Malheureusement, les craintes que la nouvelle année soit plus porteuse de malheur que de bonheur se sont vite confirmées avec la crise qui a éclaté le 2 janvier dans le Golfe mettant face à face deux puissances régionales, l’Arabie saoudite et l’Iran. Cette nouvelle donne qui a fait couler beaucoup d’encre ouvre, en réalité, la porte à beaucoup d’interrogations : Sommes-nous au seuil d’une quatrième guerre du Golfe ? Cette crise serait-elle le point de départ pour la mise en place d’une nouvelle carte dans cette zone stratégique ? Quel impact pourrait-elle avoir sur les tentatives en cours de trouver une issue politique à la crise syrienne ? Affectera-t-elle la lutte engagée contre l’EI ? Bien qu’il soit difficile de fournir des réponses claires à toutes ces questions, nous pourrons donner quelques éléments qui aideront à comprendre l’ampleur de la crise.
Tout d’abord, il serait naïf de croire que la crise a éclaté subitement, et uniquement à cause de l’exécution d’un groupe de 47 personnes, dont un dignitaire chiite saoudien. En effet, la tension entre les deux puissances remonte à bien longtemps et les événements de l’année dernière ont révélé que l’on se dirige, lentement mais sûrement, vers l’éclatement de la crise. A ce stade, il suffit de rappeler la passe d’armes entre les deux pays lors de l’incident de La Mecque, ainsi que les diverses mises en garde lancées par Riyad contre l’ingérence iranienne dans les pays du Golfe, notamment à Bahreïn.
En dépit de l’escalade verbale actuelle, il semblerait que ni l’une ni l’autre des deux puissances ne cherche vraiment à se lancer dans une véritable guerre qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Pour l’Arabie saoudite, le fait qu’elle soit déjà impliquée dans une opération militaire au Yémen, par le biais d’une coalition qu’elle dirige, affaiblirait la possibilité d’ouvrir un autre front, surtout à un moment où les conditions économiques du Royaume ne le permettraient pas.
Quant à l’Iran, l’on voit mal qu’il envisagerait un acte qui pourrait l’empêcher de profiter des retombées positives de l’accord, difficilement conclu, sur son dossier nucléaire. Partant, nous pouvons dire que le saccage de l’ambassade de l’Arabie saoudite à Téhéran et de son consulat à Machhad représente le sommet de l’escalade iranienne, de même pour la décision saoudienne de rompre les relations diplomatiques et suspendre les relations commerciales et le transport aérien avec l’Iran.
Toutefois, force est de constater que la crise pourrait avoir des répercussions plus graves. Tout d’abord, elle risque de rendre nuls les efforts déployés pour combattre le terrorisme. Le fait que les deux puissances se soient prononcées contre le terrorisme ne signifie en rien qu’elles soient d’accord sur l’ennemi à combattre. Ce constat s’applique particulièrement sur le front syrien. Faute de pouvoir s’affronter directement, il semblerait possible que Téhéran et Riyad intensifient leurs soutiens et appuis envers les antagonistes syriens. De ce fait, la mise en oeuvre de la feuille de route votée récemment par le Conseil de sécurité de l’Onu pourrait s’avérer difficile à réaliser. Ensuite, il n’est pas exclu que les deux parties se lancent dans des conflits indirects. Du côté de l’Iran et ses alliés, l’on peut envisager un appui plus soutenu pour les groupes armés chiites qualifiés de terroristes par les pays du Golfe. Il pourrait également inciter les groupements chiites dans la région au durcissement envers les régimes en place. Quant à l’Arabie saoudite, elle peut jouer la carte de l’opposition iranienne en exil ainsi que du dossier de la minorité sunnite en Iran, notamment les dossiers d’Ahwaz ou Arabistan.
En outre, l’islam semblerait être le plus grand perdant. Non seulement les atrocités commises par les groupes terroristes au nom de l’islam, et surtout par un ordre du prétendu « califat », ont entaché son image, mais aussi la crise actuelle entre Téhéran et Riyad risque d’aggraver la situation un peu plus en mettant en pleine lumière la rivalité entre deux conceptions de l’islam et deux zones d’influence : le monde sunnite mené par l’Arabie saoudite et le monde chiite dirigé par l’Iran. Cette rivalité est d’autant plus dangereuse du fait que chacune des deux puissances n’hésite pas à accuser l’autre de soutenir le terrorisme.
En revanche, il est vraisemblable que l’EI puisse tirer profit de cette crise. Dans le climat actuel de tension, un acte perpétré par ses « fidèles » contre un objectif chiite dans un pays arabe du Golfe pourrait amorcer la « révolte » que le chef de l’EI a appelé les Saoudiens à mener dans sa dernière intervention enregistrée en décembre. Il serait alors difficile de prévoir les conséquences.
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