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Manoeuvre politique ou souci de transparence ?

Ola Hamdi, Mardi, 24 mars 2015

Le Parquet général vient de publier les résultats des enquêtes dans trois affaires ayant préoccupé l'opinion publique au cours des derniers mois.

Manoeuvre politique ou souci de transparence ?
Un policier a été déféré à la justice pour le meutre de Chaïmaa Al-Sabbagh. (Photo : AP)

« Le policier accusé du meurtre de Chaïmaa Al-Sabbagh sera transféré devant la Cour d’assises pour coups et blessures ayant provoqué la mort », affirme le procureur général dans un communiqué. Chaïmaa Al-Sabbagh, membre du Parti populaire socialiste, est morte lors d’une manifestation à la veille du 4e anniversaire de la révolution du 25 janvier, lorsque la police a dispersé violemment une marche d’une cinquantaine de manifestants place Talaat Harb. Les manifestants voulaient se rendre sur la place Tahrir pour déposer une gerbe de fleurs en hommage aux victimes de la révolution du 25 janvier 2011. La mort d’Al-Sabbagh avait provoqué une vive émotion en Egypte. Le communiqué du procureur général affirme que le policier sera puni pour son crime. En vertu de la loi, le policier risque entre trois et sept ans de prison.

Le premier ministre, Ibrahim Mahlab, a déclaré lui que « la décision du procureur général de déférer devant la Cour d’assises le policier accusé du meurtre de l’activiste Chaïmaa affirme la suprématie de la loi ». En effet, le renvoi d’un policier devant une Cour d’assises est un fait rare en Egypte. Pourtant, l’accusation de coups et blessures ayant provoqué la mort est dénoncée comme vicieuse par la famille de la victime et des organisations des droits de l’homme. Chaïmaa, âgée de 35 ans, a été atteinte par un tir de chevrotine. Son parti affirme qu’elle a été tuée par les forces de sécurité.

« Ma fille était visée, et a été lâchement tuée. La police et l’ambulance ont refusé de la transférer à l’hôpital », s’insurge la mère de Chaïmaa. L’avocat Sayed Aboul-Ela, ami de Chaïmaa et témoin de son assassinat, parle d’un meurtre prémédité. Même son de cloche pour Gamal Eid, directeur du Réseau arabe d’informations pour les droits de l’homme. « Ce chef d’accusation minoré démontre qu’il n’existe aucune volonté politique d’appliquer la loi », dit-il.

Mais ce n’est pas le chef d’accusation qui a le plus dérangé. Le même communiqué accuse et l’officier et les manifestants. « L’enquête a révélé que certains dirigeants et membres du parti de l’Alliance populaire socialiste ont organisé une manifestation sans préavis, en violation de la loi, perturbant ainsi l’ordre public et la sécurité », lit-on dans ce communiqué.

Outre l’affaire Chaïmaa Al-Sabbagh, le procureur général a également annoncé l’inculpation de seize personnes, dont des partisans des Frères musulmans, pour meurtre et incitation à la violence en relation avec la mort de 20 supporters de football au début du mois de février.

Les Frères accusés

Là aussi, les familles des victimes ont critiqué le fait que le Parquet n’a fait porter aucune responsabilité aux forces de l’ordre. « Au lieu de condamner les responsables de la mort de Youssef et de ses camarades, le Parquet a fait porter la responsabilité aux Frères musulmans. Or, tout le monde sait que les forces de sécurité sont impliquées dans ce drame », lance Magdi Hussein, membre des White Knights (les Ultras du club Zamalek). Et d’ajouter : « Lorsque les agents de la médecine légale ont obligé les familles des victimes, à signer des documents attestant que les leurs ont été tués suite à la ruée, et non pas à cause des gaz tirés par les forces de sécurité, nous avons réalisé que la justice ne condamnera pas les forces de l’ordre dans ce massacre ». Azmi Mégahad, porte-parole de la Fédération égyptienne de football, salue pour sa part la décision du procureur général en disant : « J’ai accusé les Frères musulmans et le mouvement du 6 Avril directement après les événements. Malheureusement, les gens se moquaient de moi et riaient, mais le Parquet a confirmé mes commentaires ».

Mort accidentelle

Les résultats d’une troisième enquête dernièrement révélés par le Parquet portent sur le meurtre en janvier 2013 de Mohamad Al-Guindi, membre du Courant populaire. L’enquête conclut que celui-ci est mort dans un accident de voiture, pas des suites de la torture. Al-Guindi avait été arrêté avec d’autres militants dans la foulée du 2e anniversaire de la révolution du 25 janvier. Il a été par la suite transféré dans un camp de la sécurité, mais le ministère de l’Intérieur a nié qu’il ait été torturé. La mère de Mohamad, qui rejette la décision du Parquet, a appelé le procureur général à ouvrir une nouvelle enquête.

L’ancien candidat à la présidentielle, Hamdine Sabahi, également président du Courant populaire dont est issu Al-Guindi, a rejeté lui aussi la conclusion de l’enquête. « Le martyr Mohamad Al-Guindi a été soumis à une torture sévère qui a conduit à sa mort. Si le procureur général n’était pas en mesure de prouver la torture, il est tout aussi incapable de prouver qu’il est mort à cause d’un accident de voiture », affirme Sabahi. Il ajoute que d’après les personnes qui l’ont accompagné à l’hôpital, Mohamad est mort des suites de la torture, « ce que confirment les photos qui ont circulé ».

Essayant d’expliquer les révélations des résultats des enquêtes dans ces trois affaires hyper-médiatisées, Moustapha Kamal Al-Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, estime qu’il y avait une forte pression de l’opinion publique à laquelle les autorités pouvaient difficilement se soustraire.

Tandis que pour Bahieddine Hassan, directeur du Centre du Caire pour les études des droits de l’homme, il s’agit plutôt d’exporter une certaine image de l’Egypte. « Beaucoup de pays occidentaux avaient critiqué l’état des droits de l’homme en Egypte lors de la réunion à Genève, il y a quelques mois, du Conseil onusien des droits de l’homme », rappelle Hassan. « En publiant les résultats de ces enquêtes, le Parquet veut prouver qu’il y a une certaine transparence en Egypte », conclut-il.

Vendredi dernier, lors de la réunion périodique du Conseil des Nations-Unies pour les droits de l’homme, l’Egypte a accepté 243 recommandations sur les 300 qu’elle a reçues. Le représentant permanent de l’Egypte auprès de l’Onu, Amr Ramadan, a affirmé que l’Egypte avait étudié les recommandations avec un esprit ouvert et avait accepté plus de 81 % des recommandations qui lui ont été faites. Ceci prouve, selon lui, que le gouvernement égyptien est soucieux de la protection et du respect des droits de l’homme et des libertés principales.

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