A l’approche des manifestations de l’opposition le 30 juin, le camp présidentiel affûte ses armes. Les Frères musulmans, dont est issu le président Mohamad Morsi, s’étaient mis à la recherche d’alliés politiques face à ce qui semble être l’épreuve la plus sérieuse pour le régime, depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir. Ils les ont trouvés dans une coalition de petits partis islamistes, dont certains sont des plus radicaux de la scène politique.
Depuis que le parti salafiste Al-Nour, deuxième force politique après le Parti Liberté et Justice (PLJ), bras politique de la confrérie, eut pris ses distances vis-à-vis du régime après avoir été marginalisé par ce dernier, le camp présidentiel s’était retrouvé presque seul face à une opposition libérale de plus en plus acharnée, rejointe par les salafistes d’Al-Nour. Le régime s’était alors entouré d’une coalition de petits partis islamistes, dont Al-Wassat (modéré) et le Parti salafiste ultraconservateur de la Construction et du Développement (PCD), bras politique de la Gamaa islamiya, ancien groupe djihadiste qui a renoncé à la violence à la fin des années 1990. C’est celui-ci qui est monté au créneau ces derniers jours, notamment lors de l’imposante manifestation d’islamistes au Caire, le 21 juin, en soutien au président, pour tenir un discours incendiaire visant à l’évidence à intimider l’autre camp et à le dissuader de descendre manifester le 30 juin.
La rhétorique tenue par plusieurs partisans du président met l’accent sur le caractère religieux du conflit qui les oppose aux libéraux : ceux-ci sont ainsi taxés volontiers d’infidèles ou d’athées. L’un d’eux, Safwat Abdel-Ghany, membre du PCD au Conseil consultatif (Chambre haute du Parlement), a qualifié la campagne de l’opposition contre le président de « guerre contre l’islam ». Cette présentation religieuse a été cependant mise à mal par deux positions importantes prises par le parti salafiste Al-Nour et l’institution d’Al-Azhar, la plus haute autorité sunnite. Les salafistes d’Al-Nour, autrefois alliés de la confrérie, ont rejoint depuis le début de l’année l’opposition du Front National du Salut (FNS). Depuis, ils dénoncent autant que lui les tendances hégémoniques des Frères musulmans et leurs erreurs dans la gestion des affaires du pays, sans aller toutefois jusqu’à réclamer le départ du président. Pour eux, il faut respecter le choix populaire exprimé lors de la présidentielle de juin dernier et permettre à Mohamad Morsi de terminer son mandat de 4 ans, tout en s’efforçant, sans grand succès jusqu’ici, de trouver des solutions de compromis entre le pouvoir et l’opposition.
De son côté, le grand imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayeb, a tenu à réfuter la dimension religieuse mise en avant par les partisans du camp présidentiel, afin de galvaniser leurs troupes et discréditer leurs adversaires. Le 19 juin, au lendemain d’une réunion avec le président Morsi, qui lui aurait demandé de prendre position contre les manifestations du 30 juin, le cheikh d’Al-Azhar a fait clairement savoir que l’opposition « pacifique » aux dirigeants est permise en islam et que la violence est un « grand péché » et non pas un acte d’infidélité (kofr). Il répondait ainsi aux « fausses » fatwas (décrets) religieuses émises par des cheikhs « incompétents » prétendant que ceux qui s’opposent aux dirigeants sont des « hypocrites » et des « infidèles ».
Face à la croissante opposition intérieure qui devrait culminer dans d’imposantes manifestations le 30 juin, le régime s’est également employé à s’assurer un soutien étranger. Il l’a trouvé dans les Etats-Unis, pourvoyeurs d’une aide annuelle militaire et économique de plus de 1,5 milliard de dollars. La position annoncée en grande pompe par Morsi, le 15 juin, de rompre les relations diplomatiques avec le régime alaouite de Bachar Al-Assad et de soutenir la création d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie, était à l’évidence destinée à satisfaire les nouveaux alliés salafistes des Frères musulmans, mais aussi l’allié américain. Partant d’une vision sectaire farouchement anti-chiite, les salafistes sont partisans d’une position des plus fermes à l’encontre du régime syrien, tenu par les Alaouites, qui forment une branche du chiisme, et de ses alliés régionaux chiites, l’Iran et le Hezbollah libanais. Tenants d’une vision alarmiste, les salafistes mettent régulièrement en garde contre l’expansion du chiisme en Egypte et dans le monde arabe. La décision de rompre avec la Syrie est également intervenue à la suite de l’annonce par les Etats-Unis de leur décision d’armer les rebelles syriens et des informations prêtées à Washington de sa volonté d’instaurer une zone d’exclusion aérienne au sud de la Syrie.
L’ambassadrice des Etats-Unis au Caire, Anne Patterson, a multiplié ces derniers jours les entretiens avec les figures de l’opposition pour les convaincre de ne pas manifester le 30 juin, soutenant qu’il n’est pas encore trop tard de parvenir à un compromis avec le président. Cette attitude, interprétée par l’opposition comme un soutien au régime des Frères musulmans, a valu à l’ambassadrice d’être accusée d’ingérence dans les affaires intérieures du pays. L’action de Patterson s’inscrit cependant dans la droite ligne de la politique des Etats-Unis pour défendre leurs intérêts en Egypte et au Moyen-Orient. Loin de tenir particulièrement à coeur les Frères musulmans ou leur naissant régime politique, les Etats-Unis trouvent que, malgré certaines inquiétudes, leurs intérêts essentiels sont préservés jusqu’ici par les politiques du Caire. Et pour pouvoir continuer à protéger ces intérêts dans un pays et une région en pleine ébullition, Washington tient à la stabilité en Egypte. Toute nouvelle flambée de violence et de forte instabilité et incertitude quant à l’avenir politique du pays mettra à mal et compliquera la protection des intérêts américains. Patterson n’y est pas allée par quatre chemins. « L’Egypte a besoin de stabilité (…) Plus de violence dans les rues ne fera qu’ajouter de nouveaux noms à la liste des martyrs », a-t-elle dit aux représentants de l’opposition. Dans la même veine, elle a assuré aux responsables de la confrérie que les Etats-Unis s’opposent à la tenue d’élections présidentielles anticipées et qu’ils sont pour le maintien du président Morsi jusqu’au terme de son mandat.
Mais l’opposition et les partisans d’un départ anticipé du président et des Frères musulmans du pouvoir ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, l’Egypte, malgré certains gains acquis grâce à la révolution, est en proie à une détérioration prononcée sur les plans politique, économique et social et qu’à défaut d’une réorientation majeure des politiques actuelles, le pays court à sa perte dans quelques mois et non dans 3 ans .
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