Environnement > >

La foret pétrifiée livrée a la négligence

Dalia Abdel-Salam, Dimanche, 05 janvier 2014

La réserve de la forêt pétrifiée, près du Caire, vieille de plusieurs millions d'années, est l'objet de violations continues qui pourraient la détruire si personne ne réagit. Reportage.

Forêt pétrifiée

Pour la visiter, il faut s’y rendre en 4x4. La réserve de la forêt pétrifiée est située tout près du Caire, à la hauteur de Qattamiya. Le rendez-vous est pris à 11h avec ses ran­gers devant le domicile de … l’ex-président Mohamad Morsi. En moins de 10 minutes de route, le mur qui entoure la réserve apparaît au loin. Mais difficile de le distinguer : des amas de détritus et de déchets de construc­tion jonchent le chemin. « Le mur est même cassé à 9 endroits dont 3 permettent l’entrée de camions qui viennent se fournir en sable sur ce site considéré comme le seul lieu d’ap­provisionnement de la région », indique Mohamad Al-Hiwihi, responsable de la forêt pétrifiée au sein du secteur de la protection de la nature au ministère de l’Environne­ment.

A la porte principale, le nom de la réserve est presque effacé, ce qui donne une impres­sion de négligence. « La réserve mesure 7 km2 mais ne compte que 3 gardiens, et 2 d’entre eux partent à la retraite dans quelques mois », indique Chaïmaa Taha Abbas, vice-directrice de la réserve de la forêt pétrifiée. En plus d’être en nombre insuffisant, les gardiens ne sont pas équi­pés. « Le sable est volé devant leurs yeux mais ils ont affaire à des hommes armés et menaçants alors leur seule option est de les laisser faire », poursuit Al-Hiwihi. Les res­ponsables de la réserve ont contacté plu­sieurs fois l’Agence égyptienne pour les affaires de l’environnement pour lui faire état de leurs besoins en personnel, à savoir au moins 8 gardiens formés et équipés. Mais en vain.

Selon Chaïmaa Taha Abbas, les respon­sables ont demandé à une société de sécu­rité (Queen Service) de fournir des agents afin de sécuriser la réserve. Ils ont essuyé un refus car le site est loin des transports en commun et ne dispose pas d’abris capables de servir de résidence aux agents. Le seul bâtiment de la réserve qui comprend les bureaux des responsables est un petit « musée » exposant quelques échantillons de la richesse géologique, situé face à l’en­trée principale. Devant ce bâtiment, 3 hommes attendent : Ahmad Emad, respon­sable de la sensibilisation, Safwat Al-Kafrawi, un ranger, et Ibrahim Soliman, responsable administratif. C’est là que tout le personnel de la réserve vient dire sa détresse.

Absence d’infrastructure

Car les problèmes de la réserve sont nom­breux. « La réserve n’est pas reliée au réseau d’eau potable ou d’électricité. Nous avons demandé l’installation de ces ser­vices aux responsables mais une fois on nous dit que le site est éloigné du réseau, même si à quelques centaines de mètres des bâtiments privés profitent de ces infrastruc­tures. Un autre jour, on nous a dit que le mur construit autour de la réserve ne suit pas les limites légales, ce qui est considéré comme une violation de la part de la réserve, et la prive d’eau et d’électricité. Il est vrai que le site dispose d’un générateur mais il tombe souvent en panne », explique Al-Hiwihi. Pourtant, c’est bien l’absence d’infrastructure qui entrave les efforts de développement de la réserve.

Mais le problème du vol de sable reste le plus important. « Au début, les camions arrivaient vides pour se fournir en sable. Maintenant, ils viennent remplis de déchets de construction, les jettent dans la réserve puis se fournissent en sable », raconte Safwat Al-Kafrawi, un ranger. « Quand on voit un de ces véhicules, on relève son numéro d’immatriculation », raconte Al-Hiwihi, qui dit même s’être fait tirer dessus par les occupants du camion.

Mais ce problème n’est pas le seul. Les élèves d’une école proche viennent prati­quer un jeu dangereux : sauter depuis le sommet des dunes de sable. « Les enfants viennent seuls, ne sont pas surveillés. En sautant du sommet des dunes, ils risquent de heurter un tronc d’arbre pétrifié et se blesser gravement … La réserve ne dispose même pas d’une trousse de premiers secours », déclare Chaïmaa Taha Abbas, en ajoutant avoir découvert cette activité par hasard et ignore comment la contrôler.

La plupart des infractions ne sont pas enregistrées puisque la réserve ne dispose que d’une seule caméra de surveillance. « Nous prenons des photos avec nos télé­phones portables mais souvent elles ne sont pas assez claires », signale-t-elle.

Ailleurs dans la réserve, la visite révèle d’autres infractions. Des tas d’ordures s’ac­cumulent. Un coffre-fort fracassé gît près d’un feu qui s’éteint. Il aurait été amené la veille par des malfaiteurs qui cherchaient à le forcer. Chaïmaa Taha Abbas sort de la voi­ture pour voir l’état du coffre de plus près et prendre des photos. Le chauffeur qui connaît le site par coeur indique au fil du parcours les lieux récemment vidés de leur sable.

Dans son bureau, Chaïmaa Taha Abbas montre un gros dossier contenant les infrac­tions et courriers envoyés aux responsables gouvernementaux pour mieux sécuriser le site. Le gouverneur du Caire, le Conseil des ministres, les forces armées, le directeur de la sécurité du Caire et celui de Hélouan, tous ont été contactés ... sans changement apporté.

Les responsables de la réserve ont aussi des projets pour la développer comme rece­voir des sorties scolaires, ouvrir le site aux camps écologiques et autres activités pos­sibles comme le ski sur sable. Mais impos­sible de les réaliser en l’absence de sécurité et d’infrastructures.

Plus important, c’est la forêt elle-même qui risque la destruction à cause du vanda­lisme. Sera-t-elle sauvée à temps ?

Qu’est-ce que la forêt pétrifiée ?

1

Sur l’ancienne route de Qattamiya-Aïn Sokhna, à 18 km de Maadi, et 10 km au sud du Caire, s’étale sur 7 km2 la réserve natu­relle de la forêt pétrifiée. C’est un espace couvert d’un mélange de sable, de cailloux et de grandes branches et troncs d’arbres pétri­fiés dont la longueur dépasse par­fois les 20 mètres avec 14 mètres de largeur.

Cette réserve géologique figure en bonne place sur la carte du tou­risme environnemental et scienti­fique. Elle est un véritable musée en plein air, une richesse nationale qu’il faut préserver. On l’appelle parfois la réserve de « Gabal Al-Khachab » (la montagne de bois), car elle comprend une quantité très dense de troncs d’arbres pétrifiés remontant à plus de 35 millions d’années.

Cette forêt est formée de plu­sieurs couches de sable, de gra­vures, de limon, de bois pétrifiés d’une épaisseur de 600 mètres. Ce sédiment ne renferme que très peu de fossiles d’animaux même si cer­tains vieux de 40 millions d’années y ont été découverts.

C’est un patrimoine important non seulement pour l’Egypte mais aussi pour le monde entier. Malgré son importance, très peu de recherches y ont été effectuées.

Lien court:

 

Les plus lus
En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique