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Stéphane Romatet : Notre objectif est d’augmenter les capacités d’accueil du réseau d’établissements francophones et bilingues

Abir Taleb et Fouad Mansour, Mardi, 27 mars 2018

L’ambassadeur de France en Egypte, Stéphane Romatet, revient sur la nouvelle stratégie annoncée par le président français pour renforcer la place de la langue française dans le monde et sur les retombées positives que cela peut avoir sur l’Egypte.

Stéphane Romatet
(Photo : Mohamad Abdou)

Al-Ahram Hebdo : Le président fran­çais, Emmanuel Macron, a exposé, à l’occasion de la Journée interna­tionale de la Francophonie, le 20 mars, sa stratégie pour promouvoir la langue française et la Francophonie. En quoi consiste ce plan ?

Stéphane Romatet : La Francophonie n’a pas beaucoup intéressé objectivement les précédents présidents, et là, on a un président qui se saisit de cette question, et qui en fait un sujet de politique centrale, un marqueur de son quinquennat, qui s’approprie en quelque sorte de ce sujet et d’avoir une véritable politique dans ce domaine.

On a toujours considéré que la France était le coeur de la Francophonie et le reste du monde sa périphérie. Le président, Emmanuel Macron, renverse les choses, il explique bien que la France n’est qu’une des composantes de quelque chose de beaucoup plus large. La Francophonie, c’est un mouvement de fond. Les chiffres sont, à ce sujet, impressionnants. Aujourd’hui, il y a presque 300 millions de francophones, on dit qu’il y en aura un milliard en 2050, notamment en raison du dynamisme démographique en Afrique. Si on saisit cette chance, le français peut devenir l’une des trois langues les plus parlées dans le monde dans les 20 ou 30 ans à venir. La Francophonie, qui était considérée comme quelque chose du passé, sympathique mais ringarde, devient une véritable force, une espèce de moteur pour l’avenir.

Le président a annoncé une vraie stratégie, et ce qui est intéressant, c’est qu’il y aura des conséquences en Egypte, et il faut voir comment appliquer ce qu’il y a dans ce discours ici.

— Justement, comment cette nouvelle dynamique francophone va-t-elle se répercu­ter sur l’Egypte ?

— Le président a, entre autres, annoncé que le nombre d’élèves dans le réseau des écoles francophones à travers le monde allait être doublé d’ici 2030. C’est un message extraordi­naire qui nous motive beaucoup ici. On sait qu’il y a une demande très forte à laquelle on n’est pas capable de répondre. Et il y a cette volonté du président de doubler le nombre d’élèves, cela ne concerne pas seulement les établissements français ou francophones, il y a aussi les écoles bilingues. Moi, ce que je vou­drais, c’est qu’on commence à travailler dès maintenant en Egypte pour qu’on augmente les capacités d’accueil de ce réseau d’établisse­ments. Il y a donc une demande, mais aussi des possibilités réelles de créer de nouvelles écoles, il y a des partenaires qui sont prêts à le faire, et pour moi, ce sera une priorité dans les mois à venir d’oeuvrer à augmenter le nombre de ce genre d’établissements. Il faudra par exemple ouvrir une grande école française dans la Nouvelle Capitale. Le président égyp­tien, Abdel-Fattah Al-Sissi, a annoncé la créa­tion de 13 nouvelles villes, il nous faudra des écoles françaises dans ces villes. C’est quand il y a des écoles que les familles vont s’installer dans les nouvelles villes.

