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La contraception masculine, une chimère ?

Chahinaz Gheith, Mercredi, 29 juillet 2020

« Pas seulement les femmes ! », c’est le nom d’une initiative lancée par une ONG féminine pour rappeler que la contraception doit être autant l’affaire de l’homme que de la femme. Inciter les hommes à partager le contrôle des naissances n’est toutefois pas une mince affaire. Enquête.

La contraception masculine, une chimère ?
Le préservatif reste aujourd'hui la seule méthode de contraception à la disposition des hommes.

« J’ai oublié de prendre ma pilule ! ». Les hommes pourront-ils un jour avoir ce même souci que nombre de femmes ont au quotidien ? Pas si sûr. S’il existe de nombreux moyens de contraception destinés aux femmes (pilule, stérilet, anneau vaginal, piqûre contraceptive, etc.), pour les hommes, le marché de la contraception est beaucoup plus restreint, avec, à l’heure actuelle, le préservatif masculin, le retrait et l’abstinence périodique et la vasectomie ou stérilisation définitive (qui consiste à bloquer et couper les canaux déférents des spermatozoïdes à partir des testicules, une pratique jugée par plusieurs hommes de religion comme illicite). Vu ce déséquilibre, beaucoup considèrent que la contraception est une affaire de femmes. Or, chaque partenaire a son rôle à jouer en matière de contraception. L’importance de l’implication des hommes dans la contraception est d’ailleurs signalée par des activistes et des organisations féminines. D’après « Barah Amen », une ONG féminine qui travaille sur la prévention et la lutte contre les violences conjugales, les femmes ne doivent en aucun cas assumer seules les conséquences de la vie sexuelle. C’est pourquoi cette ONG a lancé une campagne intitulée « Pas seulement les femmes », afin d’inciter les hommes à s’intéresser davantage à la contraception masculine. « L’idée est de lutter contre les agissements sexistes, qui font que la contraception soit réservée uniquement aux femmes. Comme si la sexualité était liée aux hommes et la procréation aux femmes. Autrement dit, aux hommes, on parle de Viagra, aux femmes on parle de pilule contraceptive. Mais pourquoi la contraception masculine est-elle hors du jeu ? Faut-il que les hommes portent en eux l’enfant pour que les deux conjoints soient concernés par la contraception ! », lance Nayera Hichmat, fondatrice de l’ONG. Et d’ajouter : « Il revient au couple de partager la responsabilité de la contraception et pas uniquement la femme pour éviter de s’exposer à une grossesse ».

Dalia Badr Al-Dine, comptable de 35 ans, apprécie l’initiative. Elle pense qu’il est temps pour que les femmes prennent leur revanche, comme celles dont le mari refuse de se réveiller la nuit pour donner le biberon ou changer la couche du bébé en criant : « Cela ne me concerne pas, c’est toi la mère, c’est toi qui gères ». « Or, c’est une responsabilité commune. Faut-il retourner en classe pour se rappeler que c’est la graine du papa qui fusionne avec la graine de la maman pour avoir un bébé, donc que la responsabilité est de 50/50 », ironise-t-elle. Même écho chez Alia Moustapha, mère de 4 enfants. Des grossesses à répétition, un bébé qui en appelle un autre, et un corps que l’on ne parvient plus à maîtriser. « Quatre mois après mon troisième enfant, j’étais de nouveau enceinte sous pilule. Je culpabilisais de garder une intimité avec mon mari, alors que les grossesses s’accumulaient, et que les méthodes contraceptives échouaient », fulmine-t-elle, tout en racontant qu’à chaque grossesse, elle se disputait avec son mari et lui lançait : « Si tu vois que la pilule est si formidable, tu n’as qu’à la prendre toi-même ! Idem pour le stérilet. Va te faire poser un bout de cuivre sur tes parties génitales et on en reparlera ». Son rêve est de voir le jour où plutôt que d’exploiter le corps des femmes, leur moral et leur sexualité, les hommes prendraient la responsabilité des leurs.

Alors que de nouvelles méthodes de contraception masculine sont à l’essai dans les pays européens, le sujet est délicat à aborder en Egypte. Les hommes, comme certaines femmes, font de la résistance. Tel est le cas de Rana Omar, 25 ans, qui n’accepte pas l’idée de dépendre de quelqu’un d’autre pour sa contraception. « Comment faire confiance aux hommes ? Ces derniers peuvent être immatures en matière de sexualité », dit-elle.

La pilule, libération ou charge supplémentaire ?

La contraception, et donc le contrôle des naissances, a longtemps été vue comme une libération pour de nombreuses femmes, notamment depuis la naissance de la pilule dans les années 1960, mais est aussi devenue, au fil des ans, une charge pour elles. Selon le recensement de 2017, l’Egypte compte 104,2 millions d’habitants. Dans un récent rapport, le Fonds des Nations-Unies pour la population prévoit pour l’Egypte 151 millions d’habitants en 2050. Un chiffre qui ne cesse de provoquer des débats, accusant souvent les femmes d’être la cause de ce tsunami démographique. Autrement dit, les techniques contraceptives s’inscrivent dans un scénario très clair : ce sont les femmes et non les hommes qui sont responsables du contrôle des naissances. Or, tout développement en matière de contraception masculine nécessite un changement de mentalité pour faire face à ce scénario accablant. Les professionnels des centres de planning familial observent le manque d’intérêt des hommes concernant la contraception. « Rares sont les hommes qui accompagnent leurs femmes aux centres de planning familial. Le préservatif reste aujourd’hui la seule méthode de contraception à la disposition des hommes. Mais il n’est utilisé que par 10 % des hommes, et souvent uniquement lorsque leurs épouses rencontrent des difficultés avec les méthodes de contraception classiques. Mais la majorité des moyens fiables et efficaces à long terme sont réservés aux femmes », souligne Doaa Abdallah, une fonctionnaire dans un dispensaire. Et d’ajouter : « C’est tout simplement elles qui sont concernées parce que ce sont elles qui tombent enceintes ».Une vérité quasi universelle.

