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Olivier Brochet : L’Egypte a le potentiel pour doubler le nombre des élèves dans le système français

Fouad Mansour et Névine Kamel, Mardi, 11 février 2020

Le directeur de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (l’AEFE), Olivier Brochet, était au Caire la semaine dernière pour une visite de 3 jours. Il revient sur les opportunités d'expansion de l’enseignement français en Egypte. Entretien.

Olivier Brochet

Al-Ahram Hebdo : Le 20 mars 2018, le président français s’était fixé pour objectif de doubler le nombre d’élèves de l’enseignement français à l’étranger d’ici 2030. Votre visite s’inscrit-elle dans ce contexte ?

Olivier Brochet : D’abord, j’aime­rais dire que je suis très heureux d’être au Caire pour la première fois. C’était un déplacement que j’avais prévu de longue date. J’ai pris mes fonctions il y a un an, mais un déplacement pour l’Egypte faisait partie de mes priorités parce que d’abord l’enseignement français et en français en Egypte est une tradition et c’est l’un des éléments forts des relations non seulement entre nos deux pays, mais aussi entre nos deux peuples. L’Egypte possède un grand réseau d’écoles françaises, un réseau qui a une croissance naturelle et qui demande à être stimulé et avec lequel nous souhaitons travailler davantage. Il était évident que je devais venir ici très rapidement pour voir les besoins et les conditions d’une croissance réussie. De ce point de vue là, ce qui se passe en Egypte s’inscrit pleinement dans la perspec­tive qui nous a été tracée par le prési­dent de la République il y a deux ans.

— En quoi consiste cette nouvelle vision française ?

— D’abord, nous sommes convain­cus de la qualité de l’enseignement français, de son utilité pour les pays qui nous font l’honneur de l’ac­cueillir, dans le sens que nous pen­sons contribuer à la formation de la jeunesse de ces pays avec des outils intellectuels, culturels et linguistiques qui vont leur permettre de bien s’insé­rer dans le monde, de participer plei­nement au développement de leur pays et puis, il y a bien entendu le développement de la qualité de notre relation avec vous. Nous avons constaté également que dans tous les pays émergents comme l’Egypte, il y a une très forte demande sur l’éduca­tion de qualité. Et nous pensons qu’avec les atouts et l’histoire que nous avons, nous devons pleinement prendre notre place dans cette compé­tition, car il y a une forme de compé­tition sans doute, et ce serait plus que dommage de ne pas être dans cette compétition. C’est pour cela que nous avons repensé la façon de soutenir et d’encourager le développement de l’enseignement français à l’étranger avec les établissements existants, qui bien évidemment forment le socle sur lequel nous devons nous appuyer. Donc nous devons renforcer l’attrac­tivité de ces établissements partout et travailler à intégrer de nouveaux éta­blissements dans l’enseignement français à l’étranger, les amener vers l’homologation par le ministère de l’Education nationale. Nous devons repérer les établissements qui sont intéressés et qui ont les capacités d’aller vers l’homologation, car l’ho­mologation est exigeante et cette exi­gence ne diminuera pas. D’un autre côté, l’agence est là pour accompa­gner ces établissements et les aider à intégrer le plus vite possible le sys­tème d’enseignement français à l’étranger et leur donner les conseils pour aller dans ce sens.

— Concrètement parlant, quels sont les plans pour l’Egypte et la région ?

