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Marie-Élisabeth Montagnac : Aimer et servir est notre devise

Hanaa Al-Mekkawi et Chaïmaa Abdel-Hamid, Lundi, 15 avril 2019

Soeur Marie-Élisabeth Montagnac, prieure générale des dominicaines missionnaires de Notre Dame de la Délivrande, revient sur la mission des soeurs dominicaines de NDD dans le monde. Entretien.

Marie-Élisabeth Montagnac

Al-Ahram Hebdo : Vous fêtez aujourd’hui vos 150 ans d’existence. Comment voyez-vous votre mission aujourd’hui, et comment a-t-elle évolué avec le temps ?

Soeur Marie-Élisabeth Montagnac : Le but et le champ missionnaire de la congrégation des dominicaines missionnaires de la Délivrande est « Aimer et servir ». C’est notre devise. Au début, c’était « Aimer et souffrir ». La vie religieuse est appelée à s’adapter aux changements, mais en même temps, elle a une mission conventuelle qui ne doit pas changer et avec plusieurs pôles stables, à savoir la prière, le travail, la mission, l’aide aux plus pauvres, etc.

De génération en génération, la mission continue mais avec d’autres priorités. Donc pour nous, les religieuses dominicaines, la seule chose que nous pouvons apporter au monde, c’est « Aimer ». Aimer, c’est montrer au monde que des personnes qui ne se sont pas choisies, qui ne se connaissaient pas, qui ne sont pas issues de la même famille, se mettent à vivre ensemble, car elles ont reçu un appel de Dieu. On s’aime et l’on se respecte malgré notre diversité, nos divergences et nos mentalités. C’est simplement notre mission. Autrefois, les religieuses dominicaines étaient enseignantes, directrices, infirmières, elles étaient souvent à la tête de groupes. Maintenant, les laïcs qui travaillent avec nous sont beaucoup plus compétents que nous. Et nous ne sommes pas là pour faire du carriérisme, mais pour être tout simplement frères, soeurs, et montrer cet amour, cette compassion de Dieu pour nous toutes. Concernant le « servir », quand on est « prieure » (première grande soeur), on accepte de regarder nos frères et nos soeurs comme des personnes que nous devons servir. On n’est pas là pour briller aux yeux du monde parce que nous sommes des personnes super-compétentes, mais nous devons être compétentes en amour et en pardon et surtout au service.

— Comment percevez-vous l’influence des soeurs dominicaines dans le monde ?

— Parler d’influence, c’est surtout un va-et-vient dans les relations. Notre influence, on la ressent quand on rencontre après de longues années des personnes qui étaient autrefois élèves de la Délivrande, ou quelqu’un qui raconte tout simplement avoir connu un jour une soeur de la Délivrande et que celle-ci lui était comme une maman ou lui a donné un conseil de vie, elle a donc influencé sa vie. C’est tout simplement ce que nous donnons au cours des années et que nous recevons par conséquent.

— Qu’y a-t-il de nouveau dans le travail de la mission ?

— Parmi les grandes grâces de ces nouveaux temps, il y a la collaboration étroite avec des laïcs associés qui partagent le charisme avec nous. Ce sont des laïcs qui vivent la spiritualité avec la congrégation, mais aussi des laïcs qui nous aident et qui nous accompagnent sur les voies que nous ne connaissons pas. Nous, les soeurs, nous ne sommes pas faites pour ce monde de profit et de lois, donc nous avons autour de nous des juristes, des avocats, des personnes très compétentes au niveau de l’éducation et d’autres domaines divers. Nous travaillons ensemble mais chacun en gardant sa place. Et nous tenons un réseau d’amis et d’anciens élèves qui viennent aussi à notre rencontre, nous aident et nous donnent la main. Ainsi les frontières de nos communautés se sont élargies. Pour tenir dans ce temps-là, il faut entrer dans cette collaboration et dans ce tissu relationnel.

— N’est-il pas difficile de garder au fil des années et en dépit des changements la même ligne pour votre mission ?

— Rien ne se fait facilement pour les soeurs de la Délivrande, nous sommes toujours en train de nous battre, de lutter, pour subsister dans l’espérance. Cet esprit, nous l’avons hérité de notre mère fondatrice

Mère Marie de la Providence. Elle a connu beaucoup de difficultés pour fonder notre congrégation. Chaque fois qu’elle construisait, tout était détruit. La congrégation est née dans une île volcanique, elle a su ce qu’est une éruption qui détruit un couvent, les cyclones, les incendies, elle a connu des soeurs aussi qui ne tiennent pas vraiment à la mission. Donc tout est toujours à reconstruire. Nous avons hérité son audace, nous avons hérité son courage et sa vie spirituelle. Mais en même temps, nous avons hérité des difficultés.

