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Le Caire et Khartoum, défis et réponses

Mardi, 31 juillet 2018

Dans son « Etude de l’histoire », l’historien britannique Arnold Toynbee a présenté l’évolution des sociétés et des grandes civilisations en termes de défis et de réponses. Les civilisations naissent en réponse à des défis et évoluent grâce à leur capacité de les relever. Tel est l’enjeu. La longévité d’une civilisation dépend de sa capacité de s’adapter aux changements, d’affronter les aspects dangereux de ces changements et profiter de tout ce qu’ils apportent de positif. L’idée est valable pour les sociétés, les Etats, nations et même les individus. Ici, la notion de changement ne réfère pas à un processus dont on connaît d’emblée le début et la fin, mais à un état d’évolution permanente, quantitative et qualitative, sur la durée. De même, le défi qui se pose aux individus, aux sociétés et aux Etats est un défi renouvelé qui suppose une réaction continue. L’absence de celle-ci signifie la stagnation et la mort.

Ce même principe de défis et de réponses, on peut l’appliquer sur les relations entre l’Egypte et le Soudan, dans une région en plein mouvement. La récente visite du président Abdel-Fattah Al-Sissi à Khartoum, la 5e depuis son élection en 2013 et la première de son second mandat, montre que le Soudan, un pays avec lequel nous partageons des liens historiques et sociaux ainsi que beaucoup d’intérêts, est une pierre angulaire de la politique du Caire dans le monde arabe et en Afrique. Et il en va de même pour Khartoum.

Mais ces liens diversifiés unissant les deux pays ne représentent un atout que s’ils sont entretenus par une réaction positive et concertée aux évolutions régionales. Compter sur les seuls liens historiques sans rien faire pour les entretenir, et sans prendre en compte les changements à l’intérieur de chaque pays et dans la région, fera de ces liens des chaînes et des obstacles.

Dans la foulée d’événements qui ont changé la région entière en 2011, nous avons vu comment certains se sont employés à soulever les vagues et à transformer les atouts historiques en obstacles et en difficultés pour diviser ces deux pays. Et ce, alors que des sages des deux côtés essayaient, de leur côté, de capitaliser sur les points communs, historiques, sociaux et économiques dans l’intérêt des deux pays.

Des propos semi-officiels ont visé l’Egypte, l’accusant de comploter avec l’Erythrée pour faire chuter le régime soudanais, voire pour occuper une partie du territoire soudanais. Ce fut l’un des moments les plus difficiles par lesquels les deux pays sont passés. La crise a eu lieu sur fond de divergences autour du barrage éthiopien de la Renaissance et de tensions entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Pendant ces moments difficiles, Le Caire avait rappelé son principe de non-ingérence, un principe qu’il n’a jamais trahi, tout en assurant qu’il ne cherchait ni les complots ni la guerre, et ce, quelles que soient les dissensions avec ses pays frères. Ce sont ces principes que le président Sissi a pris soin de réitérer lors de sa rencontre à Khartoum avec des officiels et des intellectuels soudanais.

Si l’on considère la théorie susmentionnée de Toynbee, on réalisera combien l’Egypte et le Soudan ont besoin de continuer à construire des liens encore plus solides et diversifiés, afin de pouvoir protéger leurs intérêts communs. Au cours des 5 dernières années, la donne régionale a beaucoup changé. Des dangers sécuritaires provenant de la mer Rouge, précisément de son embouchure sud, guettent les deux pays. Pendant des années, la région de la mer Rouge était en dehors de la sphère des influences étrangères. Aujourd’hui, cette région est devenue une source d’ingérences. Les bases militaires étrangères s’y multiplient une année après l’autre, avec tout ce que cela représente en termes de menaces pour les intérêts des pays du pourtour de la mer Rouge et pour les alliances en place.

La réponse à ce défi ne se fait qu’à travers une alliance plutôt qu’une simple coopération militaire. L’Egypte et le Soudan ont tout ce qu’il faut pour mettre en place une telle alliance, afin de faire avancer leurs intérêts communs et faire face aux défis environnants. L’essentiel c’est de voir clair et de mettre de côté les petites divergences pour se focaliser sur les questions primordiales.

Dans la même logique, il serait important d’élargir cette alliance en commençant par les pays arabes côtiers de la mer Rouge, pour inclure, outre l’Egypte et le Soudan, l’Arabie saoudite et la Jordanie, et dans un deuxième terme, la Somalie et le Yémen. Cette alliance sera une interlocutrice avec l’Ethiopie et l’Erythrée. Parce que les grands défis nécessitent des réponses non moins grandes, alors que les démarches limitées peuvent être utiles seulement à court terme. Ainsi, la réconciliation entre l’Ethiopie et l’Erythrée est une évolution majeure, et de ce fait, elle implique une réaction à la hauteur. C’est une grande opportunité pour l’Egypte et le Soudan dans la mesure où elle les libère des susceptibilités dans leurs relations avec ces deux pays.

Tous ensemble, les quatre pays ont intérêt à réfléchir à une structure de développement commun, surtout qu’ils partagent les mêmes inquiétudes et que d’autres pays qui s’invitent dans la région souhaitent leur dicter leurs actes.

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