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Henri Eli Monceau : La différenciation culturelle n'est pas un handicap, mais un atout précieux

Loula Lahham, Mercredi, 16 août 2017

Henri Eli Monceau vient de commencer son premier mandat en tant que représentant spécial de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) au sein du Bureau européen des Nations- Unies à Genève. Il livre à Al-Ahram Hebdo son plan pour promouvoir la francophonie dans le monde.

Henri Eli Monceau : La différenciation culturelle n
Henri Eli Monceau

Al-ahram hebdo : Vous venez d’être nommé représentant spécial de l’OIF auprès des Nations- Unies à Genève, quel est votre programme pour promouvoir la francophonie au sein de l’Onu ?

Henri Eli Monceau : La Francophonie comprend aujourd’hui 58 Etats membres (dont 4 sont des membres associés) et 26 Etats observateurs. Autrement dit, nous rassemblons près de la moitié des Etats membres de l’Onu, ce qui est considérable. Nous constituons un groupe transrégional présent sur tous les continents et alliant des pays développés, des pays à revenu intermédiaire et des pays en développement. Bref, la Francophonie est un acteur du système multilatéral à la fois légitime par sa représentativité, significatif par sa diversité et crédible par son dynamisme. Dans le sillage de mes prédécesseurs, mon rôle va être de coordonner au mieux cette influence que nous pouvons exercer, nous francophones, dans la construction indispensable de la communauté internationale à l’échelle de deux plateformes importantes du multilatéralisme : Genève et Vienne. Ceci suppose, en particulier, de porter le plaidoyer qu’a initié notre secrétaire générale, Mme Michaëlle Jean, sur le renforcement de l’égalité femmeshommes mais aussi de la prévention du radicalisme des jeunes par les jeunes à travers l’action Libres ensemble.

— Quel genre de coopération y a-t-il entre l’Onu et l’OIF ?

— Je dirais tout d’abord que la coopération entre l’OIF et les Nations- Unies va de soi dans la mesure où tous les Etats membres de l’OIF sont membres de l’Onu. Cette relation est d’ailleurs très ancienne puisqu’elle a été formalisée, il y a plus d’un demisiècle alors que ce qui allait devenir l’OIF s’appelait encore Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT). Sur le plan du contenu, enfin, la coopération OIF-Onu porte effectivement ou potentiellement sur toutes les thématiques figurant à l’agenda de chacune des deux organisations puisqu’elles ont toutes deux vocation universelle. Pour ce qui concerne Genève, nos axes de coopération sont articulés autour de quatre grands enjeux programatiques qui recouvrent largement les valeurs de la Francophonie : la paix, la gouvernance et les droits de l’homme ; le commerce et le développement ; les problématiques sociales, environnementales et humanitaires ; le multilinguisme et le respect de la diversité culturelle au sein du système multilatéral.

— Lors de votre rencontre avec le directeur général de l’Office des Nations-Unies à Genève, fin juin, vous avez notamment discuté de la question de migrations. Concrètement parlant, qu’estil possible de faire face à cette problématique ?

— La Francophonie occupe une position de responsabilité face à la question décisive des migrations. Parmi nos membres, nous comptons en effet à la fois des pays d’origine, des pays de destination et des pays de transit. Nous sommes donc particulièrement bien placés pour organiser le dialogue autour de cette problématique qui, malheureusement, demeure encore largement caractérisée par l’incompréhension entre les protagonistes. C’est d’ailleurs cette position d’« interconnecteur » que nous occupons dans la discussion actuellement en cours du Pacte mondial sur les migrations au sein des Nations-Unies.

— Vous avez également évoqué le multilinguisme, mais pensez-vous que la promotion du multilinguisme soit en contradiction avec celle de la francophonie ?

— Bien au contraire. Au sein du système multilatéral, le multilinguisme n’est ni un luxe ni l’appendice d’une pensée politiquement correcte, mais une nécessité absolue. La responsabilité de l’Onu et des autres organisations internationales est de se faire entendre le plus largement et le plus profondément possible des populations et non pas seulement des élites. Ceci suppose à la fois d’abandonner le « sabir » technocratique et globalisateur dans lequel nous nous complaisons si souvent et de promouvoir un multilinguisme réel et étendu. Le français, ancienne langue dominante au point de souvent en complexer les locuteurs qui veulent absolument démontrer qu’ils maîtrisent eux aussi le « globish » en cours, a tout à gagner de ce combat où l’impératif démocratique rejoint l’essence culturelle.

— L’espace francophone est un espace très diversifié et les Etats membres de l’OIF sont à la fois géographiquement et culturellement très disparates. Comment l’organisation peut-elle oeuvrer à les rapprocher d’une manière ou d’une autre ?

