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Exportations : Un changement dans la continuité

Névine Kamel, Lundi, 25 août 2014

La réforme du système qui régit le Fonds de soutien à l'exportation, qui se veut plus équitable envers les PME, suscite la polémique. Beaucoup jugent que le gouvernement continue à favoriser les gros exportateurs.

Exportations
Le secteur textile s'empare d'un grand part du soutien à l'exportation. (Photo : Al-Ahram)

Plusieurs industriels met­tent en garde contre le nouveau système du Fonds de soutien à l’exportation, 2 mois après son entrée en vigueur. Pour certains, le gouvernement ne respecte pas les conditions d’octroi de l’aide du nouveau système. Pour les autres, le nouveau système a échoué à gommer les défauts de l’an­cien.

differences des systemes

Le membre de la Chambre des industries pétrochimiques, auprès de l’Union des industries, Hani Qassis, comme tous les membres, s’est attaqué à ce nouveau système, au cours d’une réunion extraordi­naire du conseil d’administration de la Chambre, la semaine dernière. Ce système qui devait permettre plus d’équité dans la distribution du soutien à l’exportation a, selon eux, failli à ses objectifs.

Qassis accuse le gouvernement d’occulter des informations sur les bénéficiaires de ce soutien. Il juge également que les conditions d’oc­troi de l’aide ne sont pas respectées. « La bureaucratie et la corruption entravent toute adhésion de petites ou moyennes entreprises nouvelles sur le marché, et c’est ainsi que les grands continuent à se partager le gâteau », lance-t-il, au moment où le ministre de l’Industrie et du Commerce a annoncé l’adhésion de nouvelles entreprises au programme de soutien.

Le ministre avait également déclaré que la mise en oeuvre des nouvelles normes de soutien était effective depuis juillet dernier. Or, le nouveau système a été diffusé et distribué aux diverses Chambres la semaine dernière. L’Hebdo en a pu obtenir une copie.

Selon le nouveau système, le taux de soutien a été coupé de moitié pour les usines qui se trouvent dans le pays, et de 75% pour les usines situées dans les zones franches (exemptes des douanes et des taxes, et considérées hors du territoire égyptien). De plus, dans un souci d’encourager l’industrie locale, seules les industries qui utilisent des composantes locales à plus de 40% profitent du soutien.

Corruption et bureaucratie

Hani Qassis, qui est aussi proprié­taire d’une grande usine pour la pro­duction du papier (Mantrac), consi­dère que c’est injuste de continuer à soutenir les usines situées dans les zones franches. « Pourquoi ces enti­tés continuent à profiter du soutien ? C’est une forme de corruption. Puisque les zones sont traitées comme des régions hors pays, donc, une fois qu’une usine exporte à une autre usine dans la zone franche, elle profite d’un soutien, même si les deux usines appartiennent à une même firme. Ensuite, quand l’usine de la zone franche exporte à l’étranger, elle profite également d’un soutien ».

Pour Qassis, des centaines de cas de corruption ont eu lieu et le gouver­nement en est bien au courant. « Des familles et des amis se donnent le droit de créer des usines et de s’ex­porter les uns vers les autres les pro­duits de leurs usines pour profiter du soutien, et le gouvernement continue à les subventionner », accuse Qassis.

Khaled Aboul-Makarem, président de la Chambre des matières plas­tiques, partage cette opinion: « Le nouveau système continue à favoriser les grandes entités ». En fait, selon le nouveau système, le soutien accordé aux usines au sein des zones franches est à hauteur de 1,25% à 2,25% selon le pourcentage du composant local dans la production.

Le ministre de l’Industrie, du Commerce et des petites et moyennes Entreprises se défend. « Le nouveau système a réduit de 75% le soutien accordé aux usines de la zone franche. Quoi faire de plus? Ensuite, ce nouveau système a relié le soutien accordé au composant local et aux salaires. Un contrôle rigoureux aura lieu dorénavant », révèle-t-il à l’Heb­do. Il ajoute: « Toute nouvelle petite ou moyenne entreprise a le droit de se présenter et de bénéficier du soutien. Il n’y a pas de complications. Ce n’est pas vrai ».

Les craintes vis-à-vis du Fonds de soutien à l’exportation varient d’un secteur à l’autre. Mohamad Al-Morchedi, propriétaire d’une entreprise du prêt-à-porter, éprouve peu d’inquiétude. Pour lui, le fait de lier le soutien au taux du composant local est une étape sur la bonne voie. Or, il souligne qu’elle n’est pas suffi­sante pour permettre aux PME de profiter du soutien. « Les grandes entités, normalement, continueront à s’emparer de la grande partie du soutien ». Il suggère ainsi de consa­crer un taux à part pour les PME.

