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L'après-protestations au Soudan

Monday 7 janv. 2019

Au cours des trois dernières semaines, les voix se sont élevées au Soudan, demandant le départ du président Omar Al-Béchir. Cette réclamation populaire a commencé à se concrétiser au quatrième jour des protestations qui avaient commencé pour des raisons économiques, alors que la majorité du peuple était incapable d’obtenir le pain et le carburant. De plus que les citoyens ne peuvent plus avoir accès à leurs épargnes bancaires puisque le gouvernement est devenu incapable d’assurer la liquidité monétaire. Et bien que le gouvernement ait fermé temporairement les établissements scolaires à Khartoum et dans l’Etat de Sennar, ceci n’a pas empêché les protestations de persister et de s’étendre au niveau géographique et quantitatif.

C’est à la veille du retour du premier ministre soudanais, Al-Sadek Al-Mahdi, à Khartoum après une tournée dans les villes d’Atbara au nord-est du Soudan, puis Gedaref, et d’autres, que les protestations se durcissent. Al-Mahdi n’a pas réussi à répondre aux réclamations des foules et a effectivement affronté de larges critiques dans les cercles de l’opinion publique soudanaise. Mais il a vite fait d’assimiler la situation à travers un des plus importants pôles du parti du Conseil de la nation (Al-Oumma), Sara Naqd Allah. Celle-ci a effectivement contribué à transformer la position du parti Al-Oumma en s’alignant sur la rue soudanaise. Et le sixième jour, les protestations ont été guidées par l’Union indépendante des professionnels soudanais. Celle-ci a adopté l’initiative d’un mémorandum adressé à la présidence et composé d’une clause unique, réclamant le départ du président Al-Béchir. L’union a déposé ce mémorandum auprès des représentants de l’Union européenne au Soudan ainsi que des ambassades des capitales étrangères.

Au cours des deux dernières semaines, le président a lui-même fait face à des protestations dans plusieurs de ses discours, renonçant ainsi au ton tempéré qu’il avait adopté au début dans une tentative de contenir les protestations. En effet, il avait fait des promesses d’améliorer la situation économique, et lorsqu’il a perdu l’espoir de calmer les manifestations qui se sont au contraire élargies, il a eu recours à un discours différent. Il a premièrement essayé de gagner la sympathie du peuple en disant que le Soudan avait été exposé à un complot et un embargo pendant plus de 21 ans. Puis, il a eu recours à l’accusation de cellules originaires du Darfour sous la direction de Abdel-Wahed Nour, qui s’est révolté contre Khartoum depuis 2003, de fomenter un complot contre le peuple soudanais. Et tentant de semer la terreur sur des bases éthiques entre le centre et l’ouest du Soudan. Et cette accusation a immédiatement été niée par Nour. Puis il a annoncé qu’il y avait un complot étranger mouvementé par les ambassades de certains pays, dans l’objectif de renverser son pouvoir. Dans tous les cas, il est courant de voir les régimes non démocratiques accuser les protestataires d’être des traîtres et des agents au profit de l’étranger. A partir de ce moment-là, le président Al-Béchir s’est réuni avec les forces de l’ordre, leur promettant une hausse de salaire. Suite à cette réunion un document dont on ignore la source aurait été glissé, autorisant l’utilisation des armes contre les protestataires. Raison pour laquelle des manifestants pacifiques ont été tués au Soudan. Et il n’était pas étrange dans ce contexte de voir le régime recourir à une large campagne d’arrestations, en particulier à la veille des vendredis, jours de rassemblement des foules. Depuis le début des manifestations, 45 personnes ont été tuées, 450 blessées, et il y a environ 900 détenus selon des rapports journalistiques.

On peut dire que les protestations soudanaises sont des protestations populaires par excellence, auxquelles ont ensuite adhéré les partis politiques et l’Union des professionnels indépendants. Ces protestations avaient commencé avec un caractère économique et social, avant de faire des réclamations politiques demandant la chute du régime politique. Surtout que le président Al-Béchir envisageait de déposer sa candidature pour un nouveau mandat présidentiel.

Les intentions d’amender la Constitution ont donné un nouveau prétexte aux protestations populaires. En effet, le parlement avait l’intention d’adopter l’amendement de la Constitution, visant à augmenter le nombre de mandats présidentiels à Al-Béchir. Le président du parlement soudanais, Ahmad Omar, avait annoncé le 5 décembre qu’il avait reçu un mémorandum signé par 33 partis représentants 294 députés d’effectuer un amendement de la Constitution en ce qui concerne le nombre de mandats présidentiels. Et ce, après que le mouvement islamique eut tenu sa 9e conférence pour annoncer son soutien de la candidature d’Al-Béchir pour les élections de 2020. Bref, on peut dire qu’il est probable qu’il y ait prochainement un changement à la tête du régime au Soudan pour plusieurs raisons. Premièrement : L’existence d’une confusion au sein des appareils de sécurité. Effectivement, aux premiers jours du mouvement, des directions de l’armée se sont alignées sur les protestataires à Atbara. Ce qui a alimenté les craintes d’un coup d’Etat dirigé par des éléments appartenant au Front national islamique, dans l’objectif de contrôler les protestations et provoquer un changement formel en éliminant uniquement la tête du régime, de façon à sauvegarder les intérêts des élites actuelles. Or, ceci a coïncidé avec le fait que Mohamed Hamdan Doglo Hemeti, dirigeant des unités de forces de soutien rapides, a nié avoir assumé n’importe quel rôle dans la répression des protestataires. Quant à l’armée nationale, elle a publié un communiqué annonçant qu’elle soutenait la direction et qu’il existait une entente entre tous les appareils sécuritaires de l’Etat, l’armée, la police et les forces de soutien rapides. Mais Hemeti a annoncé sa dissidence et a même critiqué ce qui se passe, assurant une fois de plus que ses forces n’étaient pas impliquées dans la répression des protestations.

Deuxième raison: Les partis, qui étaient en coalition avec Al-Béchir, comme le Parti dela conférence populaire, des ex-alliés ou des ex-ministres, ou bien des ministres islamistes en dissension comme Ghazi Salah Eddine qui dirige actuellement le mouvement d’Al-Eslah (la réforme), tous ceux-ci ont « sauté du bateau du président » et ont même dernièrement annoncé qu’ils réclamaient son départ à travers une coalition regroupant 22 partis soudanais qui étaient auparavant alliés au président.

Troisièmement: Avec l’extension de la contestation, il y a un risque que les pays étrangers arrêtent leur soutien à un président refusé par son peuple, surtout qu’il est au pouvoir depuis 30 ans et qu’il a préalablement rejeté des accords qui lui avaient été proposés de quitter le pouvoir de façon sûre afin d’éviter que le pays ne tombe dans le chaos.

Quatrièmement : Le Soudan connaît des troubles depuis 2012, parce qu’il a perdu ses ressources pétrolières avec l’indépendance du Soudan du Sud à la suite d’un référendum populaire organisé en 2011. A cela s’ajoute l’incapacité de moderniser les statuts économiques de l’Etat et d’exploiter l’or dans un cadre de transparence, ainsi que d’enrayer la corruption endémique, responsable notamment de la mauvaise exploitation des aides financières allouées par les pays du Golfe et destinées à améliorer l’économie soudanaise.

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