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Qui détiendra le pouvoir au Soudan ?

Monday 6 mai 2019

Malgré la destitution du président souda­nais Omar Al-Béchir après 30 ans au sommet d’un pouvoir islamiste, et malgré la démission du ministre de la Défense, Awad Ibn Auf, la situation au Soudan semble extrême­ment complexe et ouverte à des changements rapides et des scénarios incertains. Plusieurs facteurs alimentent cette inquiétude, notam­ment la politique du Conseil militaire et ses intentions quant au transfert du pouvoir aux civils, ainsi que les tensions entre les forces politiques et, enfin, le contrôle des stocks d’armes et la présence éventuelle d’autres groupes armés. En outre, les mouvements armés au Darfour et dans les monts de Nubie ne semblent partager ni les mêmes positions, ni le même discours que l’Alliance pour la liberté et le changement. Cela explique l’absence des forces dites marginales lors de la première réunion de négociation entre l’Alliance pour la liberté et le changement et le Conseil militaire. Cela a amené Abdel-Wahid Al-Nour, chef du Mouvement de libération du Soudan au Darfour, à adopter une attitude négative vis-à-vis de cette alliance.

A l’échelle régionale, les interactions ne sont pas moins complexes. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis soutiennent économique­ment et politiquement le Conseil militaire actuel, étant donné que le président de ce conseil et son numéro 2 se sont occupés des forces soudanaises au Yémen au sein de la « Coalition pour le soutien de la légitimité ». Le Caire, de son côté, a été relativement pru­dent et a choisi d’exprimer son « soutien au peuple soudanais » et sa « confiance dans l’ar­mée ». Consciente du risque que représentent les tensions entre les mouvements politiques sur la stabilité de l’Etat soudanais, l’Egypte a déjà dépêché à Khartoum deux délégations sécuritaires de haut niveau.

Il ne serait pas imprudent d’affirmer que les divergences politiques entre les parties souda­naises ne risquent pas d’être réglées dans un avenir proche. Au cas où l’instabilité perdure­rait, le Soudan pourrait témoigner d’affronte­ments armés, notamment au Darfour, le maillon fragile, où sont d’habitude testés les rapports de force.

Qui détiendra le pouvoir au Soudan ?

L’évolution de la situation actuelle est donc déterminée par un certain nombre de facteurs. Premièrement, la faisabilité de transférer le pouvoir aux civils : alors que le comité de médiation proposait la formation d’un conseil de sécurité et de défense nationale de sept miliaires et trois civils, l’un des membres du Conseil militaire a estimé que le Conseil souverain de transition devrait être exclusive­ment composé de militaires. De même, on a vu l’émergence d’un discours politique adopté par le président du Conseil militaire, Abdel-Fattah Al-Burhane, et d’autres au conseil, mettant en doute la capacité des forces civiles à assumer le pouvoir. Il a notam­ment déclaré avoir reçu une centaine de pro­positions sur l’avenir du système politique de la part de l’Alliance pour la liberté et le chan­gement, une alliance, selon lui, divisée et qui envoie des délégations aux objectifs contra­dictoires. Ensuite, le Conseil militaire a tenté, à plusieurs reprises, de disperser le sit-in devant le QG de l’armée, d’abord en douceur, avant de déclarer la nécessité de démanteler les barrages routiers, afin d’ouvrir la voie à la circulation et aux transports. De son côté, Mohammed Hamdan Daglo, vice-président du Conseil militaire de transition, a fait état de victimes parmi les policiers, ajoutant que le Conseil ne permettrait pas le chaos. On note également une tension entre le mouve­ment de protestation et les élites du mouve­ment nationaliste islamique qui ont tout inté­rêt à faire perpétuer l’ancien régime et qui détiennent les richesses et l’économie du pays. Pour se faire une place sur le nouvel échiquier, ces élites multiplient les contacts avec le Conseil militaire, tout en s’employant à ternir l’image des protestataires. Les natio­nalistes islamistes cherchent en fait à déman­teler l’Alliance pour la liberté et le change­ment, qui rassemble des mouvements poli­tiques classiques et nouveaux ainsi que la fameuse Association des Professionnels Soudanais (APS). Dans une tentative de dia­boliser les protestataires, les islamistes utili­sent les mosquées et les réseaux sociaux comme plateformes pour présenter l’APS comme un mouvement communiste.

Le discours sec à l’égard des protestataires et l’atermoiement à l’égard de leurs revendica­tions risquent de rendre la situation encore plus délicate. De plus, le vice-président du Conseil militaire, Mohammed Hamdan Daglo, a ten­dance à s’engager dans des coalitions éphé­mères et instables. Il n’encouragera probable­ment pas l’adoption d’une politique sévère contre les manifestants.

En ce qui concerne le mouvement de protestation, il a gagné les provinces et les quartiers de la capitale, sans parler du sit-in devant le QG de l’armée. Le lea­dership de ce mouvement est riche d’une expérience politique accumulée au cours des 50 dernières années, notamment en matière de protestations, d’alliances et de négocia­tions. Il est peu probable qu’il fasse des concessions aux militaires.

Cela dit, le scénario le plus dangereux reste les affrontements de rue entre les islamistes et le reste des forces politiques .

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