Cela ne veut pas dire qu’on va très vite multi­plier par deux le nombre d’élèves, mais notre objectif est certainement d’augmenter leur nombre. Il y a aussi un autre volet, celui des universités. A ce sujet, Monsieur Macron a dit que les universités françaises doivent se projeter à l’international, il a parlé d’une double straté­gie : plus d’étudiants en provenance des pays émergents en France, et plus d’universités dans ces pays. Nous devons, dans un premier temps, augmenter la coopération entre les universités. Aujourd’hui, il y a 2 000 Egyptiens qui font leurs études universitaires en France, ce n’est pas assez par rapport aux relations entre les deux pays. Plus on aura d’élèves dans le système francophone ici, plus on aura d’étudiants égyp­tiens dans les universités françaises. C’est un tout, c’est une politique d’ensemble pour déve­lopper la francophonie éducative ainsi que la mobilité scolaire et universitaire. On a ici la chance d’avoir l’Université Française d’Egypte (UFE), l’instrument existe malgré les difficultés, il faut que nous lui redonnions une nouvelle ambition.

Avec ce discours de Monsieur Macron, nous avons tous les éléments pour nous permettre collectivement ici, premièrement, d’avoir une politique de développement de l’enseignement francophone, deuxièmement, de se doter des moyens de doubler le nombre d’étudiants égyp­tiens en France, et troisièmement, de faire venir ici des universités françaises et refonder l’UFE.

Et puis, l’Egypte a une très bonne image de marque pour ce qui est de la Francophonie, de la culture, etc. Et il faut profiter de cela pour développer nos échanges.

— Il semble que ce soit un plan ambitieux qui va nécessai­rement coûter beaucoup d’ar­gent. La France est-elle prête à investir dans le financement d’établissements francophones à l’étranger d’autant plus que garantir un enseignement de qualité est aussi important qu’élargir le réseau de ces écoles ?

— Bien sûr, il faut faire très attention au main­tien de la qualité, donc au maintien du recrute­ment de bons professeurs. Il y a cette grande ambition qu’il faut nourrir. Et il faut qu’on se donne les moyens, et cela ne va pas être facile. Mais il y a un objectif. Il faut faire de l’éducation une priorité dans les politiques de développe­ment, mobiliser aussi le secteur privé. Je reçois pas mal d’hommes d’affaires qui me disent qu’ils sont prêts à investir dans des écoles fran­cophones. L’éducation, c’est en quelque sorte un business, et on peut transformer ce business en quelque chose d’utile.

— Oui mais en Egypte, le français reste la langue de l’élite. Comment faire pour élargir son usage ?

— L’objectif, c’est que les familles, qui choi­sissent le français comme langue d’éducation pour leurs enfants parce qu’ils considèrent que c’est un enseignement de qualité, que c’est jus­tement la langue de l’élite ou que c’est une chance professionnelle supplémentaire, puissent effectivement concrétiser ce choix, qu’il n’y ait donc pas de barrière quantitative, de problème d’accès, etc.

Parallèlement, dans les écoles publiques égyp­tiennes, il faut que le français puisse être choisi comme langue vivante, j’en ai parlé avec le ministre de l’Education nationale. Nous avons tout un programme d’aide pour le développe­ment de l’enseignement du français comme langue vivante, et l’Egypte a été choisie comme pays prioritaire. On va mettre en place un pro­gramme pour la formation de professeurs de français des écoles publiques. On a eu le finan­cement pour lancer ce programme avec le minis­tère de l’Education nationale, et les premières formations vont commencer en septembre 2018.

— La question la plus pro­blématique à l’heure actuelle dans les écoles francophones en Egypte, notamment depuis la dévaluation de la L.E., est le recrutement de profs …

— Il est vrai qu’en Egypte on a tout ce qu’il faut, on a les compé­tences, la demande, les finance­ments possibles, et que la seule chose qui peut nous manquer, ce sont les ensei­gnants. Il faut en effet être très attentif sur le recrutement des profs, cela suppose des efforts dans leur formation. C’est une politique d’en­semble qu’il faut mettre en place.

— Oui mais auparavant, il y avait des coo­pérants français dans les écoles égyptiennes bilingues, il y avait ceux qui faisaient le ser­vice civil, aujourd’hui, tout cela n’existe plus, y a-t-il une nouvelle formule possible à tra­vers laquelle la France peut aider ces écoles ?

