Le « marché du siècle » destiné à résoudre le conflit israélo-palestinien sera-t-il annoncé un jour? Cette initiative américaine promise par le président Donald Trump peu après son arrivée au pouvoir en janvier 2017 bat de l’aile. Après presque deux ans de préparation par Jared Kushner, conseiller du président et aussi son gendre, et Jason Greenblatt, envoyé spécial aux négociations internationales, l’initiative américaine n’est pas encore prête à être présentée aux parties prenantes, notamment les Palestiniens et les Israéliens.
Le 10 décembre, Kushner a exprimé l’espoir qu’elle serait présentée aux protagonistes dans les deux prochains mois. Mais les responsables américains avancent que le temps n’est pas encore propice à la présenter et ne cachent pas leurs craintes qu’elle ne soit mort-née si elle est présentée dans un contexte régional défavorable. Et de citer en particulier le refus par l’Autorité palestinienne de l’initiative américaine avant même de l’avoir lue. Or, la partie palestinienne soutient que les émissaires états-uniens ont donné toutes les indications que le contenu de l’initiative américaine refléterait un parti pris flagrant en faveur d’Israël, car ils ont évité toute référence explicite à la solution des deux Etats, refusé de reconnaître le droit des réfugiés palestiniens au retour, soutenu une présence militaire permanente d’Israël dans la vallée du Jourdain et approuvé le maintien des colonies juives en Cisjordanie.

Les envoyés spéciaux américains sont également restés silencieux sur l’emplacement de la future capitale de l’Etat palestinien, au même moment où les Etats-Unis ont reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, en décembre 2017, et y ont transféré leur ambassade en mai dernier, préjugeant du statut final de la Ville sainte que les Palestiniens veulent faire de sa partie orientale la capitale de leur futur Etat. L’Administration Trump réfute cette thèse et rétorque que sa reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d’Israël ne préjuge pas du sort de toute la ville dans un éventuel accord de paix. Or, les responsables américains n’ont jamais explicitement annoncé, comme ce fut le cas avec Israël en décembre dernier, que les Palestiniens ont un droit réciproque à une capitale à Jérusalem. Ils ont gardé le mutisme total sur la question. En conséquence, l’Autorité palestinienne a suspendu ses contacts diplomatiques avec l’Administration américaine pour protester contre cette position contraire aux droits palestiniens.
La réalité est que les Etats-Unis, depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, ont effectué un virage sans précédent en faveur d’Israël et contre les Palestiniens. Ils ont supprimé toute référence à la solution à deux Etats ou à l’indépendance palestinienne, en qualifiant ces termes de « vides de sens » sans pour autant proposer d’autres solutions. Même quand le président américain a évoqué pour la première fois en septembre dernier son soutien à la solution des deux Etats, il est resté vague en avançant qu’il sera d’accord avec la solution qu’accepteraient les Israéliens et les Palestiniens et que, pour lui, peu importe la forme que prendra la solution finale: un ou deux Etats.
Outre ces positions en faveur d’Israël, les Etats-Unis ont pris des mesures concrètes qui n’ont fait qu’aliéner davantage la partie palestinienne et prouvé l’iniquité de leur attitude à son égard, à commencer par la décision du 31 août dernier de cesser la contribution financière américaine au budget de l’Agence des Nations-Unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens (Unrwa). Justifiant sa décision de priver celle-ci du quart de son budget (360millions de dollars versés en 2017), l’Administration Trump a accusé l’Unrwa d’être un organe corrompu et inefficace perpétuant un faux discours sur les réfugiés défavorables à la recherche de la paix. Cette décision de Washington a renforcé la conviction palestinienne que l’Administration Trump épouse les visées israéliennes, en s’employant à priver les réfugiés palestiniens de leur droit au retour. Le 10 septembre, le Département d’Etat décide de fermer le bureau de représentation de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) à Washington, en raison de l’opposition de l’Autorité palestinienne à l’initiative de paix américaine et de son intention de porter plainte devant la Cour pénale internationale contre Israël pour ses crimes de guerre commis contre les Palestiniens. Par sa décision, Washington voulait forcer les Palestiniens à reprendre les contacts sur une initiative que tout indique qu’elle serait contre les droits du peuple palestinien.
Ainsi, le contexte régional défavorable que craignent les responsables américains pour leur initiative est plutôt l’oeuvre des Etats-Unis eux-mêmes. Le mauvais contexte est également à chercher du côté d’Israël. Risquant des élections anticipées après la démission du ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, et le retrait de son parti Israel Beytenou de la coalition gouvernementale, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, ne souhaite aucune annonce d’initiative de paix, qui le mettrait en difficulté avec ses partenaires de l’extrême droite. Une source diplomatique israélienne a déclaré récemment que le premier ministre « ne préfère aucune annonce du plan (de paix), surtout maintenant, compte tenu de la crise politique en Israël ». Au-delà de la conjoncture israélienne liée au risque d’élections anticipées, la coalition gouvernementale la plus à droite de l’histoire d’Israël est inapte à engager des négociations de paix avec les Palestiniens, car opposée à toute concession dans un processus de paix. Des responsables israéliens ont ainsi fait fuiter dans les médias leur souhait que la publication de l’initiative américaine soit retardée, de préférence indéfiniment. De son côté, le ministre de l’Education, Naftali Bennett, le chef du parti ultranationaliste Le Foyer juif a déclaré que « tant que Le Foyer juif reste au gouvernement, il n’y aura pas d’Etat palestinien ».
La politique de l’Administration Trump vis-à-vis du conflit israélo-palestinien a oscillé entre pro-israélienne et très pro-israélienne. Elle a rompu avec la politique traditionnelle des Etats-Unis et le consensus de la communauté internationale en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, compromettant les chances de réussite de sa propre initiative de paix. Les raisons du contexte défavorable dont se plaignent les responsables américains sont à chercher plutôt dans la mauvaise approche suivie par la Maison Blanche qui a créé un environnement délétère impropre à toute avancée de paix.
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