La cause est-elle perdue d’avance ? Pour la sociologue Samia Saleh, de nombreux obstacles se posent face à cette initiative. C’est le problème de stéréotypes et d’idées reçues dans une société patriarcale qui considère le fait d’agir sur la fertilité des hommes est une atteinte à leurs capacités sexuelles. « Bien que la contraception masculine existe depuis longtemps, elle est encore un sujet tabou. Jusqu’aux années 1970, les couples utilisaient majoritairement des méthodes de limitation des naissances plutôt collaboratives, voire masculines (comme le retrait, le préservatif ou l’abstinence périodique), qui impliquaient les deux partenaires. Mais, trente ans plus tard, les choses ont radicalement changé : avec la pilule et le stérilet, les femmes en sont arrivées à assumer seules leur contraception », explique-t-elle. Selon elle, il n’est donc pas surprenant que l’on connaisse mal en Egypte les moyens de contraception pour les hommes parce que tous les discours et les connaissances ne portent que sur la contraception féminine. « Les centres de planning familial jouent également un grand rôle en tant que prescripteurs de contraception et diffuseurs de discours. Nous pensons donc que nous devons modifier notre approche, notre vocabulaire et notre vision des choses », affirme-t-elle, tout en citant un autre frein à cette initiative, à savoir le manque d’interlocuteurs et l’absence de débat sur le sujet de la contraception masculine. Aujourd’hui, toute prescription de moyens de contraception se fait majoritairement dans un cabinet de gynécologue, alors que les hommes n’y ont pas accès.

« Touche pas à ma virilité ! »

Un avis partagé par le docteur Névine Ishaq, propriétaire d’une pharmacie, qui estime que l’absence de pilule pour les hommes n’a rien à voir avec le progrès de la science. On sait exactement comment la fabriquer, mais il n’existe aucune firme pharmaceutique qui accepterait d’y toucher, pour des raisons économiques et sociales. « Limiter la capacité reproductive des hommes fait peur. Cela fait des années que l’on entend dire que ça va arriver, que c’est en préparation, en expérimentation et que d’ici quelques années, ce sera chose faite. Mais, pour l’instant, rien de concret », martèle-t-elle, tout en se référant à d’anciens articles de presse évoquant l’élaboration d’une pilule ou de piqûres contraceptives pour les hommes.

« Ce sujet est abordé mais on essaye de le glisser sous le tapis. Et là, on tourne en rond depuis bien longtemps ! A force d’attendre, on passe à côté de problématiques essentielles à l’évolution d’une société égalitaire », souligne le Dr Ishaq, tout en ajoutant qu’il est plus simple de vanter des traitements qui améliorent la sexualité masculine avec ses risques et ses effets secondaires que de parler de contraception masculine. Par ailleurs, elle reconnaît que l’arrivée sur le marché d’une pilule masculine ne constituerait pas de victoire. D’après elle, pour que cette campagne porte ses fruits, cela nécessite une formation plus poussée des professionnels de santé, des campagnes régulières d’information sur la contraception, et un développement de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire. Mais, la jeune femme reste optimiste. « Il y a une nouvelle génération d’hommes, qui sont beaucoup plus à l’écoute, qui sont prêts à partager les responsabilités, cela dit, les mentalités doivent encore changer », dit-elle.

Mais qu’en pensent les hommes ? A croire que ces derniers ont peur pour leur virilité ou craignent de perdre le contrôle sur leur corps ou de faire valoir leurs droits reproductifs et sexuels. « C’est la fin du monde. Les hommes ne seraient plus de vrais hommes », s’indigne Hassan, un Saïdi de 42 ans, qui pense que sa virilité en prendrait un coup. Pour cet homme ayant deux épouses qui prennent la pilule, ce geste est indiscutablement associé à la féminité. Quant à Gamal Saber, directeur d’une agence de communication de 45 ans, il pense que le corps des hommes n’est pas fait pour recevoir des hormones et le fait de se faire piquer ou d’avaler un comprimé tous les soirs est une réelle contrainte pour les hommes. Evoquant des arguments plus scientifiques, le Dr Adel Ibrahim, spécialiste dans les maladies dermatologiques et vénériennes, estime qu’il est normal que la contraception repose sur l’épaule de la femme, car le système reproductif des hommes est beaucoup plus complexe que celui des femmes. « Il suffit de bloquer l’ovulation qui a lieu seulement une fois par mois, alors que chez les hommes, la contraception exige que l’on intervienne dans la production quotidienne de dizaines de millions de spermatozoïdes tout le long de la vie adulte », argumente-t-il.

Par contre, Haitham, ingénieur de 38 ans, a accepté d’endosser la charge contraceptive. Selon lui, comme la relation sexuelle est une affaire des deux partenaires, le contrôle des naissances l'est aussi. « Après la naissance de mon deuxième enfant, la question de la contraception masculine s’est posée. Auparavant, je considérais cela comme une affaire de femmes. Mais quand ma femme n’a pas supporté le stérilet et ne voulait plus reprendre la pilule, nous avons opté pour le préservatif », confie Haitham. D’autres aussi déclarent être prêts à prendre la pilule si elle était commercialisée. En attendant, les voilà plutôt qui s’abritent derrière une pénurie de moyens se résumant à la capote ou au retrait et l'abstinence périodique.

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