« Une recette simple et bon mar­ché ». Tel est le slogan accrocheur du blog culinaire Dondosha, qui ne cesse d’attirer les passionnés de cuisine, ainsi que les débutants. Sur sa chaîne YouTube, Dalia Al-Badr, blogueuse culi­naire, a réuni plus de 5 000 followers ces dernières années, sans compter ceux qui visitent son compte Facebook et Instagram. Tout a commencé en 2012, lorsque Dalia a créé un blog culinaire afin de glisser des idées de recettes faciles et pas chères.

Toutes les cérémonies des Egyptiens sont étroitement liées à la nourriture. (Photo : Salah Ibrahim)

« J’ai toujours été passionnée par la cuisine, et ce, depuis l’âge de 15 ans. Je lisais toutes les rubriques Gastronomie publiées dans les magazines. Je préparais les recettes en y ajoutant ma petite touche personnelle. Celles de ma grand-mère m’ont beaucoup servi. J’avais peur de partir un jour comme cette dernière qui n’a pas pu transmettre de son vivant tout son héritage culinaire. Or, ce qui m’a incitée à lancer la chaîne en 2017, c’est mon fils qui refusait de goûter à aucun mets en dehors, j’ai voulu documenter mon savoir-faire », explique Dalia Al-Badr, 48 ans. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, je suis membre de 200 groupes existant sur les réseaux sociaux qui rassemblent des blo­gueurs ou de simples citoyens du monde entier. Des groupes par le biais desquels on échange des recettes et plein d’idées. En ce temps de pandémie de Covid-19 qui conti­nue de frapper le monde entier, j’ai remar­qué que les gens cherchaient de petites recettes équilibrées, pas chères et faciles à préparer. Cela m’a donné le sentiment que j’avais un rôle humanitaire à jouer », confie Al-Badr, en ajoutant qu’elle publie sur son blog une grande variété de salades, ainsi que des recettes de poulets qui coûtent moins cher que la viande rouge. Dans une rubrique, elle partage aussi ses conseils et ses astuces de grand-mère.

« On me demande, par exemple, pourquoi on doit préparer le foul (plat national des Egyptiens) dans une dam­massa (ustensile utilisé pour faire cuire les fèves). Je réponds que le col de ce récipient est plus étroit que celui de la marmite dont l’ouverture est plus large. Celle-ci expose le foul à l’air et le fait noircir, ce qui n’est pas le cas d’une dammassa. Autre question : l’huile d’olive, avec tous ses avantages, peut-on l’utiliser pour la cuisson des ali­ments ? Je conseille alors de verser l’huile et l’aliment ensemble avant de les porter sur le feu pour les faire revenir et éviter surtout de chauffer l’huile à l’avance », poursuit Al-Badr.

(Photo : Salah Ibrahim)

Elle estime que la cuisine égyptienne est un mélange métissé de plusieurs cultures. On retrouve des influences libanaises, grecques et turques dans les plats grâce à la situation géographique de l’Egypte, sans oublier les vagues de colonisation. Les blo­gueurs culinaires ont revisité quelques spé­cialités étrangères pour satisfaire le goût égyptien. « Le sushi que l’on mange au Japon n’est pas le même que celui que l’on mange ici et qui se prépare avec des pièces de poissons frits. La pizza à l’égyptienne diffère de celle que l’on peut manger en Italie », explique Dalia Al-Badr, qui attache une grande importance à la présentation visuelle de ses plats au point qu’elle a pré­paré un plat de qataëf multicolores quand le Ramadan a coïncidé avec Cham Al-Nessim cette année pour y ajouter de la gaieté. « Un plat bien dressé attire l’oeil avant même l’odorat et le goût », dit-elle sans perdre son enthousiasme.

Fenêtre sur le monde

Les blogueurs culinaires ont revisité quelques spécialités étrangères pour satisfaire les goûts égyptiens. (Photo : Salah Ibrahim)

Dalia Al-Badr est en fait une parmi de nombreuses autres blogueuses culinaires. Depuis dix ans, le nombre de blogs de cui­sine ne cesse d’augmenter. Il en existe aujourd’hui plus d’une centaine en Egypte, sans compter ceux qui continuent chaque jour de fleurir cette plateforme de blogs. Et si derrière chaque blogueur se cache souvent une histoire (une passion, une reconversion ou autres), ceci révèle la volonté de décom­plexer l’approche de la cuisine en rendant accessibles les recettes de chefs. Et si des blogs comme Rosanna Pansino (4,4 mil­lions de followers), Binging with Babish (1 million de followers), Mark Wiens (1,3 mil­lion de followers) et Epic Meal (263 000 followers) sont les plus visités dans le monde, l’Egypte aussi en compte pas mal The Hungry Giraffe Eats (33 000 fol­lowers sur Instagram), The Foodies (24 000), Cairo Munch (46 000), Taste & Tell (36 000), Foodistaegypt (113 000), Amr Sherif (68 000), The Food Review (109 000), Essamyat (162 000). Tels sont les noms des blogs stars en Egypte.

Ces blogueurs offrent une myriade de recettes locales et de spécialités culinaires de divers pays. Une fenêtre ouverte pour découvrir la cuisine du monde et une mine inépuisable d’inspiration et de créativité qui a, sans doute, fait évoluer la cuisine égyptienne en introduisant d’autres mets.

(Photo : Salah Ibrahim)

Noha Emad, blogueuse culinaire, remplit quotidiennement son fil d’actualité avec des plats alléchants qui font ressortir ses talents de cuisinière. @cairofoodiecouple (169 000 followers), ce couple, les Terzibashians, ne ressemble à aucun autre ! Il partage l’amour de la nourriture et des voyages avec ses abonnés.

« On a commencé à introduire en Egypte de nouvelles saveurs et de nou­veaux ingrédients. Avant, il nous était difficile de goûter à la sauce aigre-douce, aujourd’hui, surtout la nouvelle généra­tion en apprécie le goût. On reçoit actuel­lement de nouvelles épices qui peuvent agrémenter de nombreux mets. Certains passionnés de cuisine vont même plus loin en essayant leurs propres combinaisons d’épices », affirme Abir Mohamad, secré­taire de 52 ans et mère de deux filles. Sur Cairo Today, le blogueur Mido Barsoum, qui anime le blog @midoeats, écrit : « J’espère que nous découvrirons des cuisines fusions avec différentes recettes du monde. Nous devons amadouer les palais des fins gourmets par des saveurs plus originales pour les séduire ».

Plaisir des yeux, plaisirs de la table

(Photo : Salah Ibrahim)

Sans nul doute, manger un bon plat provoque un plaisir et une excitation que rien ne peut rivaliser ! D’où l’engouement pour les blogs culinaires qui a commencé il y a quelques années et qui repose aussi beaucoup sur les photos. Car il y a une étape dans le processus à ne pas manquer de nos jours, c’est celle de photographier des plats qui donnent l’eau à la bouche et de les partager sur Instagram et Facebook ! « Ces blogs incitent les gens à préparer des recettes avec créativité et une bonne pincée d’audace. Nous sommes un peuple qui adore la bonne chère. A chaque céré­monie un plat, à chaque occasion une spécialité », confie Mourad Makram, pré­sentateur du célèbre programme Al-Akkil (le goûteur) sur la chaîne CBC Sofra, premier du genre en Egypte. Mourad fait le tour des restos pour goûter les plats et donner quelques recommandations à son public.

Ce boom sur la toile vient-il rompre la routine et retrouver le plaisir de cuisiner ? Sans doute. Mais il s’agit aussi d’un apprentissage et d’une transmission de savoir-faire. Ces blogs culinaires regorgent de recettes où des blogueurs essaient d’atteindre non seulement les fins gourmets, mais aussi les débutants en cuisine, les nouveaux mariés et les personnes qui vivent seules. « Ces blogueurs nous apprennent comment manger sainement et nous aident à suivre les tendances en vogue dans l’art culinaire : le régime végétarien, végétalien, le régime cétogène, le jeûne intermittent, les nouveaux produits sans gluten, sans sucre et sans produits laitiers, etc. A travers ces blogs sur Instagram et Facebook nous arrivons aussi à être au courant de tout ce qui est nouveau en gastronomie. Actuellement, la cuisine en vogue est la turque, alors qu’il y a quelques années, c’était celle de l’Extrême-Orient. C’est comme la mode vestimentaire », explique Islam Mahmoud, homme d’affaires de 38 ans. Héba Tawfiq, femme au foyer de 30 ans, partage son point de vue. « Sur le blog @sincerelyv_plantbased, le coach de santé nutritionnelle a récemment apporté un changement majeur dans mon mode de vie en passant à une alimentation à base de plantes. Tous les fins gourmets comme moi qui aiment la bonne cuisine mais se soucient de leur santé devraient suivre cette blogueuse qui offre un bon équilibre entre l’indulgence et l’alimentation saine et rassasiante ».

De nouveaux influenceurs très influents !

(Photo : Salah Ibrahim)

C’est pourquoi les blogs culinaires égyptiens sont en boom, avec des passion­nés de cuisine devenus des influenceurs. « Ces blogueurs culinaires jouent un rôle essentiel et avec habileté, celui du marke­ting. Autrefois, les restaurants consa­craient un énorme budget pour la publi­cité, alors que ces blogueurs attirent l’at­tention d’un grand public. Ils ont su pro­fiter des réseaux sociaux, ce marché énorme, jeune et prometteur », explique Mourad Makram.

Selon une étude effectuée par l’Univer­sité internationale Misr (Misr International University, MIU) en 2020, au cours des dernières années, les blogueurs culinaires sont devenus les nouveaux influenceurs du marché de la restauration. D’après cette même source, les blogs sont désor­mais l’un des principaux médias en ligne qui influencent les gens dans leur décision d’achat. Les consommateurs classent les blogs à la quatrième place lorsqu’il s’agit de rechercher une source d’information fiable. Cependant, l’étude montre que le consommateur peut être influencé par certains facteurs, tels que la confiance en ce blogueur culinaire, le contenu visuel et la crédibilité. Sans compter le temps passé sur Internet : les personnes qui passent plus de 3 heures sur les plateformes des médias sociaux sont plus susceptibles d’être influencées que d’autres. Et le sexe joue également un rôle important, car les femmes sont plus intéressées que les hommes par les blogs culinaires.

(Photo : Salah Ibrahim)

Ces nouveaux influenceurs font aussi la promotion de l’Egypte pour attirer les touristes. « Comme la cuisine reflète la culture du pays, j’ai eu l’idée de faire le tour des agences touristiques afin de trouver des sponsors. J’ai proposé à des agences de tourisme d’ouvrir des écoles culinaires et d’y ramener des touristes pour leur apprendre comment préparer du kochari, du foul ou de la bissara, etc. Des mets qu’ils ont goûtés et appréciés et qu’ils pourront cuisiner une fois ren­trés chez eux », avance Dalia Al-Badr.

Quel que soit l’impact que laissent les blogueurs culinaires chez leur public, sans doute ceux-ci nourrissent non seu­lement de l’amour pour la nourriture, mais alimentent aussi le plaisir de vivre, et ce, à travers la beauté de la cuisine et l’expérimentation.