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Le témoignage de Salah Montasser

Tuesday 24 juil. 2018

On peut accepter ou refuser certaines opinions du grand journaliste Salah Montasser (85 ans), mais ce qu’on ne peut pas faire c’est ne pas reconnaître qu’il a demeuré durant toute sa carrière journalistique indépendant de tous les régimes politiques qu’il a connus, ceux de Abdel-Nasser, Sadate, Moubarak, et le régime actuel de Sissi. Il a passé sa vie de journaliste à observer les événements et à les analyser, sans jamais être au service d’un régime. C’est pourquoi ses critiques, objectives et désintéressées, ont toujours été le fruit de ses convictions.

Salah Montasser a dernièrement écrit Mon Témoignage sur l’ère Nasser, un livre qu’il m’a dédié en ces mots : « Je sais d’emblée que vous ne serez pas d’accord avec moi, mais j’espère que cela n’affectera en rien notre amitié ». Entre les couvertures de ce livre de 142 pages, Montasser a placé ses critiques contre les politiques du leader Gamal Abdel-Nasser qui a présidé l’Egypte de 1952 et jusqu’à son décès le 28 septembre 1970.

En fait, j’ai trouvé dans ce livre plus de points communs avec l’auteur que de divergences. Celui-ci a parlé du leadership sans précédent de Nasser, de l’amour des peuples qu’il a gagné à travers le monde arabe, de sa sincérité vis-à-vis des objectifs auxquels il a consacré sa vie et dont il a réalisé certains, et échoué — d’après l’auteur — à réaliser d’autres.

Dans son livre, Salah Montasser explique comment Nasser a réussi à libérer l’Egypte de l’occupation britannique qui a perduré pendant 70 ans et comment il a réussi la nationalisation du Canal de Suez. Sur ce point, l’auteur rappelle qu’il ne manquait que 12 ans avant l’échéance de la concession franco-britannique (ce qui ne veut pas dire que les anciennes puissances coloniales allaient partir de plein gré et nous laisser le canal. L’agression tripartite en est la preuve. Cette guerre planifiée en secret et exécutée avec l’aide d’Israël, avec tout ce qu’elle leur a coûté, n’aurait pas eu lieu si elles avaient vraiment l’intention de rétrocéder le canal quelques années après ... Mais cela est une autre histoire).

L’écrivain explique que la bataille de Suez était avant tout une question de dignité. Il s’agissait de rendre la gifle infligée par les Etats-Unis qui ont refusé de financer la construction du Haut-Barrage sous prétexte que l’économie égyptienne était trop faible pour un tel projet. Alors que Washington l’avait cautionné auparavant et appelé la Banque mondiale à participer à son financement. « C’est pourquoi, quand Nasser a déclaré la nationalisation du Canal de Suez le 26 juillet 1956, nous n’avions ni raisonné en termes de gains et de pertes ni pensé qu’on allait récupérer le canal dans douze ans. On savait qu’il s’agissait d’une bataille pour la dignité, et étions prêts à tous les sacrifices », lit-on dans le livre. L’écrivain rappelle comment Nasser est sorti vainqueur de la guerre de Suez, et comment son aura a dépassé les frontières de l’Egypte pour devenir le héros de tous les Arabes, malgré les revers qu’il a essuyés au cours de ses 18 années au pouvoir.

Par ailleurs, Salah Montasser rejette en bloc le système socialiste d’économie que Nasser a adopté et qui a échoué, selon lui, dans tous les pays où il a été appliqué. L’auteur insiste sur le fait qu’il n’y a pas un seul pays où le socialisme a réussi et que Nasser, s’il avait vécu plus longtemps, allait se démarquer du socialisme comme beaucoup d’ex-dirigeants socialistes l’ont fait.

Par ailleurs, l’auteur fustige avec véhémence le comité chargé de mettre fin au système des grandes propriétés terriennes qui fut présidé par le général Abdel-Hakim Amer et ses hommes, ainsi que son système de fonctionnement « entaché de beaucoup de crimes ». Toutefois, il souligne en toute objectivité le compte-rendu d’une réunion de haut niveau, où Nasser reprochait à ses assistants de ne l’avoir pas tenu au courant des abus dudit comité.

Quant à la défaite de juin 1967, elle reste inexcusable pour l’auteur qui n’exonère pas Nasser de sa part de responsabilité, même s’il reconnaît que l’ancien président ne faisait pas partie des responsables directs. En même temps, l’auteur reconnaît sans ambages la détermination de Nasser à dépasser cette crise et son travail acharné pour effacer ses traces, notamment à travers la reconstruction de l’armée. Ce qui a permis à l’Egypte de réaliser sa victoire militaire en octobre 1973 au bout de six ans d’une guerre d’usure qui a commencé avec l’échouement du destroyer israélien Eilat, et qui fut trop onéreuse pour Israël au point que les Etats-Unis proposèrent un plan de paix initié par le secrétaire d’Etat William Rogers.

Si beaucoup de critiques que l’on trouve dans ce livre ont été dites auparavant, ce qu’il apporte de neuf c’est son analyse de la question syrienne. Salah Montasser remonte le fil de l’histoire et décrit comment la fin de l’union entre l’Egypte et la Syrie a marqué Nasser pour le restant de sa vie jusqu’à sa mort le 28 septembre 1970, neuf ans jour pour jour après ce triste événement. D’après l’auteur, l’influence de la Syrie a continué même après la mort de Nasser : la Syrie qui a provoqué notre revers militaire le 14 octobre 1973 lorsqu’Israël a ouvert une brèche entre la 2e et la 3e armée égyptienne est cette même Syrie qui nous a exporté l’idée de la présidence héréditaire, laquelle fut un détonateur de la révolution du 25 janvier 2011. Une analyse un peu singulière, mais qui reste originale ....

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