Il est établi que les Etats-Unis ont joué un rôle majeur dans la conclusion de l’accord de partage du pouvoir entre le Conseil Militaire de Transition (CMT) et les manifestants pro-démocratie au Soudan. Selon des sources concordantes proches des négociations, qui ont abouti à cet accord à Khartoum le 5 juillet, les pressions américaines sur les deux parties en conflit ont été décisives pour les amener à s’entendre sur un compromis évitant au pays de sombrer dans la violence et le désordre. Des sources arabes ont de leur côté souligné que les Etats-Unis avaient également pressé l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis (EAU) d’exercer leurs pressions sur le Conseil militaire soudanais pour qu’il accepte les propositions conjointes de l’Union Africaine (UA) et de l’Ethiopie.
Ces deux riches pays du Golfe sont considérés comme ayant une influence majeure sur le président du CMT au pouvoir, le général Abdel-Fattah Al-Burhan, ainsi que sur le vice-président du conseil, le général Mohamed Hamdan Dagalo, véritable homme fort du régime qui a envoyé des forces soudanaises pour soutenir la coalition militaire dirigée par Riyad au Yémen. L’Arabie saoudite et les EAU avaient accordé aux nouvelles autorités de Khartoum une aide de 3 milliards de dollars, à la suite du renversement du président Omar Al-Béchir le 11avril.
L’accord de partage du pouvoir, qui laisse espérer une transition démocratique pacifique, a été annoncé quelques jours après que les manifestants avaient organisé des marches importantes à travers Khartoum et dans d’autres régions du pays. La percée est intervenue, selon des sources concordantes, lors d’une réunion secrète tenue à Khartoum la veille des manifestations, le 29juin, lorsque des diplomates des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Arabie saoudite et des EAU ont demandé aux deux parties en litige d’accepter les propositions de l’UA et de l’Ethiopie. Six jours plus tard, le 5 juillet, les deux parties ont annoncé avoir conclu un accord de partage du pouvoir.
Dans cette réunion, les deux parties se sont mises d’accord sur les principaux points du compromis qui a débloqué la situation, notamment la création d’un conseil souverain partagé par les militaires et les civils qui dirigera le pays pendant un peu plus de trois ans au terme desquels des élections générales seront organisées. Un chef militaire dirigera le conseil pendant les 21 premiers mois, suivi d’un chef civil pendant les 18 mois suivants. Les deux parties se sont également mises d’accord pour ouvrir une enquête soudanaise indépendante sur les violences exercées par les forces de sécurité sur les manifestants le mois dernier, bien qu’il ne soit pas clair si quelqu’un sera tenu pour responsable. Selon un responsable militaire soudanais qui a requis l’anonymat, l’Administration américaine, dans sa tentative de presser le CMT de conclure rapidement un accord avec les manifestants, a adressé à Khartoum un message très clair: le partage du pouvoir en échange de garanties que personne du conseil ne sera jugé, en référence à la dispersion violente du campement des protestataires devant le QG de l’armée, le 3juin. Alors que les manifestants ont affirmé que les forces de sécurité avaient tué au moins 128 personnes, les autorités ont souligné que le nombre de morts ne dépasse pas les 61, y compris des membres du personnel de sécurité.
L’intervention énergique des Etats-Unis en faveur d’un accord politique entre protagonistes soudanais se justifie par leur crainte qu’une crise prolongée ne se transforme en une guerre civile, semblable à celles en Libye, en Syrie et au Yémen, créant ainsi un nouveau foyer de déstabilisation dans la région, dont profiteraient des groupes islamistes radicaux, tels Daech et Al-Qaëda. Les craintes américaines sont nées des violences du 3juin, qui ont provoqué l’interruption des négociations entre les militaires et les manifestants. Pour les Américains, c’était un signal d’alarme d’une possible escalade de la violence et d’une détérioration de la situation, lourdes de conséquences.
En conséquence, pour éviter davantage de dégradation et sauver la situation, l’Administration américaine a décidé d’intervenir politiquement dans la crise. Le 10juin, elle a nommé un diplomate chevronné, Donald Booth, comme envoyé spécial au Soudan. Le 25 juin, la secrétaire d’Etat adjointe pour l’Afrique de l’Est et le Soudan, Makila James, a averti que l’Administration américaine envisageait d’imposer des sanctions contre les autorités soudanaises en cas de nouvelles violences, après l’assaut meurtrier contre les manifestants à Khartoum au début du mois. Washington a également indiqué récemment que le Soudan resterait sur la liste des Etats qui parrainent le terrorisme jusqu’à ce que l’armée quitte le pouvoir. Cette décision empêche en particulier Khartoum d’avoir accès à des financements indispensables de la part des bailleurs de fonds internationaux.
Les pressions américaines sur les manifestants soudanais, représentés par une coalition connue sous le nom de l’Alliance des forces pour la liberté et le changement, visaient à faire baisser leurs revendications et à réduire leurs attentes des négociations avec le CMT. Washington a contacté à cet effet différentes factions de l’opposition et des manifestants, dont certains ont ensuite menacé de négocier séparément avec le Conseil militaire. Les leaders du mouvement de protestation ont finalement cédé lorsqu’il est apparu que la coalition risquait de se fracturer.
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