— Le séminaire annuel de la zone Moyen-Orient de l’Agence pour l’En­seignement Français à l’Etranger, (l’AEFE), qui est divisée en 16 zones géographiques dans le monde, s’est tenu cette année au Caire les 5 et 6 février. Il rassemble des proviseurs de lycées français venus d’Egypte, d’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, de Jordanie, du Koweït, d’Oman, d’Ouzbékistan, du Qatar, du Kazakhstan et de l’Iran. Ce séminaire a été suivi, les 7 et 8 février, d’un séminaire qui rassemble cette fois les établissements partenaires de l’AEFE (lycées de droit privé égyptien comme Concordia, Voltaire, Camus qui pro­posent un programme français homo­logué par le ministère français de l’Education nationale) de la zone Moyen-Orient et de la zone océan Indien. Il s’agit de voir le potentiel des établissements actuels et les difficul­tés qu’ils peuvent rencontrer. Ces séminaires abordent des questions tel le plan de développement de l’ensei­gnement français à l’étranger. Pour l’Egypte, il s’agira aussi pour le direc­teur de l’AEFE de s’intéresser à notre plan école et d’exprimer le souhait de l’ambassade de susciter la création d’établissements scolaires accompa­gnant la croissance urbaine et le déve­loppement de l’offre éducative en Egypte. Actuellement, les écoles qui ont des programmes français accueillent 9 100 élèves en Egypte, il s’agit pour nous de mettre en place un plan stratégique pour doubler les effectifs à l’horizon 2030. Lors de notre visite, nous avons réalisé que la formation des ressources humaines est un défi majeur.

— Vous venez de dire que les res­sources humaines nécessaires pour une telle mission sont un grand défi dans la région ... Quel est votre plan pour y faire face ?

— Concernant les ressources humaines, il y a deux choses. Vous savez que dans les écoles françaises à l’étranger, il y a un certain nombre d’enseignants étrangers titulaires qui viennent. C’est malheureusement une denrée si rare qui reste limitée tout simplement parce que le ministère de l’Education nationale en France a besoin de ces enseignants. Donc, il nous donne un certain nombre d’entre eux. Il y a environ 9 000 enseignants titulaires qui travaillent à l’internatio­nal et le ministre de l’Education a accepté qu’il y en ait 1 000 en plus dans la décennie à venir et cela nous aidera un petit peu. Mais l’enjeu pour nous c’est la formation du personnel recruté. Ça, c’est absolument essen­tiel. C’est pour nous l’enjeu central. Et c’est pour cela que nous sommes en train de créer des instituts régio­naux d’information. Nous voulons en créer 16 dans la région, et qui vont avoir pour vocation de renforcer la qualité du personnel local. Donc, tout un dispositif de formation est mis en place pour renforcer la formation du personnel et tous les échanges que j’ai eus avec les responsables des écoles ont porté sur cette question.

— Outre les défis, pouvez-vous nous parler du potentiel d’expan­sion de l’enseignement français en Egypte ?

— Il y a un potentiel énorme dans ce pays. Toutes les discussions que j’ai eues le montrent. Il y a actuelle­ment 9 100 élèves dans le système homologue français en Egypte, et il y a très certainement un potentiel pour passer d’ici 10 ou 15 ans à 20 000 élèves. L’ambassade va travailler en vue de réaliser cet objectif et nous lui avons demandé de préparer un plan stratégique qui permet à la fois d’ana­lyser les besoins et la concurrence et d’identifier les porteurs du projet qui peuvent aller vers l’homologation. Sur cette base nous allons préciser où, quand et comment nous devons inter­venir pour soutenir les porteurs des projets de façon à les aider à aller plus vite vers l’homologation.

L’Egypte a le potentiel pour doubler le nombre des élèves dans le système français
M. Brochet lors de sa visite au Lycée Voltaire du Caire.

— Le président français a parlé récemment lors de sa visite à Jérusalem de l’aide financière aux écoles religieuses. Qu’en est-il ?

