Il était clair lorsque le président Moubarak a renoncé au pouvoir le 11 février 2011 que l’ampleur de la ruine causée par son régime était telle qu’un seul parti ou mouvement ne pouvait l’assumer.
En effet, l’Egypte a été malmenée sur les plans social, économique, politique et culturel d’une manière qu’elle n’avait jamais connue dans son histoire contemporaine. De plus, la quasi-totalité de son peuple a connu une grande injustice sociale à cause des politiques gouvernementales qui prenaient toujours le parti des classes supérieures de la société. C’est la raison pour laquelle la justice sociale a été l’un des objectifs de la révolution du 25 janvier. Réaliser cette justice nécessite un plan d’action national et une atmosphère propice à un dialogue social objectif et sérieux. Un dialogue qui jette les bases d’une coopération plus que jamais nécessaire si on veut réaliser cette justice. Celui-ci doit englober les différents acteurs de la scène politique. Nous ne pouvons pas aspirer à un tel objectif dans le contexte des divisions politiques actuelles qui ont transformé la rue en véritable arène de confrontation. En effet, si nous n’éteignons pas les petites étincelles qui provoquent ces heurts, elles se transformeront rapidement en vastes incendies et dévoreront tout sur leur passage.
L’appel à un partenariat national lancé par certains intellectuels et hommes politiques n’était que l’expression d’un vif besoin de coopération afin d’assumer un lourd héritage d’injustice sociale accumulée à travers des décennies. En effet, il est impossible d’avancer sur la voie de la justice sociale sans dialogue sérieux auquel nous ne pouvons pas aspirer à cause de cette polarisation qui divise les Egyptiens.
Le partenariat national n’est pas une répartition de pouvoirs ou de postes. Il s’agit d’une coopération pour affronter des problèmes dont personne n’est responsable. Par conséquent, lorsque j’ai présenté ma vision autour de ce partenariat au début du second tour de l’élection présidentielle, j’ai tenu à confirmer qu’il s’agit d’une cause et d’une méthode et rien d’autre.
C’était lors d’une rencontre avec le président Mohamad Morsi qui était alors le candidat favori des partisans de la révolution du 25 janvier. Nous étions au début du second tour de l’élection présidentielle et Morsi était alors opposé à Ahmad Chafiq. Au cours de cette rencontre qui a réuni près d’une trentaine d’hommes politiques et de personnalités publiques, Morsi a voulu écouter les différentes opinions autour de la bataille électorale du second tour.
J’avais alors mis l’accent sur l’importance du partenariat national et présenté une proposition concrète. J’ai proposé que Morsi adopte un programme politique inspiré de ceux des autres candidats comme Hamdine Sabbahi, Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, Hicham Al-Bastawissi, Khaled Ali et Aboul-Ezz Al-Hariri. La rencontre devait se terminer par la formation d’un groupe de travail chargé de rédiger ce programme de partenariat national à partir des points communs entre les programmes des candidats de la révolution. Morsi devait s’engager que ce programme serait celui de son gouvernement s’il remportait les élections. Le programme devait déboucher sur des plans d’action concrets qui seraient alors le fondement de la politique gouvernementale, peu importe les noms des personnes choisies pour les appliquer qu’il s’agisse du premier ministre, des ministres ou des membres de l’équipe présidentielle.
Cette proposition et d’autres similaires a été ignorée, ce qui a élargi le fossé entre les partis et les forces politiques qui s’étaient épaulés pendant la révolution du 25 janvier. Le sentiment d’être écarté s’est ensuite accru chez ces partis et forces politiques ainsi que les craintes d’un monopole du pouvoir par une seule faction. C’est ainsi que les tensions et les divisions se sont aussi amplifiées.
Dans une situation où les conflits et la polarisation se déroulent dans la rue et non seulement sur la scène politique, il devient difficile d’engager un dialogue sur la manière de remédier à la situation économique et de résoudre les problèmes sociaux.
Lorsque la récession s’installe et qu’il devient difficile d’injecter de nouveaux investissements, lorsque les usines et les compagnies ferment leurs portes et qu’il devient difficile de réaliser le développement, la crise sociale s’amplifie et le preneur de décision se retrouve dans une situation difficile car les éléments nécessaires à la relance de l’économie contredisent totalement les fondements de l’égalité sociale. C’est un grand dilemme qui ne peut être résolu que par un dialogue social dans une atmosphère de confiance. Car il faut convaincre la société que la réalisation de la justice sociale nécessite du temps et des efforts. Celle-ci ne peut pas être réalisée sans partenariat national qui adresse un message fort à la société pour dire que ce partenariat est la seule garantie d’une justice sociale dans un délai déterminé.
Sans le partenariat national, le preneur de décision ne peut avoir recours qu’à des moyens qui peuvent l’aider momentanément, mais qui constituent un grand fardeau, comme le prêt du FMI. Il essaye de prendre des mesures sociales fermes comme la hausse des prix, des taxes et des services fondamentaux. Puis il se retrouve obligé de les suspendre car elles augmentent le fardeau qui pèse sur de larges couches de la société. Celle-ci connaît déjà assez de maux et ne peut en supporter davantage.
En effet, les classes pauvres et moyennes de la société ne peuvent assumer deux hausses du coût de l’électricité en une seule semaine, la première étant la hausse du prix du kilowatt/heure et la seconde est celle des taxes sur la consommation du courant électrique. Même chose pour les taxes sur le revenu et les produits de première nécessité qui ont elles aussi augmenté.
En l’absence d’alternative à ces décisions strictes qu’il est impossible d’annuler, leur application a été suspendue jusqu’à l’organisation d’un dialogue social géré par des experts professionnels. Cependant, ce genre de dialogue n’avance à rien, contrairement au dialogue social élargi s’il est organisé dans une atmosphère de concorde et de partenariat national. Une atmosphère qui fait défaut au milieu des conflits qui divisent les Egyptiens et menacent l’avenir du pays.
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