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Le réconfort au bout du fil

Dina Bakr, Lundi, 22 juin 2020

A l’écoute des citoyens, le service de soutien psychologique offert par le ministère de la Santé a renforcé son action depuis la propagation du coronavirus. Objectif: venir en aide à ceux souffrant des effets psychiques liés à la peur de la maladie et à l’isolement.

0800 888 0700 et 02 20 81 68 31. Tels sont les numéros du service de soutien psychologique qui opère 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Un service offert par le secrétariat général de la santé psychique dépendant du ministère de la Santé. « Mise en place en 2015 pour accompagner et aider les personnes en difficulté, cette cellule d’écoute et de soutien psychologique a pris de nouvelles mesures depuis la propagation du coronavirus. Le personnel a été renforcé et une ligne téléphonique supplémentaire a été créée, alors qu’il ne disposait que d’un nombre restreint d’assistants psychologiques et sociaux qui transmettaient les personnes souffrant de troubles psychiques graves à un psychiatre », décrit Manane Abdel-Maqsoud, secrétaire générale de la santé psychique. Avant le coronavirus, ce service traitait en général les plaintes liées aux disputes conjugales et les problèmes pouvant conduire à des gestes suicidaires. « Le coronavirus a suscité des pensées négatives chez beaucoup de personnes, la maladie alimente la peur de l’inconnu, et quand il s’agit d’une pandémie, la peur est plus grande », explique Mohamad Ali, un des coordinateurs de la ligne verte. Une peur nécessaire, selon Manane Abdel-Maqsoud, car « elle contraint les citoyens à respecter les mesures de prévention », mais, précise-t-elle, il y a une différence entre la peur « normale » et l’anxiété, qui, elle, « peut avoir d’importantes conséquences : fatigue, troubles du sommeil, troubles de l’humeur ou état dépressif ». Il y a aussi une différence entre la peur justifiée, et l’hypocondrie, qui est un état maladif, une peur excessive pour son état de santé.

Dans la cellule de soutien psychologique, on travaille sans relâche. Munis de cellulaires et de téléphones fixes, des bénévoles sont à l’écoute des citoyens. Chacun tient un formulaire à remplir et à transmettre au spécialiste. Il contient des informations au sujet de la personne qui sollicite le service. Il faut y inscrire le nom, l’âge, la ville du plaignant ainsi que le genre de plainte. « Si une personne veut garder l’anonymat, sa plainte est envoyée au spécialiste sur l’application WhatsApp avec le numéro de téléphone afin que le médecin spécialiste puisse la contacter », explique Ahmad Abdel-Halim, assistant psychologique.

Une séance d’une demi-heure gratuite

Ahmad Hanafi, psychiatre et directeur de la Fondation égyptienne des thérapies cognitives qui travaille au service du soutien psychologique, pense que ce soutien est nécessaire surtout en ce moment de crise sanitaire. C’est l’occasion de sensibiliser les citoyens à l’importance du bien-être psychologique car les interactions entre la santé mentale et la santé physique sont nombreuses. « Rejoindre une équipe qui est à l’écoute des citoyens demande de l’expérience de la part du spécialiste. Il doit aussi être disposé à travailler selon un système de permanence car il peut recevoir des appels après minuit », souligne Mohamad Ali, un des coordinateurs des lignes vertes. Les spécialistes doivent communiquer leurs horaires de disponibilité. Il y a trois permanences de 8 heures par jour de 8h à 16h, de 16h à minuit et de minuit à 8h. Quant aux opérateurs de la ligne verte, ils ont reçu une formation concernant les premiers secours psychologiques, comment recevoir l’appel, définir le degré d’anxiété, de stress et comment transformer le négatif en positif.

Chaque plaignant dispose de 20 à 30 minutes pour exprimer ses souffrances. « On ne prescrit pas de calmants, le psy a uniquement le droit d’engager une conversation avec la personne pour mesurer le degré d’anxiété. Si le cas du plaignant n’est pas très grave, il propose un programme de détente, mais, si le plaignant a des symptômes plus sévères, s’il souffre de troubles de l’appétit ou de troubles au niveau des fonctions cognitives qui l’empêchent d’accomplir ses tâches quotidiennes, le psychologue lui conseille de se rendre dans un centre ou une clinique pour recevoir un traitement », précise Mohamad Ali. C’est le cas par exemple de ceux qui ont développé un Trouble Obsessionnel Compulsif (TOC), à l’instar d’une femme qui, obsédée par le Covid-19, passe son temps à désinfecter tout chez elle, l’appartement lui-même, mais aussi toutes les courses, les pots, les boîtes, les sachets, les canettes, les bouteilles, etc.

Petits et gros soucis

Si, au début de la crise, la peur dominait, avec le temps, d’autres maux s’y sont ajoutés, liés à l’isolement. En raison de la fermeture des lieux de divertissement, de la distanciation sociale, on ne socialise plus comme avant. « Il n’y a plus de sorties entre amis comme auparavant, presque plus de visites familiales. Or, les Egyptiens sont un peuple qui aime vivre en groupe et la solitude ne fait pas partie de ses habitudes », explique Manane Abdel-Maqsoud. « Le Covid-19 est venu chambouler toutes nos habitudes. Ceci me rend malade, j’ai l’impression d’avoir la gale », s’exprime Nadia, 55 ans, veuve et qui travaille comme comptable. Elle ne supporte pas de rester éloignée de ses collègues et souffre de solitude. De tels sentiments peuvent provoquer une dépression causée par l’acrimonie émotionnelle, explique le psychiatre Ahmad Hanafi. « Le fait de toucher et de s’approcher des gens procure un sentiment de sécurité, tandis que l’éloignement peut déclencher l’acrimonie : agressivité, mauvaise humeur et aigreur. Si cela se poursuit trop longtemps, le nombre de personnes qui développent des troubles psychologiques pourrait tripler d’ici 2021 », prévoit Hanafi.

Autre facteur de stress lié aux conditions actuelles: l’oisiveté et le vide. « La banque où je travaille m’a mis en congé forcé. Je n’ai rien d’autre à faire que de suivre les informations sur le coronavirus. J’ai fini par déprimer. Il n’y a pas de traitement et on ne voit pas le bout du tunnel », raconte un citoyen. Il y a aussi les frictions qui se sont ajoutées au quotidien des ménages, à l’instar d’une maman qui a demandé conseil aux spécialistes de la ligne verte pour savoir comment faire avec son fils, un adolescent peu prudent qui en a assez d’être enfermé à la maison et qui veut voir ses copains et avec qui elle se dispute constamment.

Face à ces problèmes, les spécialistes donnent quelques conseils pour mieux vivre, comme limiter les sources d’informations concernant la maladie pour ne pas générer plus de peur, respecter les mesures de prévention sans tomber dans l’excès. Des conseils nécessaires, comme l’explique Ahmad Hanafi. « Avoir un service qui offre un soutien psychologique en ce moment de crise est d’une grande importance car si on n’allège pas les souffrances psychologiques des gens, des symptômes de troubles de stress post-traumatique pourraient apparaître à la fin de cette crise sanitaire », ajoute-t-il. D’ailleurs, 300 psychologues et psychiatres sont venus récemment se joindre à l’équipe du service, depuis la mise au point d’un nouveau concept de soutien psychologique aux citoyens. Et pour que l’aide soit totale, le service de soutien psychologique diffuse sur la page Facebook du secrétariat général de la santé psychique des vidéos de thérapeutes expliquant les exercices de respiration qui diminuent le sentiment d’angoisse, luttent contre le stress et boostent le moral .

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