les EAU et l’Arabie saoudite pourraient devenir un champ de bataille. Abu-Dhabi préférerait ainsi disposer de ses forces et de son équipement si la tension entre les Etats-Unis et la République islamique dégénérait en affrontement armé. A la différence de l’Arabie saoudite qui dispose d’un territoire plus vaste, les EAU sont géographiquement plus exposés en cas de conflit armé dans la région du Golfe. Riyad possède en outre un accès à la mer Rouge, où une bonne partie de ses exportations pétrolières sont acheminées via oléoduc. Ce qui réduit sa dépendance — contrairement à Abu-Dhabi — vis-à-vis du détroit d’Ormuz, que Téhéran menace régulièrement de bloquer en cas d’attaque américaine.
La décision des EAU traduit également leur volonté de sortir progressivement de la guerre au Yémen dont le coût est devenu trop élevé et dont la victoire ne semble pas à portée de main. Les déclarations des responsables émiratis expriment cet état d’esprit. Un haut responsable a indiqué que le retrait visait à soutenir le cessez-le-feu fragile négocié en décembre dernier par l’Onu à Al-Hodeida. Les EAU ont aussi fait savoir qu’ils souhaitaient voir le processus de paix élargi dans le sens d’un accord de paix plus large, assorti d’échéances couvrant l’ensemble du pays. Cette position en faveur d’un arrêt rapide de la guerre, privilégiant la voie des négociations, montre un changement dans la position des EAU, qui avaient auparavant estimé qu’un sérieux revers des Houthis — symbolisé par la prise du port stratégique d’Al-Hodeida par la coalition menée par Riyad — était un préalable à l’engagement de négociation.
Les Etats-Unis semblent avoir joué un rôle dans la décision d’Abu-Dhabi. En dépit de leur soutien à la coalition anti-Houthis, les dirigeants du Pentagone, à leur tête l’ancien secrétaire à la Défense Jim Mattis, ont averti à plusieurs reprises que la victoire militaire n’est pas possible, invitant l’Arabie saoudite et les EAU à négocier un règlement politique. D’autres responsables américains, dont l’ancien secrétaire d’Etat John Kerry et l’influent sénateur républicain Lindsey Graham, ont aussi encouragé les Emiratis à arrêter leur offensive pour la prise d’Al-Hodeida et à favoriser la négociation.
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