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Journal d’un confinement forcé sur les bords du Nil

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 31 mars 2020

Parmi les premiers cas détectés en Egypte, deux sur un bateau de croisière entre Louqsor et Assouan. Du 14 jusqu'au 28 mars, ce bateau a été mis en quarantaine en plein milieu du Nil. Gladys Hadad, la guide touristique qui se trouve à bord, raconte à Al-Ahram Hebdo cette expérience inédite. Témoignage.

Gladys au balcon de sa chambre d
Gladys au balcon de sa chambre d'isolement sur le bateau.

« Deux cas de coronavirus ont été détectés et le bateau est placé en quarantaine », a annoncé la guide touristique Gladys Hadad, d’un ton calme mais ferme en s’adressant aux passagers, la plupart sont de nationalité américaine, et au personnel travaillant sur le bateau. Ces quelques mots ont effrayé tout le monde. C’était le 14 mars. « Tout a commencé sept jours après le début de la croisière entre Assouan et Louqsor, lorsqu’une personne du groupe est venue me dire que son mari avait de la fièvre. Rapidement, on a séparé le couple, les plaçant chacun dans une chambre et j’ai averti les responsables au ministère de la Santé qui sont venus pour leur faire un test. Le lendemain, on nous a annoncé que les résultats étaient positifs. Ainsi, le personnel du ministère a emmené le couple malade à l’hôpital. Au même moment, on nous a annoncé que le bateau était placé en quarantaine pour 14 jours à compter du même jour », rapporte Gladys, toujours à bord du bateau puisque la quarantaine se termine ce samedi 28 mars. Le bateau a jeté l’ancre à l’écart de la ville dans une zone réservée à la mise en quarantaine des bateaux.

Photo: AP
Photo : AP

Un autre bateau se trouvait à quai depuis quelques jours. Les consignes étaient claires : personne ne devait sortir ou y embarquer durant cette période, sauf le personnel de santé envoyé par le ministère et qui sera aussi bloqué durant deux semaines. « Dès que nous sommes arrivés à quai, une équipe médicale a visité le bateau et a pris notre température. Chaque personne souffrant de fièvre était soumise à un test », raconte Gladys, contactée par téléphone et par WhatsApp. Les touristes testés négatifs ont été alors autorisés à sortir et prendre l’avion pour rentrer chez eux à condition de se diriger directement à l’aéroport et ne pas s’arrêter en cours de chemin pour n’importe quelle raison.

« Après m’être assurée que les touristes sont bien montés à bordde l’avion, j’ai commencé à penser à ma situation en me demandant comment j’allais vivre tout ce temps enfermée dans ce bateau et avec la peur d’être contaminée à n’importe quel moment », se demande-t-elle. Gladys et une cinquantaine d’autres personnes, dont un autre guide et tout le personnel du bateau, ont dû renoncer à leur liberté en adoptant une série de mesures contraignantes. « Malades ou pas, nous étions tous concernés par les nouvelles consignes de protection et mon devoir était de m’assurer que chaque personne à bord les respecte », dit Gladys. Chaque passager devait s’isoler dans sa chambre et ne devait en sortir qu’en portant un masque. Les rassemblements étaient interdits et si c’était inévitable, il fallait garder une distance, pas moins d’un mètre.

De guide à psy

Au début, comme l’explique Gladys, beaucoup ont trouvé du mal à respecter ces mesures et refusaient de croire qu’ils étaient mis en quarantaine. Certains ont même essayé de sortir du bateau soit en cachette ou avec l’aide de leurs connaissances. Gladys elle-même espérait trouver un moyen pour quitter le bateau et passer cette période d’isolement chez elle au Caire. Impossible.

Il ne lui reste que prendre son mal en patience, gérer l’inquiétude des passagers, du personnel mais aussi de leurs familles. « On entendait les implorations des familles du personnel qui demandaient aux leurs de quitter le bateau pour rentrer à la maison. Elles avaient peur de ne plus les revoir. Ils nous disaient : laissez-nous rentrer à la maison et mourir parmi les nôtres », raconte Gladys. Cette dernière s’est trouvée en train de jouer le rôle de psy, tranquillisant tout le monde, parlant avec l’un, écoutant l’autre. « Il fallait les convaincre que cette quarantaine était pour le bien de tous », affirme Gladys qui ajoute : « Je devais garder mon calme alors que moi-même, j’étais aussi inquiète, pour moi et pour ma famille, ma mère était seule au Caire, et ma soeur, elle, se trouvait alors en Italie, où le virus commençait à se propager très rapidement ».

Face à tout cela, la panique s’est transformée en un sens de responsabilité : le mot d’ordre était de protéger la vie de tous les passagers. Les consignes d’hygiène devaient être strictement respectées, ainsi que l’isolement dans les chambres. « Le temps passait lentement, raconte Gladys, tout le monde avait son téléphone en main, soit pour parler à ses proches, soit pour suivre les nouvelles à travers les réseaux sociaux ou encore surfer sur le Net ». Gladys était aussi en contact avec des responsables sécuritaires et d’autres du ministère de la Santé. « Ils suivaient la situation de près à travers les informations que je leur transmettais et on avait deux infirmiers à bord pour prendre soin de nous. Si quelqu’un avait de la fièvre, on lui faisait un test ».

« Je perds la notion du temps, je ne sais plus quel jour nous sommes. Ces journées sont interminables. La peur mêlée au sentiment de responsabilité, un stress en continu, des craintes et des interrogations. Une expérience que je n’aurais jamais imaginée, que je n’oublierai jamais », conclut Gladys.

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