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Clément Duhaime: « L’avenir de la Francophonie se jouera en Afrique »

Hicham Mourad, Mardi, 29 octobre 2013

Clément Duhaime, administrateur de l’Organisation internationale de la Francophonie, explique le rôle politique de l’OIF et son action en faveur de la diversité culturelle et linguistique.

Duhaime

Al-Ahram Hebdo: L’OIF a organisé début octobre à Fès, au Maroc, une conférence internationale sur le dialogue des cultures et des religions. Pourquoi ce choix d’in­clure, pour la première fois, la question religieuse, qui a fait grin­cer des dents chez certains membres de la Francophonie ?

Clément Duhaime : La Francophonie n’est pas hors du monde. Elle est au coeur du monde. Nous sommes parfaitement dans notre rôle. Notre forum est très parti­culier puisqu’il regroupe des pays des cinq continents, de toutes les religions et de tous les systèmes poli­tiques. C’était donc normal qu’on pousse notre dialogue au sein de la Francophonie aux religions. Non seulement notre dialogue, mais aussi notre action. C’est pour cela que le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, a pris l’initiative lors du dernier sommet de la Francophonie, à Kinshasa, en RDC, conjointement avec le Royaume du Maroc, de tenir cette conférence pour le dialogue des cultures et des reli­gions, qui intervient d’ailleurs quatre ans après celle tenue à Kairouan, en Tunisie, sur le dialogue des civilisa­tions et la diversité culturelle, tou­jours à l’initiative de l’OIF et de l’Organisation islamique pour l’édu­cation, la science et la culture (ISESCO). Dans ce sens, notre rôle est d’ouvrir de nouvelles perspec­tives et de conforter la liberté, l’Etat de droit et la démocratie.

— La conférence du Maroc confirme le rôle politique de l’OIF. Comment évaluez-vous aujourd’hui cette mission, presque 16 ans après la création du poste de secrétaire général de la Francophonie ?

— Boutros Boutros-Ghali était le premier secrétaire général de la Francophonie. Il a été élu en 1997 pour donner un visage et une voix à la Francophonie. L’OIF a alors rem­placé l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT). Boutros-Ghali a donné cette dimen­sion politique qu’Abdou Diouf a accentuée. Nos Etats membres sont demandeurs de ce rôle. L’OIF ne fait rien sans l’association de ses membres. Quand nous avons récem­ment dépêché notre mission en Egypte, C’est Le Caire qui avait demandé que l’OIF l’aide à trouver les conditions nécessaires pour réta­blir rapidement la stabilité et le déve­loppement économique. Ce rôle d’accompagnement est de plus en plus fort, comme c’est le cas en Guinée et à Madagascar. Nos objec­tifs sont d’accompagner nos Etats membres, en association avec les autres organisations multilatérales, pour établir un Etat de droit, la tenue d’élections transparentes, la liberté et l’indépendance de la presse, et le respect des droits de l’homme …

Aujourd’hui, nous avons une pré­sence politique forte aux Nations-Unies, à l’Union européenne et à l’Union africaine et avec d’autres partenaires, comme l’ISESCO. Le secrétaire général de l’Onu dépose désormais chaque année un rapport sur l’état de la coopération avec l’OIF, qui accroît sa force d’écoute et d’influence sur la scène internatio­nale.

La richesse de la Francophonie est aussi son originalité. Le secrétaire général a à sa disposition un réseau de 800 universités (Agence Universitaire de la Francophonie, AUF), un deuxième des maires des capitales et des métropoles (Association Internationale des Maires Francophones, AIMF), un troisième des parlementaires (Assemblée Parlementaire de la Francophonie, APF). Il y a aussi l’université Senghor d’Alexandrie qui forme chaque année entre 150 et 200 cadres africains de grande qua­lité dans des domaines aussi variés que la gestion, la santé et l’environ­nement. Enfin, la Francophonie dis­pose d’une télévision mondiale, TV5 monde, qui montre la diversité des cultures. Le rôle politique de la Francophonie est incarné par l’action à travers tous ces réseaux.