— Le président Macron envisage de réintro­duire une forme de service civique, pour que les jeunes puissent faire, pendant un temps limité, une espèce de mission civique natio­nale, d’intérêt général. Moi je pense qu’il fau­drait y introduire un volet international, notam­ment dans le domaine de l’enseignement. Il est vrai que la question du recrutement de profes­seurs en Egypte, c’est le problème. La venue de professeurs étrangers a baissé ces dernières années avec les difficultés qu’a connues l’Egypte après 2011, notamment sur le plan sécuritaire. On espère qu’avec l’amélioration de la situation sécuritaire, ce problème dispa­raîtra et l’Egypte redeviendra un pays attractif pour les enseignants. Toute la question ne sera pas réglée pour autant, il reste la question financière, s’assurer de la compétence des enseignants, etc. Cela dit, la stratégie de Monsieur Macron nous motive beaucoup.

— Y a-t-il des plans d’action propres à chaque pays ?

— Il est vrai que les situations sont très variables d’un pays à l’autre. Mais ici, en Egypte, compte tenu de ce que représente la Francophonie, du réseau scolaire qu’on a, il faut qu’on y aille ! C’est un message à tous les fran­cophones d’Egypte : « Vous n’êtes pas dans le désert, on vous a entendus ».

— Justement, le précédent message était que la France se retirait en quelque sorte de ce rôle ...

— Exactement. Aujourd’hui, cette bataille est essentielle, pas seulement pour les Français, mais pour les francophones du monde entier. Et il faut saisir cette opportunité. C’est aussi une véritable interrogation pour les Français, qui voyaient la Francophonie comme étant leur chez eux, or, la Francophonie, c’est bien plus.

— C’est en Afrique que l’avenir de la Francophonie est le plus prometteur, puisqu’en 2050, 85 % des francophones seront en Afrique selon l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Cela n’impose-t-il pas aussi des défis, notam­ment en raison des accusations selon les­quelles la Francophonie est une sorte de colonialisme culturel ?

— C’est vrai que l’avenir de la Francophonie est plutôt africain. Mais c’est un défi pour les Africains eux-mêmes, qui connaissent une explosion démographique et qui doivent réus­sir la mutation de leur système éducatif. Si les Africains de l’Ouest ne parlent plus suffisam­ment le français, comment voulez-vous qu’ils se projettent dans la mondialisation ? Il ne faut pas mélanger cela avec la question du legs de la colonisation. A quoi ça sert de renvoyer ces pays dans leur histoire, y compris ce qu’elle a de douloureux ? Ils doivent plutôt se projeter vers l’avenir, et leur rapport au monde exté­rieur se fait par la langue. C’est une chance pour ces pays de voir toutes ces nouvelles cohortes qui vont devenir les forces d’avenir de la Francophonie. Aujourd’hui, ce qu’il faut, c’est replacer les politiques d’éducation au coeur des politiques de développement.

L’Histoire a voulu que ces pays soient à une certaine période colonisés, et la colonisation a fait qu’ils ont reçu, ont adopté la langue fran­çaise. C’est un fait. Et la Francophonie d’au­jourd’hui n’a rien à voir avec la colonisation d’hier, elle dépasse ce passé colonialiste.

— Au-delà du culturel et du linguistique, quel est le rôle politique de la Francophonie ?

— Ce qui est rassurant, c’est qu’il y a encore des pays qui demandent à adhérer à l’OIF, d’abord parce qu’au sein de ces pays, il y a des communautés francophones, mais aussi parce qu’ils considèrent que d’un point de vue poli­tique, l’appartenance à la Francophonie repré­sente quelque chose de différent. La Francophonie a une valeur d’attraction, est un levier. Un certain nombre d’Etats considèrent aujourd’hui que le fait francophone représente quelque chose, ce qui n’était pas envisageable il y a 10 ou 20 ans. La langue crée une solidarité qui va bien au-delà de l’aspect linguistique, une dynamique politique et même des retombées économiques. Le prochain sommet de l’OIF se tiendra en Arménie. Qui l’aurait imaginé il y a quelques années ?

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