Le président Mohamad Morsi a achevé le 19 avril sa première visite officielle en Russie, centrée sur les besoins économiques de l’Egypte, en proie à de graves difficultés financières depuis le soulèvement populaire qui a renversé le régime de Hosni Moubarak. Au terme de la visite, les deux parties ont annoncé leur intention de renforcer et de diversifier leur coopération aussi bien économique que politique.
Bien que la visite ait répondu en premier lieu à des objectifs économiques urgents et clairs, elle s’inscrivait dans le cadre plus large de la volonté du nouveau régime égyptien de rompre avec l’héritage de Moubarak, d’élargir et de diversifier ses partenaires internationaux et de sortir du cadre étroit de son alliance avec l’Occident, notamment les Etats-Unis. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les visites de Morsi à des puissances de dimension mondiale, et qui font contrepoids à l’Occident et aux Etats-Unis : Chine, Inde et Russie. C’est dans ce sens qu’il faut également comprendre son intention affichée de se rendre dans les autres Etats membres du BRICS, un groupement d’économies émergentes comprenant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, et dont le Produit national brut compte pour 30 % du PNB mondial. Ces pays cherchent à occuper une place plus importante sur la scène économique et politique mondiale et contestent ouvertement la domination occidentale, notamment américaine, sur le système international.
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La perche tendue par l’Egypte a été perçue par la Russie comme une opportunité à saisir pour reprendre pied dans une région où elle a perdu beaucoup de terrain ces dernières années et devrait en perdre davantage avec la chute probable du régime syrien, et renforcer ses liens avec une puissance régionale majeure et un ancien allié historique, avec lequel le rapprochement remonte au temps du président charismatique Gamal Abdel-Nasser. Le président Morsi n’a d’ailleurs pas manqué, à l’occasion de sa visite à Moscou, de demander aux Russes de moderniser les industries égyptiennes qu’ils avaient aidé à construire dans les années 1960, le complexe métallurgique de Hélouan (sud du Caire), l’usine d’aluminium de Nag Hammadi (Haute-Egypte) et les turbines du Haut-Barrage à Assouan. Il leur a fait miroiter des opportunités de coopération dans des domaines aussi stratégiques que la construction de centrales nucléaires pour la production de 4 000 mégawatts d’électricité d’ici 2025 et l’exploitation de mines d’uranium nécessaire à l’énergie atomique.
La Russie a beaucoup perdu de son lustre et a marqué une éclipse sur la scène internationale après le démembrement de l’Union soviétique, fin 1991. Elle a perdu de ses positions dans le monde arabe après la chute de son allié libyen Mouammar Kadhafi en octobre 2011, qui a fait voler en éclats plusieurs contrats lucratifs valant des centaines de millions de dollars. Elle risque fort demain de perdre le « dernier » allié arabe de poids, vestige de l’ère soviétique, la Syrie de Bachar Al-Assad, en butte à une rébellion armée soutenue par les Occidentaux.
Alors que le président Morsi paraissait enthousiaste dans son ouverture en direction de Moscou, qualifiant son homologue russe de « frère » et « cher ami » et appelant à forger « une union politique » et « une alliance économique » entre les deux pays, Vladimir Poutine semblait plus réservé, se contentant d’évoquer un plein retour des relations bilatérales. L’une des raisons pourrait être la perception russe des Frères musulmans, aujourd’hui au pouvoir en Egypte. La confrérie est interdite en Russie depuis 2003 sur arrêt de la Cour suprême qui l’a qualifiée d’organisation terroriste. La Russie sous Poutine — au pouvoir de 2000 à 2008 puis à partir de 2012 — avait accusé les Frères musulmans de soutenir les rebelles qui veulent créer un Etat islamiste dans la région du Nord-Caucase, majoritairement peuplée de musulmans. Le Kremlin s’emploie à contenir la rébellion islamiste dans cette région comprise entre les mers Noire et Caspienne, alors que Poutine avait averti que la violence islamiste pourrait contaminer d’autres régions de la Russie. Cette question d’interdiction des Frères musulmans en Russie a été soulevée par le guide suprême de la confrérie, Mohamad Badie, avec l’ambassadeur de Russie au Caire. Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, aurait promis de trouver une solution à ce problème — l’enlèvement du nom de la confrérie égyptienne de la liste noire — afin de paver la voie à un renforcement des relations avec l’Egypte.
Mais jusqu’où peut aller ce renforcement des liens bilatéraux ? Que la Russie remplace les Etats-Unis comme principal allié est exclu. D’abord, parce que le régime au pouvoir en Egypte ne le veut pas. Son rapprochement avec Moscou, bien que motivé essentiellement par des raisons économiques, vise à sortir du carcan occidental et à retrouver une plus grande liberté d’action extérieure, sans rompre avec les Américains, ni les Européens. La Russie, elle, ne semble pas se faire trop d’illusions sur la portée de son rapprochement avec l’Egypte. Certes, elle est disposée à un renforcement bénéfique et lucratif de la coopération économique. Mais elle est consciente des limites d’un approfondissement d’ordre stratégique avec Le Caire, tant que les rapports bilatéraux n’incluent pas la dimension militaire. Depuis la conclusion du traité de paix avec Israël en 1979, l’armée égyptienne a changé de doctrine militaire et de fournisseur d’armement. Les Etats-Unis sont devenus sa source principale d’armes, financées par l’aide militaire américaine, actuellement de 1,3 milliard de dollars par an. L’armée égyptienne tient à la poursuite de cette assistance, source de modernisation de son armement, dont une partie est produite en Egypte en collaboration avec des sociétés américaines. C’est le cas par exemple du char principal de combat dans l’armée égyptienne, M1 Abrams, dont la coproduction avec la firme américaine General Dynamics a commencé en 1988.
Cette prise de conscience des limites d’un approfondissement des relations avec Le Caire pourrait expliquer les réserves russes à la demande de Morsi d’un crédit de 2 milliards de dollars pour aider à faire face à la crise financière du pays. Moscou s’est contenté d’annoncer que les ministres des Finances des deux pays étudieraient rapidement la question. La Russie n’a pas non plus accédé dans l’immédiat à la demande égyptienne d’une augmentation de ses exportations de blé vers l’Egypte qui risque une pénurie, en raison d’un manque de devises étrangères pour payer ses importations. Moscou s’est limité à annoncer qu’il répondrait positivement à la quête égyptienne si la récolte cette année correspondait aux prévisions. L’importance de la moisson ne sera connue que début juillet .
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