— Ne remarquez-vous pas des réticences de certains membres à accepter ce rôle politique ?

Certains Etats effectivement se posent la question si la Francophonie doit se lancer dans telle ou telle ques­tion politique, comme c’est le cas par exemple de la religion. Le secrétaire général de la Francophonie répond toujours par un oui. Jusque dans les années 1980, les pays de la Francophonie étaient entre 20 et 25. Aujourd’hui, ils sont 56 Etats. Pourquoi ? Parce que la Francophonie est un forum qui permet, sans juger ni condamner inutilement, le dialo­gue et l’accompagnement. Notre richesse n’est pas dans notre budget, mais dans le fait que nous mettons à disposition des Etats membres les meilleurs réseaux d’expertise dans les différents domaines juridique, judiciaire, économique et des droits de l’homme … Même quand l’OIF prend la décision de suspendre un membre, nous n’arrêtons pas l’ac­compagnement politique.

— Le rôle originel de l’OIF est de défendre l’usage du français et la diversité culturelle. Où en sommes-nous à l’heure actuelle ?

— Dans les organisations interna­tionales, il y a un déclin du français en tant que langue de travail. Pour y faire face, on s’est donné des instru­ments pour que les Etats membres de la Francophonie en prennent conscience et changent leurs habi­tudes. L’OIF prépare et remet tous les deux ans aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’organisation un rapport sur l’état des lieux de l’usage du français dans les institutions inter­nationales. C’est ce qu’on appelle le vade-mecum sur le français dans les institutions internationales. Le secré­taire général de la Francophonie a interpellé à plusieurs reprises les Etats membres, y compris la France, sur l’usage par leurs responsables du français dans ces institutions. M. Diouf a également créé l’Observa­toire du français, qui a remis son premier rapport sur l’usage du fran­çais dans les différents secteurs (enseignement, économie, réseaux sociaux) au sommet de la Francophonie de Montreux en 2010. Il y est révélé que dans 20-25 ans, entre 80 % et 85 % des francophones seront en Afrique, si la scolarisation réussit dans ce continent. Les franco­phones seront alors entre 800 mil­lions et 1 milliard de personnes. Ce qui n’est pas négligeable, car on est aujourd’hui à 220 millions qui savent parler, lire et écrire en français. L’avenir de la Francophonie se joue­ra en Afrique. C’est les Africains qui seront ou non l’avenir du français et de la Francophonie. L’Observatoire remettra son deuxième rapport avant le prochain sommet de Dakar, au Sénégal, en novembre 2014. Ce rap­port nous permet d’élaborer notre stratégie pour la défense du français

— Quels sont les traits mar­quants de cette stratégie ?

— Cette stratégie comprend plu­sieurs volets. D’abord, on vient de mettre en place une direction consa­crée à la défense du français et à la diversité linguistique. On multiplie les réseaux avec les associations pro­fessionnelles, comme celui avec la Fédération internationale des profes­seurs du français. On va créer un réseau d’interprètes et de traducteurs, en collaboration avec l’Onu, l’OCDE et l’UNESCO. Idem pour les opéra­tions de maintien de la paix, car on a constaté que l’essentiel de ces opéra­tions se trouve dans des pays franco­phones, alors que la majorité des membres de ces missions ne parlent pas le français. On a mis en place un réseau, le Francopole, de policiers et de gendarmes francophones, qui viennent s’ajouter aux contingents existants.

M. Diouf a également multiplié les initiatives, telle la création d’associa­tions professionnelles qui ont le fran­çais en partage. C’est le cas pour les juges, les notaires, les banques, etc. Il a lancé en juillet de l’année der­nière, pour la première fois, le Forum mondial de la langue française, au Québec, en faisant associer les socié­tés civiles et les jeunes. Le deuxième Forum aura lieu à Liège, en Belgique, en 2015. On a également une initia­tive pour faire progresser l’usage du français sur les réseaux sociaux. Notre action tend ainsi à couvrir l’ensemble des secteurs d’activité, y compris économique, pour défendre le français, mais aussi la diversité culturelle et linguistique.

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