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L’orange, ce label égyptien qui fait le tour du monde

Manar Attiya, Lundi, 20 juillet 2020

Avec 4,73 millions de tonnes produites en 2019, l’Egypte est le numéro un dans l’exportation d’oranges, et ce, pour la deuxième année consécutive. Un marché de plus en plus florissant, au grand bonheur des producteurs d’agrumes.

L’orange, ce label égyptien qui fait le tour du monde

« Yalli Zaraatou Al-Bortoän Yalla Egmaoh, Ann Al-Awane, Yalla Yalla », (vous qui avez planté les orangers, allez récolter leurs fruits. Il est temps de les cueillir) ; deux jeunes ouvriers fredonnant la chanson du célèbre compositeur et chanteur Mohamad Abdel-Wahab en ramassant les fruits tombés au sol et les chargeant dans un grand camion. C’est le moment de la cueillette des oranges au village Kafr Al-Guémal à Noubariya, dans le gouvernorat de Béheira, situé à 80 km d’Alexandrie. Dans cette région, les champs d’orangers s’étendent à perte de vue. Ces arbres grands et vigoureux, très adaptables à divers climats et terrains, produisent les oranges de Valence qui sont récoltées de mars à octobre. Le fruit est de taille moyenne, arrondi et d’une belle couleur orange. Sa chair très juteuse et acidulée contient peu ou pas de pépins. C’est l’orange à jus par excellence. Agriculteurs et ouvriers secouent les orangers dont les branches arquées sont chargées de fruits. D’autres font le tri des fruits (par qualité et calibre) avant de les stocker dans des cartons ou cageots en plastique: 1600 cageots de 15 kg ou 10 kg, ou en vrac, dans de gros sacs contenant 500 kg. Les belles oranges sont récoltées à la main par quatre cueilleurs. Ils sont capables de cueillir 16 tonnes d’oranges de 100 arbres. Des fruits de tous les calibres: diamètre 48 mm jusqu’à 105. Des oranges saines, propres et exemptes de dommages.

Mosselhi et sa femme, qui possèdent une orangeraie d’une quarantaine de feddans, surveillent de très près la cueillette des fruits. Cette plantation d’orangers est une entreprise familiale qui compte des producteurs d’oranges depuis trois générations. Mosselhi parle tout en nous offrant quelques fruits pour les goûter, puis le couple et leurs petits-enfants nous guident à travers le verger pour le visiter. Avec des gestes vifs et précis, un ouvrier secoue le tronc fin pour y glisser un greffon d’oranger. « Le jus d’orange est un passeport-santé. Une boisson saine, naturelle et pleine de vitamines. Par exemple, le jus d’orange contient 85% de vitamine C et 75% de vitamine B9. Les jus d’oranges préparés en Egypte sont bons, à la fois en termes de couleur et de goût », explique Mosselhi, agriculteur de 52 ans.

Dans le verger avoisinant, un peu plus vaste, une charrette attelée d’un cheval est chargée de sacs remplis d’oranges. Cinq hommes sont là pour trier les oranges trop vertes, petites ou tachées. « On sépare les fruits qui iront sur le marché, et ceux qui seront utilisés pour produire des jus », explique Hamada, en vidant un sac de jute contenant 100 kilos d’oranges dans le fourgon à deux roues.

Noubariya, terre d’agrumes

En fait, l’Egypte est l’un des principaux producteurs d’agrumes en Afrique. Selon le dernier rapport du ministère de l’Agriculture, lors de la saison 2019, les oranges occupent la première position en termes de superficies de plantation dans cinq gouvernorats. Noubariya est classé en tête, avec une production qui s’élève à 1000441 de tonnes. Le gouvernorat de Béheira arrive en 2e position, avec une production s’élevant à 639385 tonnes, ensuite le gouvernorat de Charqiya avec 440364 tonnes. Qalioubiya est classé en 4e position avec une production de 337000 tonnes. Quant au gouvernorat d’Ismaïliya, il est en dernière position avec 278000 tonnes. A préciser que l’orange Navel et la Valencienne sont les deux variétés les plus cultivées en Egypte.

« En tant que producteurs d’oranges expérimentés, on arrive à cueillir entre 400 et 600 oranges par arbre. L’oranger moyen sain et mûr produit en moyenne 200 à 300 fruits », précise hadj Sweilam, propriétaire d’un verger d’orangers à Noubariya et exportateur qui entretient de bonnes relations avec des producteurs d’oranges à l’étranger. Il donne quelques informations sur la culture des oranges: « L’oranger est un arbre à feuilles persistantes, avec une durée de vie productive de 50 à 60 ans. Certains orangers bien soignés peuvent vivre jusqu’à 100 ans ou plus. Les oranges atteignent une maturité acceptable entre 6 et 14 mois après la floraison, et peuvent être récoltées dans une période de 2 ou 3 mois ». En fait, le moment propice de la récolte des oranges varie d’un pays à l’autre. En Egypte, par exemple, les oranges Navel sont cueillies à partir du mois de mars jusqu’à juillet. Tandis qu’aux Etats-Unis, les Navel sont récoltées d’octobre à juin. Quant aux oranges de Valence d’Espagne, elles sont récoltées de mars à octobre. Les producteurs d’agrumes de Floride peuvent récolter des oranges toute l’année, sauf l’été. « Lorsque l’on voit quelques oranges mûres tomber de l’arbre, cela veut dire que c’est le moment de la cueillette », dit l’un des cueilleurs.

