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Ce que révèle l’attentat de Nice

Dimanche, 17 juillet 2016

Huit mois après la série d’attentats terroristes qui a frappé Paris en novembre dernier, faisant 130 morts, la France est à nouveau endeuillée par une odieuse attaque à Nice qui a fait 84 victimes et des dizaines de blessés, le jour de la Fête nationale, le 14 Juillet.

Si les pays occidentaux sont une cible dési­gnée par les extrémistes islamistes, notamment ceux de l’Etat Islamique (EI) qui a revendiqué l’attentat du jeudi dernier, la France semble être un but privilégié : des circonstances particulières en ont fait ainsi. Sur les 12 attentats terroristes qui ont été perpétrés dans les pays de l’Union européenne durant les 4 dernières années, 7 ont été commis en France, faisant 250 victimes. Un lourd bilan, cinq fois plus important que celui subi par les autres pays de l’UE réunis.

Suite aux attentats du 13 novembre 2015, Daech (acronyme arabe de l’EI) a annoncé que « la France et ceux qui suivent sa voie doivent savoir qu’ils demeurent les principales cibles de l’EI ». En janvier de la même année, le porte-parole de l’organisation terroriste, Abou-Mohamed Al-Adnani Al-Chami, a dit, à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo, que « le monde doit savoir que nous voulons Paris (…), avant Rome et avant l’Espagne (…) ». Comment expliquer que la France soit une cible aussi pri­vilégiée de l’EI ? Diverses raisons sont à avan­cer. Une première se trouve dans sa participation active à la coalition internationale formée par les Etats-Unis en septembre 2014 pour vaincre Daech militairement dans ses fiefs en Syrie et en Iraq. La France a intensifié sa participation mili­taire dans cette coalition depuis les deux atten­tats terroristes qui l’ont frappée en 2015.

Déjà dès 2014, l’année où l’EI a conquis de larges territoires en Syrie et en Iraq, et avant la formation de la coalition internationale, le porte-parole de Daech, Al-Chami, a encouragé ses sympathisants à tuer les « infidèles » en Occident, en utilisant tous les moyens dont ils disposent : pierres, couteaux, strangulation, poison ou en les écrasant par une voiture. Ce type d’attaques ne demande pas de préparation sophistiquée, souvent commis contre des cibles faciles et, de ce fait, difficile à prévenir, comme c’était le cas dans les attentats de Paris en novembre dernier contre les spectateurs d’un spectacle musical et les clients d’un restau­rant, entre autres, ou encore à Nice contre une foule qui regardait les feux d’artifice du 14 Juillet.

Mais ce genre d’attaques n’a commencé à se multiplier qu’après l’intensification des frappes aériennes de la coalition internationale, qui a provoqué dans un premier temps la stagnation des conquêtes territoriales de Daech, puis derniè­rement, des pertes importantes de territoires. Selon le ministère américain de la Défense, l’EI a perdu ces derniers mois 45 % des territoires qu’il contrôlait en 2014 en Iraq, et 20 % de ceux conquis en Syrie la même année. Face à ces pertes territoriales, Daech cherche à contre-atta­quer en multipliant les attentats meurtriers dans les pays de la coalition, comme c’était le cas récemment en France, en Belgique et en Turquie. Pour ce faire, l’EI encourage ses partisans origi­naires de l’Occident à rester dans leur pays plutôt que de joindre ses rangs en Iraq et en Syrie. Une façon de les rendre « utiles », dans le but de dés­tabiliser les pays de la coalition. Cette même tactique d’attentats meurtriers commis à l’étran­ger a été suivie, avant l’EI, par l’organisation terroriste d’Al-Qaëda, lorsqu’elle s’est trouvée sur la défensive après les attentats du 11 sep­tembre 2001. Ses partisans ont alors perpétré une série d’attaques à Londres, Madrid, Istanbul, Casablanca, Djerba, Karachi, Jakarta et Bali.

La facilité relative à commettre ce type d’atten­tats s’en trouve renforcée par les dispositions de l’espace Schengen sur la suppression des contrôles aux frontières entre les pays membres de l’Union européenne et la libre circulation des personnes. Certains auteurs des attentats de novembre à Paris étaient par exemple établis à Bruxelles et ont pu exploiter cette liberté de cir­culation pour commettre leurs attentats et fuir la capitale fran­çaise pour se cacher en Belgique. En revanche, un pays comme le Royaume-Uni, un autre membre majeur de la coalition militaire anti-Daech, ne fait pas partie de l’espace Schengen. Ses frontières sont donc mieux contrôlées. En outre, en tant qu’îles, il est naturel­lement mieux protégé que la France continentale. Idem pour les Etats-Unis, éloignés du Proche-Orient et protégés naturellement par deux océans.

La France se distingue également par une situa­tion à part, parmi les autres pays occidentaux. Selon le Centre international d’étude de la radica­lisation et de la violence politique (ICSR), basé à Londres, la France est le premier pays européen d’où sont originaires les combattants islamistes étrangers en Syrie et en Iraq. 1 200 combattants venus de France ont ainsi rejoint le camp des djihadistes, suivis de ceux d’Allemagne et du Royaume-Uni, dans la seconde moitié de 2014. Ceci s’explique par le fait que la France abrite la plus importante communauté musulmane en Europe : plus de 5 millions qui forment de 7 à 9 % de la population. Ce qui a fait une pépinière pour les extrémistes de l’EI ou d’autres groupes radicaux. L’importance de la population musul­mane en France ne suffit sans doute pas à expli­quer ce phénomène de radicalisation, qui est intimement lié au mal-vivre et au déficit d’inté­gration de bon nombre parmi la jeune génération de cette communauté, principalement d’origine maghrébine. Outre la solution sécuritaire, sans doute indispensable face au terrorisme, s’attaquer aux sources du mal s’avère aussi vital .

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