— Et quelles sont les plus grandes difficultés que vous pouvez rencontrer dans votre mission ?

— Il y a plusieurs difficultés. La première est de s’adapter. Comment les personnes qui arrivent au fil du temps s’adaptent à la vie qu’on leur propose, aux conseils évangéliques et aussi comment nous accueillons ce qu’elles ont à nous apprendre. On parle ici d’adaptation mutuelle. Dans les couvents, il s’agit de vivre l’internationalité, des Européens des Egyptiens et des Africains doivent quitter toutes leurs fonctions et devenir tout simplement soeurs en communauté. Je tais ma culture, je tais ce que je suis, je tais ma certitude parce que l’autre parle de vérité. Cela a besoin de beaucoup de patience. Au niveau de bâtiments aussi, nous rencontrons des difficultés. Les soeurs qui ont précédé ont beaucoup travaillé, elles ont lutté pour construire de grands bâtiments et de grandes maisons. Aujourd’hui, c’est tout à fait le contraire, nous devons quitter ces grands bâtiments pour aller dans d’autres plus modestes et plus petits, et les partager avec d’autres. Il s’agit pour nous d’entrer dans une plus grande simplicité de vie. Le dépouillement va nous aider à aller à l’essentiel, même si certains de ces bâtiments ont des histoires, il y a des bâtiments qui sont nos maisons mères, on y est affectivement attachés. On doit s’en passer, car la seule personne à la-quelle nous devons être attachées c’est le Christ.

Une autre difficulté, c’est l’annonce évangélique. Il faut toujours être prêt à accueillir l’autre et à l’entendre. Même si je suis religieuse, il faut savoir que l’autre a une parole à me dire à propos de Dieu. Donc, je dois savoir comment entendre cette annonce évangélique d’un autre qui n’est pas moi. C’est un challenge, mais c’est passionnant.

— Dans combien de pays au monde travaillent les institutions de la Délivrande ?

— Nous nous sommes retirées de plusieurs terrains missionnaires et nous demeurons toujours dans 6 pays autour du monde avec un effectif de 69 soeurs, à savoir la Martinique, le berceau de la congrégation, la Caraïbe francophone et la Caraïbe anglophone, le Liban, l’Egypte et la France, et on a ouvert Madagascar. Donc, nous sommes une toute petite congrégation. D’ailleurs, nous n’avons jamais été une grande congrégation. Mais chaque soeur travaille comme une abeille pour accomplir ses missions.

— Et pourquoi fermez-vous ces lieux ?

— Les prieurs, les supérieurs majeurs, les responsables des congrégations, nous avons été reçus par le pape François l’année dernière et il nous a mis en garde : Attention à vous, vous n’êtes pas supérieurs majeurs pour mener vos frères à la mort. Il entend dire que vous fermez des lieux, vous vous retirez de certains terrains missionnaires, parce que vos congrégations vont y mourir. Quelle que soit la décision que nous prenons, il faut qu’il y ait de la vie en filigrane. Donc, c’est vrai qu’il y a moins d’entrées, on ferme des terrains missionnaires et nous faisons des regroupements plus grands dans certains lieux, c’est justement pour les sauver de la mort et leur donner une dynamique de vie. Par ce regroupement il est question de les faire revivre.

— Le nombre des soeurs qui rejoignent la congrégation diminue avec le temps, ne pensez-vous pas qu’il s’agisse d’un problème ?

— C’est plus qu’un problème. Ce qui nous arrive, c’est un manque d’espérance. Nous arrivons à un stade où la vie religieuse n’est plus cette vie qui enchante les jeunes. Mais, même si les jeunes n’y entrent plus, cela ne veut pas dire que le Seigneur ne les appelle pas. Peut-être que notre forme de vie ne correspond pas à leurs attentes aujourd’hui. Par exemple en Egypte, quand on pense que la vie consacrée est née avec saint Antoine l’ermite, combien d’ermites y a-t-il encore ? Très peu. Donc il y a des formes qui vont sans doute disparaître mais qui vont donner naissance à d’autres. A nous de voir comment nous allons faire pour accompagner ces formes de vie religieuse ou les laisser advenir.

— Comment voyez-vous l’avenir de la congrégation ?

— Comme cela a toujours été. Notre mission se poursuit. On passe le relais à d’autres qui poursuivent notre mission. Chaque fois que nous propulsons d’autres, nous acceptons de nous retirer en douceur et disparaissons pour leur laisser la place. Tout ce que je fais avec mes soeurs aujourd’hui, ce sera pour celles qui arrivent. Autrefois, nos soeurs travaillaient pour l’instant ; aujourd’hui, nous sommes obligées de travailler pour l’instant et d’anticiper l’avenir .

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