Les pourparlers de paix sur la Syrie, qui se sont ouverts la semaine dernière à Astana, se sont déroulés à la hâte. En effet, les deux anciens rounds de pourparlers d’Astana regroupant le régime syrien et l’opposition n’avaient rien apporté de nouveau et s’étaient cantonnés dans un simple rôle de façade. Les résultats étaient préparés à l’avance et probablement aussi le communiqué de clôture par le trio russo-irano-turc. Mais cette fois-ci, une fois que les pourparlers se sont achevés, il a été annoncé qu’une quatrième zone, Idleb, viendrait s’ajouter à la liste des régions de désescalade. L’opposition armée ne s’y est pas opposée et n’a pas posé des conditions intransigeantes comme dans les rencontres précédentes. La position turque était claire à travers les déclarations du président Erdogan et sa position ferme. Erdogan a contraint l’opposition armée à signer présent. En outre, il ne lui a pas permis de poser des conditions. En d’autres termes, l’opposition a été confrontée à une rigueur turque qui s’est entêtée à faire réussir cette dernière tournée de pourparlers afin d’aider Ankara dans sa chasse menée contre le front Al-Nosra, nommé récemment « l’organisation de la libération du Levant », à Idleb. Acte qui fut accompli avec succès.
Une fois que les réunions d’Astana ont pris fin, des unités militaires turques se sont dirigées vers la frontière syro-turque dans l’objectif d’expulser le Front Al-Nosra installé à Idleb afin de barrer la route aux Etats-Unis et leur allié en Syrie. Les forces turques avaient pour intention d’instrumentaliser les unités de protection kurde en les orientant à Idleb pour y imposer leur contrôle. L’autre objectif était de stopper l’avancée des forces syriennes régulières, soutenues par la Russie, de se rendre à Idleb après Deir Ez-Zor, pour expulser les organisations terroristes et y imposer une nouvelle réalité sur le terrain avec le contrôle du régime Assad aux frontières avec la Turquie. Un scénario qui mettrait Ankara dans l’embarras.
La Turquie s’est trouvée dans une position difficile. Son hésitation pendant plus de 7 ans a bouleversé les équations et lui a fait perdre des cartes sur le terrain. Les forces de la protection kurde considérées par la Turquie comme une organisation terroriste sont devenues des partenaires essentielles à l’Oncle Sam dans sa guerre contre Daech. Les Etats-Unis ont alors refusé tous les appels turcs visant à arrêter l’armement de cette organisation. Washington a également rejeté d’autres appels plus généreux tels que l’intervention de l’armée turque pour la lutte contre Daech en Syrie. Sous les deux Administrations Obama et Trump, des alliances ont été conclues avec les forces kurdes au lieu de recourir à leur allié de l’Otan, d’où des tensions dans les relations turco-américaines au cours des 5 dernières années.
Ainsi, la Turquie s’est rendu compte que toute hésitation ne lui serait nullement bénéfique. Sa réaction a alors été rapide, mobilisant ses forces pour entamer une opération militaire sur les frontières turco-syriennes. Elle a ainsi répété le scénario qui s’était produit à la ville d’Al-Bab en s’alliant aux forces d’opposition syrienne représentées par l’Armée syrienne libre pour l’aider à entrer dans la ville d’Idleb et par conséquent, la contrôler. En même temps, Ankara reconnaît que sa bataille avec le Front Al-Nosra ne sera pas facile et nécessitera de larges ressources militaires et logistiques d’autant qu’il est peu probable qu’elle obtienne une couverture aérienne de la part des Etats-Unis ou de la Russie au cas où Washington changerait d’avis et déciderait de soutenir l’opération militaire turque.
La vision américaine de la Syrie diffère totalement de celle de la Russie. Tout ce qui importe à Washington est de saper complètement Daech surtout à l’heure où l’Administration est déchirée par les différends internes et où les scandales l’ont épuisée, tels que l’enquête du FBI sur l’interférence de la Russie dans la campagne présidentielle de Trump et les démissions répétées de la part des responsables américains. Ainsi, l’Administration n’a ni le temps ni les ressources financières pour donner un bond en avant à l’opération de transition politique en Syrie.
Quant à la conception russe, elle est pragmatique et se concentre surtout sur les gains que Moscou pourrait récolter. Poutine reconnaît que la Syrie n’a pas de ressources naturelles, mais qu’elle est riche en ressources humaines qui ne seraient pas encouragées à investir dans un pays rongé par la corruption et la dictature. Damas ne pourra donc que se tourner demandant l’aide et ouvrant grand ses portes aux investissements russes. Le seul obstacle demeure la dépréciation de la monnaie locale syrienne qui empêcherait Damas d’entreprendre des projets d’investissement énormes tels que l’infrastructure et l’industrialisation, dans l’attente du processus de reconstruction émanant du monde occidental qui a posé comme condition le départ d’Assad.
Ainsi, la Russie cherche à trouver une sortie honorable du bourbier syrien, surtout après les difficultés financières qui ont frappé son économie et le recul de la popularité du président Poutine. Mais il faut noter que tous ces facteurs ne sont pas déterminants quant au changement de la stratégie russe à l’égard du dossier syrien.
La bataille de Deir Ez-Zor s’avère ainsi d’une importance capitale vu ses ressources économiques et pétrolières. Certainement, la Russie préfèrerait que cette région soit sous son influence et non pas celle des forces de protection kurdes qui équivaudrait à un contrôle américain .
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