Malgré la destitution du président soudanais Omar Al-Béchir après 30 ans au sommet d’un pouvoir islamiste, et malgré la démission du ministre de la Défense, Awad Ibn Auf, la situation au Soudan semble extrêmement complexe et ouverte à des changements rapides et des scénarios incertains. Plusieurs facteurs alimentent cette inquiétude, notamment la politique du Conseil militaire et ses intentions quant au transfert du pouvoir aux civils, ainsi que les tensions entre les forces politiques et, enfin, le contrôle des stocks d’armes et la présence éventuelle d’autres groupes armés. En outre, les mouvements armés au Darfour et dans les monts de Nubie ne semblent partager ni les mêmes positions, ni le même discours que l’Alliance pour la liberté et le changement. Cela explique l’absence des forces dites marginales lors de la première réunion de négociation entre l’Alliance pour la liberté et le changement et le Conseil militaire. Cela a amené Abdel-Wahid Al-Nour, chef du Mouvement de libération du Soudan au Darfour, à adopter une attitude négative vis-à-vis de cette alliance.
A l’échelle régionale, les interactions ne sont pas moins complexes. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis soutiennent économiquement et politiquement le Conseil militaire actuel, étant donné que le président de ce conseil et son numéro 2 se sont occupés des forces soudanaises au Yémen au sein de la « Coalition pour le soutien de la légitimité ». Le Caire, de son côté, a été relativement prudent et a choisi d’exprimer son « soutien au peuple soudanais » et sa « confiance dans l’armée ». Consciente du risque que représentent les tensions entre les mouvements politiques sur la stabilité de l’Etat soudanais, l’Egypte a déjà dépêché à Khartoum deux délégations sécuritaires de haut niveau.
Il ne serait pas imprudent d’affirmer que les divergences politiques entre les parties soudanaises ne risquent pas d’être réglées dans un avenir proche. Au cas où l’instabilité perdurerait, le Soudan pourrait témoigner d’affrontements armés, notamment au Darfour, le maillon fragile, où sont d’habitude testés les rapports de force.

L’évolution de la situation actuelle est donc déterminée par un certain nombre de facteurs. Premièrement, la faisabilité de transférer le pouvoir aux civils : alors que le comité de médiation proposait la formation d’un conseil de sécurité et de défense nationale de sept miliaires et trois civils, l’un des membres du Conseil militaire a estimé que le Conseil souverain de transition devrait être exclusivement composé de militaires. De même, on a vu l’émergence d’un discours politique adopté par le président du Conseil militaire, Abdel-Fattah Al-Burhane, et d’autres au conseil, mettant en doute la capacité des forces civiles à assumer le pouvoir. Il a notamment déclaré avoir reçu une centaine de propositions sur l’avenir du système politique de la part de l’Alliance pour la liberté et le changement, une alliance, selon lui, divisée et qui envoie des délégations aux objectifs contradictoires. Ensuite, le Conseil militaire a tenté, à plusieurs reprises, de disperser le sit-in devant le QG de l’armée, d’abord en douceur, avant de déclarer la nécessité de démanteler les barrages routiers, afin d’ouvrir la voie à la circulation et aux transports. De son côté, Mohammed Hamdan Daglo, vice-président du Conseil militaire de transition, a fait état de victimes parmi les policiers, ajoutant que le Conseil ne permettrait pas le chaos. On note également une tension entre le mouvement de protestation et les élites du mouvement nationaliste islamique qui ont tout intérêt à faire perpétuer l’ancien régime et qui détiennent les richesses et l’économie du pays. Pour se faire une place sur le nouvel échiquier, ces élites multiplient les contacts avec le Conseil militaire, tout en s’employant à ternir l’image des protestataires. Les nationalistes islamistes cherchent en fait à démanteler l’Alliance pour la liberté et le changement, qui rassemble des mouvements politiques classiques et nouveaux ainsi que la fameuse Association des Professionnels Soudanais (APS). Dans une tentative de diaboliser les protestataires, les islamistes utilisent les mosquées et les réseaux sociaux comme plateformes pour présenter l’APS comme un mouvement communiste.
Le discours sec à l’égard des protestataires et l’atermoiement à l’égard de leurs revendications risquent de rendre la situation encore plus délicate. De plus, le vice-président du Conseil militaire, Mohammed Hamdan Daglo, a tendance à s’engager dans des coalitions éphémères et instables. Il n’encouragera probablement pas l’adoption d’une politique sévère contre les manifestants.
En ce qui concerne le mouvement de protestation, il a gagné les provinces et les quartiers de la capitale, sans parler du sit-in devant le QG de l’armée. Le leadership de ce mouvement est riche d’une expérience politique accumulée au cours des 50 dernières années, notamment en matière de protestations, d’alliances et de négociations. Il est peu probable qu’il fasse des concessions aux militaires.
Cela dit, le scénario le plus dangereux reste les affrontements de rue entre les islamistes et le reste des forces politiques .
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