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La mauvaise idée du charbon

Rasha Hanafy, Mardi, 21 janvier 2014

Face à la pénurie de gaz naturel, le ministère d’Etat pour l’Environnement s’oppose au charbon pour assurer l’énergie aux cimenteries. Les spécialistes dénoncent aussi une idée rétrograde.

charbon

Il faut d’abord penser aux alternatives pos­sibles avant de recourir à l’importation de charbon. Tel est le commentaire principal de l’Agence Egyptienne pour les Affaires de l’Environnement (AEAE), lors de la réunion au Conseil des ministres la semaine dernière. Plusieurs ministères s’opposent au charbon, comme ceux de l’Agriculture, de la Santé et du Tourisme. « Nous ne sommes ni contre l’investis­sement, ni contre les cimenteries. Le ministère d’Etat pour l’Environnement oeuvre pour proté­ger l’environnement et l’application des lois de la préservation de la nature, afin de sauvegarder la santé des Egyptiens », déclare Laïla Iskandar, ministre d’Etat pour les Affaires de l’environne­ment.

L’idée de recourir au charbon est apparue en raison de la pénurie de gaz naturel et de carbu­rant qui frappe le pays depuis plus de deux ans, sur le plan domestique et industriel. C’est dans le cadre de cette pénurie de carburant que le syndi­cat des Ouvriers de la construction a envoyé, la semaine dernière, un rapport urgent au premier ministre, Hazem Al-Beblawy, pour lui expliquer les problèmes dont souffrent 21 sociétés de ciment possédant un total de 24 cimenteries. Il réclame un changement des sources d’approvi­sionnement, pour passer au charbon. Ce que l’AEAE et les spécialistes de l’environnement refusent. « Le charbon est le combustible fossile le plus nuisible à l’environnement. Le monde déploie des efforts pour s’en passer et utiliser le gaz naturel. La Chine, pays le plus pollueur au monde, investit aujourd’hui dans les énergies renouvelables après des décennies d’utilisation du charbon. Si le monde entier oeuvre pour dimi­nuer les taux de pollution et les causes des effets de serre, pourquoi recourrons-nous au charbon en Egypte, pays vulnérable aux changements climatiques ? L’AEAE n’est pas contre le déve­loppement, mais il faut réaliser un développe­ment durable », explique Ahmad Aboul-Seoud, secrétaire général de l’AEAE. Et d’ajouter : « Il y a 35 millions de tonnes de déchets agricoles, des millions de tonnes de déchets solides, l’éner­gie solaire et éolienne. Ces alternatives dimi­nuent la dépendance des usines des combustibles fossiles. Il faut mettre en place une stratégie pour l’énergie en Egypte, pour connaître précisément les besoins énergétiques. Chose qui n’existe pas sur l’urgent, moyen, court ou long terme ».

Les responsables de l’AEAE et les spécialistes craignent une dégradation de l’environnement avec le retour du charbon. Pour eux, les cimente­ries, mais aussi les usines de briques et même les centrales électriques vont recourir au charbon pour se fournir en énergie. Ce qui élimine tous les efforts déployés durant des années, pour encourager le recours aux sources propres d’énergie. « L’importation de charbon et son utilisation sont contre la loi de l’environnement numéro 4/1994 amendée par la loi 9/2009, qui interdit la pollution de l’air et de l’environne­ment de façon à avoir des répercussions néga­tives sur la santé de l’homme. Le pire est que l’idée de retourner au charbon est contraire aux articles de la Constitution, qui stipulent l’enga­gement de l’Etat à réaliser le développement durable. C’est du n’importe quoi ! », affirme Ahlam Farouq, directrice générale du départe­ment de conformité au sein de l’AEAE. Et se demande : « Si les établissements industriels utilisent le charbon et émettent du CO2, quel sera le travail des groupes d’inspection relevant de l’AEAE ? Notre travail, conformément à la loi de l’environnement, consiste à obliger les éta­blissements à respecter les normes environne­mentales. Y aura-t-il un amendement de la loi ? ».

Selon les rapports des instances nationales, l’Egypte se retrouvera face à une facture lourde à payer à cause des maladies et de la dégradation des ressources naturelles résultant de l’utilisation du charbon.

Inférieur à la moyenne

Une augmentation de 70 % des émissions de CO2, dioxydes de soufre (168 000 tonnes/an), dioxydes de nitrogène (18 500 tonnes/an), sera provoquée par l’utilisation du charbon comme source d’énergie. Selon le rapport des spécialistes de l’environnement à l’AEAE, ces chiffres pour­raient croître, puisque le respect des normes envi­ronnementales est inférieur à la moyenne en Egypte, par rapport aux pays européens. « C’est contre les politiques déclarées de l’Etat visant à réaliser un développement économique peu dépendant du carbone, en faveur de la technolo­gie du produit plus propre », estime l’AEAE dans un rapport publié il y a quelques semaines, qui se réfère également aux études de la Banque Mondiale (BM) et du ministère égyptien du Pétrole. En 2002, la BM a publié une étude selon laquelle le coût de la dégradation environnemen­tale en Egypte est équivalent à 4,5 % du PNB, tandis que celui de la dégradation environnemen­tale au Caire et à Alexandrie consiste à la moitié de ce pourcentage.

L’étude du ministère du Pétrole, publiée en 2011, précise que le coût de l’utilisation du char­bon pour produire 60 millions de tonnes de ciment est de 536 millions de dollars/an, à cause des émissions de carbone. Quant au coût de la produc­tion d’électricité par le charbon, il s’élève à 700 millions de dollars/an (pour une centrale élec­trique de capacité de 3 000 mégawatts). « Il est inadmissible, alors que les pays du monde conti­nuent leur chemin vers l’énergie renouvelable, que l’Egypte prenne une direction totalement opposée ! Les décideurs doivent savoir qu’une telle politique mènera à une fuite des investisse­ments. Il n’y a aucune vision dans les projets que le gouvernement veut mettre en place, même dans celui du développement de la zone du Canal de Suez. Ils doivent comprendre que l’économie d’aujourd’hui consiste à investir dans l’environ­nement et non dans la destruction des ressources naturelles. Je dois leur dire franchement que cette politique détruira l’Egypte », assure Hussein Abaza, directeur du Centre du développement durable et ancien directeur du département du commerce et d’économie relevant du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE).

Les spécialistes espèrent que le gouvernement révisera sa copie avant d’autoriser l’importation de charbon. Ils espèrent continuer le chemin des énergies renouvelables et du recyclage des déchets agricoles et solides, déjà entamé.

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