— Que nous le voulions ou pas, nous vivons dans un monde globalisé. Un monde où l’espace et le temps correspondent, en 2017, a des réalités vécues qui n’ont plus grand-chose en commun avec celles en cours il y a deux ou trois décennies. Dans ce monde nouveau, où l’accélération semble parfois la nouvelle constante temporelle comme le soulignait Hartmut Rosa, la différenciation culturelle ne représente pas un handicap qu’il faudrait combattre ou limiter mais, au contraire, un atout précieux qu’il importe de cultiver. Cette diversité, elle est le sel et la La Francophonie occupe une position de responsabilitéface àla question décisive des migrations. Parmi nos membres, nous comptons en effet àla fois des pays dorigine, des pays de destination et des pays de transit. valeur de la Francophonie. Les Etats membres de l’OIF, nous nous attachons à les rapprocher sur le plan des positions qu’ils peuvent être amenés à prendre en matière de gouvernance, de promotion de la paix et des droits de l’homme, de volonté de transformation structurelle de leurs économies, etc. Par contre, leur diversité culturelle, maintenonsla et cultivons-la si nous voulons nous enrichir mutuellement.

— On trouve, au sein de l’OIF, des Etats où le français n’est que très peu parlé, alors que d’autres pays réellement francophones, comme l’Algérie, n’y sont pas membres. Comment expliquez-vous cela ? L’appartenance à l’OIF est-elle donc une décision davantage politique ?

— Le choix de l’Algérie de mesurer son implication dans le système multilatéral n’est pas réservé à la Francophonie. Il peut être observé dans bien d’autres cadres. Et il ne m’appartient pas de le juger. Quant aux pays où l’usage du français est limité mais qui ont souhaité faire partie de la Francophonie, ils soulignent tout à la fois, me semble-t-il, la pertinence et l’attractivité des valeurs qui fondent notre alliance et le poids de cette dernière dans la communauté internationale en construction.

— L’OIF a aussi une vocation politique et nombre de ses Etats membres sont africains et en proie à de sérieux troubles. Comment l’organisation contribue-t-elle à résoudre les conflits ?

— L’OIF oeuvre sans relâche à la résolution des crises qui peuvent toucher ses propres Etats membres ; et ce, sans jamais abdiquer des valeurs de paix, de gouvernance démocratique et de promotion des droits de l’homme qui constituent notre essence. La Direction des Affaires Politiques et de la Gouvernance (DAPG) recèle parmi les meilleurs experts internationaux de ces matières. Le travail qu’ils mènent, par exemple, en soutien à la mise en place du processus électoral en RDC est unanimement salué par tous les spécialistes de la région. De même, la secrétaire générale, Mme Jean, a désigné des envoyés spéciaux dans les régions et sur les thématiques les plus sensibles qui font autorité parmi leurs pairs. Ce dispositif, auquel contribuent nos représentations permanentes à New York, à Genève, à Addis-Abeba (auprès de l’Union africaine) et à Bruxelles (auprès des institutions européennes) ainsi que nos bureaux régionaux, est fréquemment sollicité et utilisé par les Nations-Unies elles-mêmes, ce dont nous nous félicitons.

— Quel est le bilan de l’OIF en ce qui concerne la promotion de la démocratie et des droits de l’homme ?

— Au sein du Conseil des droits de l’homme et des autres organes onusiens en la matière, l’empreinte de l’OIF est substantielle et appréciée. Il n’est plus une session du Conseil des droits de l’homme qui ne soit marquée par les Déclarations du Groupe des Ambassadeurs francophones. Les plus récentes ont porté sur l’égalité femmes-hommes et sur la coopération technique dans le domaine de la défense des droits de l’homme. A tel point que nous espérons être en mesure prochainement d’initier une Résolution de la Francophonie. De même, le soutien apporté à nos Etats dans la préparation de leur examen périodique universel est réputé par-delà les groupes régionaux et linguistiques. Ceci dit, il faut reconnaître que les droits de l’homme constituent le terrain par excellence où la réalité nous rappelle inlassablement à la modestie, voire à l’insatisfaction.

— Le prochain sommet de l’OIF est prévu en Arménie en 2018, puis en 2020, ce sera en Tunisie, et l’OIF fêtera ses 50 ans. Peut-on s’attendre à un changement de peau à cette occasion ?

— Sans vouloir botter en touche par rapport à votre question, j’ai envie de répondre que, depuis bientôt 50 ans, la mue de l’OIF a été permanente. Chaque sommet a apporté une impulsion nouvelle qui s’est souvent traduite par une extension du champ d’intervention de la Francophonie. Montreux, Kinshasa, Dakar, Antananarivo, pour ne prendre que les plus récents, ont consacré l’ouverture à de nouvelles préoccupations : le développement durable, l’éducation, le numérique, l’économie, etc. Il n’y a donc aucun doute que Erevan et Tunis marqueront de nouvelles étapes pour la francophonie.

— Michaëlle Jean, la secrétaire générale de l’OIF, est sur la sellette pour une question de dépenses exorbitantes. Pouvez-vous nous expliquer où en est cette affaire ?

— Des réponses factuelles, précises et circonstanciées ont été apportées à ces allégations. Quelles que soient leurs motivations, les francophones qui cherchent à affaiblir la francophonie se tirent une balle dans le pied. J’ose espérer que ce type de débats est derrière nous et que toutes les énergies sont mobilisées pour le bien commun des francophones sur les cinq continents.

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