Mohamad Zaki Al-Sweedy, chef de l’Union des industries, salue, quant à lui, les nouvelles normes. « Les grandes entités sont importantes pour la relance de l’économie. Les PME aussi. Le nouveau système de soutien maintient l’équilibre entre les deux», dit-il. Et d’ajouter: « Le nou­veau système favorise les petits exportateurs, dont le volume d’expor­tations est inférieur à 2 millions de dollars. Auparavant, ce n’était pas le cas ».

Un passif peu reluisant

Le nouveau système offre un sou­tien supplémentaire de 1% sur la facture des exportations dans 5 cas : si l’usine exportatrice se trouve dans la Haute-Egypte. Si l’usine introduit un produit d’innovation. Si elle entre dans un nouveau marché. Le Fonds a précisé 12 pays, à savoir, la Chine, l’Allemagne, le Canada, la Turquie, l’Inde, les Pays-Bas, le Japon, le Brésil, la Pologne, la Thaïlande, la Russie et la République tchèque.

Ces pays absorbent un tiers des importations mondiales dans le sec­teur chimique, les engrais inclus. Alors que la part des exportations égyptiennes ne dépasse pas 0,1% du total, comme le note Walid Hilal, président de la Chambre des produits chimiques, qui se félicite d’avoir réussi à convaincre le ministère de l’Industrie et du Commerce extérieur à ajouter à cette liste tous les pays africains.

Par ailleurs, l’entreprise qui paie une plus grande part de ses coûts en salaires est garantie d’un bonus variant de 0,25% à 1% du soutien à l’exportation. Les entreprises sont ainsi classées en 3 catégories d’après la part des salaires.

Le nouveau système, malgré les critiques, est aussi présenté comme favorisant les PME. Ainsi, les usines, dont les exportations ne dépassent pas 1 million de dollars, profiteront de 1% de soutien supplémentaire, et celles dont le volume des exporta­tions varie entre 1 et 2 millions de dollars de 0,5% supplémentaires.

Or, un homme d’affaires proche du ministère et qui a préféré garder l’anonymat a assuré à l’Hebdo que « jusqu’à maintenant, le nouveau système n’a pas donné ses fruits. Les grands se partagent toujours le gros des aides du Fonds ».

Le ministre rétorque: « Cela n’est pas vrai. La liste des entreprises qui en profiteront en sera la preuve. Cette liste sera disponible pour tous à la fin 2014/2015 ».

Cette polémique autour du nou­veau système d’octroi de l’aide à l’exportation a ses racines dans l’histoire du Fonds. Depuis sa créa­tion en 2004, la balance a toujours pesé en faveur des grands hommes d’affaires et le Fonds de soutien à l’exportation refusait systématique­ment de dévoiler le nom des entre­prises bénéficiaires des aides. Beaucoup d’interrogations ont plané sur la gestion de ces aides. C’est ainsi, comme le montrent les chiffres du dernier rapport du Fonds publié en janvier 2011, que 73 % des entreprises percevant un soutien financier étaient des PME. Or, elles ne touchaient en fait que 20% des aides du Fonds.

Une enquête menée par l’Hebdo en 2011 a révélé que certains investis­seurs connectés au Parti national démocrate (de Moubarak), notam­ment dans les secteurs de l’agroali­mentaire et du prêt-à-porter, ont pu, depuis la création du Fonds en 2002, s’emparer de 65% des sommes ver­sées par le gouvernement. Des accu­sations de népotisme ont terni égale­ment l’administration du Fonds.

L’entreprise de la famille de l’an­cien ministre de l’Industrie et du Commerce, Rachid Mohamad Rachid, était l’un des grands bénéfi­ciaires du Fonds, en violation de la loi de la fonction publique. Autres grands bénéficiaires, dans le temps, étaient Galal Al-Zorba, président de l’Union des industries et propriétaire d’usines de prêt-à-porter, et Alaa Arafa, PDG d’Al-Arafa Group.

« Rien n’a changé jusqu’à mainte­nant », se lamente l’homme d’af­faires, en accusant le gouvernement de continuer à protéger les grands exportateursaux dépens des petites entités. « Il est temps que ce Fonds soutienne les petits. C’est un moyen garanti pour la relance de l’écono­mie », dit-il.

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