400000 ouvriers agricoles pour la récolte

De bon matin, les journaliers arrivent en minibus pour une journée de travail de 8 heures, mais qui se prolonge souvent en heures supplémentaires. En fait, le moment de la récolte nécessite beaucoup de main-d’oeuvre. Jusqu’à 400000 ouvriers agricoles sont embauchés dans le village pour la période de la récolte, dont la plupart (les 78%) sont sous contrat temporaire. « En tant qu’ouvrier, je peux récolter jusqu’à 20 kg d’oranges par jour. Mais, pour bien gagner ma vie, je suis obligé de remplir des sacs supplémentaires pour empocher quelques sous de plus », confie un des ouvriers.

Vu le bas coût de la main-d’oeuvre variant entre 80 et 100 L.E. la journée, les oranges dont le prix est évalué à 5 livres le kg sont en tête de l’ensemble des productions fruitières bon marché. Un fruit que l’Egypte cultive et récolte à des prix imbattables. « Cette main-d’oeuvre temporaire est fragile face à l’exploitation des employeurs. On retrouve généralement des personnes qui n’ont aucune formation et n’ont pas trouvé de travail dans le secteur de la canne à sucre où les conditions de travail sont meilleures », déclare Haitham Al-Awadi, propriétaire de 50 feddans à Qalioubiya. « C’est pourquoi nous pouvons vendre nos oranges à des prix très compétitifs », affirme-t-il.

Et ce n’est pas tout. Malgré la concurrence qui s’exerce à l’échelle internationale, les agrumes égyptiens sont prisés à cause du climat, du soleil tout au long de l’année, de la terre, de la disponibilité des engrais locaux et azotés et de la boue très fertile déposée par les eaux du Nil, une semence de qualité et des plants certifiés sains dépourvus de virus. Par ailleurs, le système d’irrigation, qui dépend complètement du Nil, participe beaucoup à cet essor », affirme l’ingénieur agronome Hatem Solimane. Et d’ajouter: « Les Egyptiens travaillent également sur de nouvelles variétés ramenées de Californie, du Brésil et d’autres pays européens, et ce, pour répondre aux demandes du marché local ou étranger ». Tout ceci contribue à rendre les agrumes d’Egypte attractifs sur le marché mondial. Ajouté à cela, le boycott par la Russie des agrumes européens, puis turcs, a facilité l’exportation de ces fruits.

L’Egypte est connue pour ses agrumes dans le monde entier. Les oranges restent les fruits les plus exportés, essentiellement en direction de la Russie, des pays de l’Union européenne, de la Hongrie et de la Chine, mais aussi vers le Moyen-Orient: l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Koweït, etc.

Au cours des 10 dernières années, la production d’oranges a augmenté de 44 %. De 2,37 millions de tonnes en 2009, elle a passé à 4,73 millions de tonnes en 2019, un record. L’Egypte étend d’année en année ses plantations d’orangers. Une surface irriguée estimée à 162000 hectares, en augmentation de 5% cette année, ce qui permettra de produire 10 % d’oranges supplémentaires: soit 3,42 millions de tonnes, estime un responsable du secteur d’exportation au ministère du Commerce extérieur. L’année dernière, les oranges Navel ont connu une excellente campagne de publicité. Et, l’Egypte qui était le sixième producteur mondial, derrière le Brésil, l’Inde, la Chine, le Mexique, les Etats-Unis et l’Espagne, est devenue le premier pays exportateur d’oranges devant l’Espagne. « Nous pensons que cette saison sera encore plus fructueuse que la précédente. L’année dernière, tous les producteurs des oranges Navel ont réalisé d’énormes profits. Les commandes pourraient être plus importantes cette année. La saison précédente, nous avons exporté 4600 tonnes d’agrumes. Cette année, nous espérons en exporter 6 000 tonnes », déclare Tarek Al-Khatib, responsable des exportations au sein d’une société privée. L’Egypte est un acteur important sur le marché des agrumes, ce qui explique le grand nombre d’exportateurs. Pour Al-Khatib, c’est le principal défi à relever. « En raison du grand nombre de producteurs et d’exportateurs d’agrumes, la concurrence est féroce et les prix fixés par les exportateurs égyptiens sont concurrentiels », dit-il. Il espère s’implanter dans d’autres pays. « Nous nous en tirons bien en Chine, en Europe, en Russie, au Bangladesh, en Malaisie et en Inde. Ces marchés sont bons pour nous, mais nous aimerions également pénétrer de nouveaux marchés grâce à notre label, tels que Singapour, le Brésil, la Biélorussie et le Canada. Pour réaliser cette croissance, nous comptons participer à plus de salons, pour faire connaître notre marque d’excellence », conclut Al-Khatib.

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