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Ankara et le bourbier syrien

Dimanche, 21 février 2016

Le torchon brûle entre Moscou et Ankara. Le pilonnage par l’armée turque des positions kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), qui combattent les djihadistes de l’Etat islamique dans la région d’Azaz, au nord d’Alep, a accentué la tension, déjà vive entre la Russie et la Turquie. Moscou et son allié syrien ont déposé, auprès du Conseil de sécurité de l’Onu, une plainte contre la Turquie après les bombardements dans des zones kurdes. « Ce qui se passe actuellement à la frontière turco-syrienne est totalement illégal », a déclaré Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères. Et d’ajouter : « La Turquie bombarde des habitations de l’autre côté de la frontière, envoie des fonds, des personnes et de l’approvisionnement ».

La Turquie, elle, voit d’un mauvais oeil les frappes russes au nord de la Syrie en soutien à Bachar Al-Assad. Les deux pays sont désormais engagés dans une véritable guerre verbale. « Moscou a commis de véritables crimes de guerre en bombardant des écoles et des hôpitaux en Syrie », a déclaré le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, ajoutant : « Les YPG sont des mercenaires de Moscou (…) S’ils s'approchent d’Azaz, ils verront notre riposte la plus violente ».

La collision entre Ankara et Moscou au nord de la Syrie est due aux intérêts diamétralement opposés des deux pays dans cette région. Les Turcs font partie d’un axe sunnite comprenant notamment l’Arabie saoudite et les pays du Golfe, et farouchement opposé au régime de Bachar Al-Assad. Celui-ci fait face à un axe chiite formé de l’Iran et du Hezbollah libanais qui soutient à outrance le régime de Damas avec l’appui inconditionnel de Moscou.

Pour réaliser son objectif (faire chuter Bachar), Ankara a laissé passer à travers ses frontières des milliers de volontaires djihadistes venus d’Europe et d’autres régions et leur a fourni des armes et des munitions. Mais l’intervention militaire russe en Syrie, au mois de septembre dernier en soutien au régime de Bachar, a remis en cause les calculs d’Ankara. Moscou a coupé les lignes de ravitaillement entre la Turquie et les djihadistes qui combattent le régime de Damas. Et l’alliance djihadiste soutenue par les Turcs vient de subir un revers aux portes d’Alep face aux forces loyalistes d’Assad.

L’intervention russe a par ailleurs poussé des milliers de réfugiés syriens vers la Turquie. Mais pire encore. Le projet turc visant à créer une zone tampon le long de la frontière avec la Syrie, afin de limiter l’expansion des Kurdes dans cette région, a été stoppé net. Moscou tient désormais de fait tout l’espace aérien du nord de la Syrie, après le déploiement de missiles sol-air S400 et de Tupolev 214R. Et les frappes aériennes russes ont permis aux Kurdes des YPG (qui se battent à la fois contre Daech et contre Bachar) d’avancer et de gagner de nouveaux territoires à proximité de la Turquie. Une situation qu’Ankara, obsédée par l’idée d’un Etat kurde au nord de la Syrie (qui donnerait des idées aux séparatistes kurdes en Turquie), n’est pas prête à tolérer. D’où le pilonnage par l’armée turque des positions des YPG et les déclarations incendiaires des responsables turcs à l’égard de Moscou. La Turquie est allée même jusqu’à envisager le déploiement de forces au sol avec l’Arabie saoudite pour sauver la rébellion syrienne .

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