— L’agence n’intervient que pour aider les établissements principale­ment homologués. Et l’aide est variable selon le statut des établisse­ments. Il y a des établissements qui sont gérés directement par l’agence comme le Lycée français du Caire, d’autres sont des établissements conventionnés dans lesquels l’aide que nous apportons consiste à mettre à la disposition de ces établissements les enseignants titulaires de l’ensei­gnement national — dont une partie des frais est prise en charge par l’agence. Il existe également des aides pour assurer la sécurité des établisse­ments ; cette aide, nous la donnons aux institutions qui la demandent. Il y a aussi des aides financières pour la formation pédagogique. Par exemple, un établissement qui a besoin d’équi­per une salle, nous lui fournissons 40 ou 50 % de ces frais. Pour les établis­sements qui ne sont pas homologués, nous n’avons pas encore les moyens de leur fournir une aide. L’aide que nous pouvons apporter est sous forme de conseils pour aller vers l’homolo­gation. Quant aux missions reli­gieuses, c’est une situation particu­lière, et le président a évoqué cette question à Jérusalem, et la première chose qu’il a soulignée, c’est l’impor­tance de ce réseau, qui est tout à fait exceptionnel par la qualité de l’infor­mation, par la francophonie et par la grande valeur de ces entités. Pour ces raisons-là, nous savons que ces écoles se trouvent dans un contexte difficile, et le président souhaite que la France puisse leur fournir un soutien plus fort. Donc, il a annoncé à Jérusalem la création d’un fonds en France qui permettra d’apporter un soutien à ces écoles chrétiennes et il a demandé à l’AEFE d’entrer en contact avec les représentants de ces écoles pour voir quel soutien nous pouvons donner pour les aider à renforcer leurs écoles. Moi, je profiterai de ma présence en Egypte pour rencontrer des respon­sables de ces écoles, comme j’ai fait au Liban, pour discuter d’une forme de partenariat renforcé et leur apporter un soutien en forme de formation du personnel. La concurrence sur le mar­ché égyptien n’est plus facile, surtout que la langue française demeure encore un choix d’élite.

— Quels sont les atouts de l’ensei­gnement français face aux autres systèmes présents en Egypte ?

— La concurrence existe partout et nous devons utiliser nos atouts. Premièrement, l’excellence de l’en­seignement qui est dispensé dans les écoles et qui est garanti par le minis­tère de l’Education nationale. L’homologation qui est donnée à ces établissements, elle est donnée pour 5 ans et tous les 5 ans, ils font l’objet d’une inspection approfondie et l’on peut retirer l’homologation. Donc, quand les familles mettent leurs enfants dans une école française, elles savent qu’elles les mettent dans un système de qualité. Le deuxième atout est qu’il s’agit d’écoles fran­çaises plurilingues et j’insiste sur cette dimension que nous allons encore renforcer. Une école de type anglo-saxon développe au mieux le bilinguisme. Nous, l’objectif dans nos écoles, c’est un tri ou quadri linguisme pour les enfants. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais nous allons encore le renforcer avec de nouveaux outils et de nouvelles méthodes. Le troisième atout est que nos écoles fonctionnent dans le cadre d’un réseau international, il n’y a que les écoles françaises qui fonc­tionnent dans ce système qui existe dans 139 pays dans le monde. Il y a en tout 522 établissements, 375 000 élèves. Donc, c’est le plus grand réseau organisé, ce qui offre la possi­bilité aux élèves de vivre la dimen­sion internationale pleinement et notamment grâce à des échanges que nous organisons. Nous avons lancé un dispositif, il y a deux ans mainte­nant, qui permet aux enfants de seconde de partir pour deux ou trois mois dans un lycée à Chicago par exemple ou à Tokyo, en échange avec un élève de cet établissement, cela ne coûte aux familles que le prix du billet et pendant ce temps-là, l’en­fant a la chance de vivre une expé­rience tout à fait exceptionnelle à l’autre bout du monde, mais tout en continuant sa scolarité. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, nous avons aussi des compétitions cultu­relles et sportives qui favorisent ce brassage. Et puis un dernier point qui est essentiel : c’est un enseignement fondé sur des valeurs très fortes qui permet de former des élèves auto­nomes dans leur pensée, mais une autonomie fondée sur une culture solide, un esprit critique et une culture de la citoyenneté qui nous paraît tout à fait essentielle.

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