« Les confettis blancs », c’est ainsi que Logina Salah, la célèbre make-up artiste de 28 ans, appelle les petites taches blanches qui parsèment son corps. Son combat: le Vitiligo, une maladie incurable qui provoque une dépigmentation de la peau, partielle ou sur tout le corps. Ni douloureuses, ni dangereuses pour la santé, ni même contagieuses, ces taches blanches sur la peau ne laissent personne indifférent.
C’est à 9 ans que la maladie s’est déclarée chez la jeune femme. Il n’y a rien de pire que d’être différent des autres, surtout à l’école. Les enfants sont durs entre eux, et quand on est différent, c’est encore plus compliqué. Du coup, les moqueries ont commencé : surnoms méchants, comparaisons cruelles, elle n’a pas été épargnée par ses camarades. Certains, pensant à tort que la maladie est contagieuse, refusaient de s’asseoir à côté d’elle. « On m’a souvent demandé si je n’avais pas été victime d’un incendie, si quelqu’un m’avait lancé un produit chimique sur le corps, si j’avais fait du banc solaire », relate-t-elle. De tels propos l’ont poussée à changer plusieurs fois d’école, à arrêter plus tard sa scolarité pour s’isoler du monde. Au fil du temps, elle s’est forgée un mental de béton pour éviter d’être anéantie par cette maladie accablante. « Comme je ne voulais pas craquer, j’ai dû assumer », dit-elle aujourd’hui avec décontraction.
Fond de teint, anticerne et maquillage, durant douze ans, chaque jour, elle a passé des heures à dissimuler les taches qui parsèment son visage. Et un beau matin, elle a décidé de sublimer sa différence et révéler au monde ce qui fait d’elle une femme singulière. Autrement dit, sa maladie ne l’a pas empêchée de réussir, bien au contraire. Sa passion pour le make-up l’a poussée à quitter son travail dans le secteur bancaire pour se rendre aux Etats-Unis. Et ce, pour acquérir les techniques et astuces professionnelles en matière de maquillage pour tous les types de peaux. Pour Logina, la beauté est un mélange de qualités intérieures et extérieures. Et donc, il n’est plus question pour elle de se cacher, mais plutôt de braver les défis. Devenue une célèbre maquilleuse professionnelle, elle exhibe son vitiligo, sans chercher à camoufler ses taches blanches, prenant pour exemple Winnie Harlow, ce mannequin noir d’origine canadienne, l’une des premières personnes à avoir affiché publiquement la dépigmentation de sa peau. Depuis, Winnie est devenue l’égérie des marques Desigual et Diesel. Le grand chanteur Michael Jackson, roi de la pop, était lui aussi atteint de vitiligo. « Les gens ont tendance à craindre ce qui est différent, sans réaliser qu’on est tous différents », explique Logina, tout en espérant que le vitiligo soit plus connu. Elle a contribué dans la campagne de l’Association égyptienne du traitement du vitiligo et du psoriasis intitulée « Le vitiligo n’est qu’une couleur ». L’objectif étant d’essayer de porter un soutien aux personnes atteintes de vitiligo, une maladie de la peau très visible à l’oeil nu et qui est due à la disparition des mélanocytes (cellules fabriquant le pigment de la peau). « C’est important de ne pas se sentir seule, de savoir qu’il existe des gens qui apportent leur soutien et nous écoutent », dit-elle tout en lançant un message d’espoir au chanteur Ramy Gamal. Ce dernier avait annoncé être atteint de vitiligo et pourrait arrêter de chanter. « Le succès ne s’arrête pas à une couleur de peau. Il faut accepter ce qui vous rend différent et unique. Rien ne vous oblige à ressembler aux autres », ajoute Logina. D’après elle, l’espoir vient aussi des personnalités publiques qui ont osé révéler au grand jour leur vitiligo. « C’est une bonne chose que de devenir le porte-parole des personnes atteintes de vitiligo. Car ces stars, qui annoncent être malades et l’exhibent, envoient de la sorte un message positif, à savoir qu’on peut paraître normal et beau malgré la maladie », affirme Logina Salah.
Aider les personnes atteintes
à s’accepter
Un avis partagé par Mahmoud Hassan, 25 ans, qui voit que l’expérience de personnes, connues ou pas et qui vivent avec la maladie est très utile pour les autres. Mais il faut être prêt à les écouter. « Il y a tout un chemin personnel à parcourir pour oser se montrer », dit-il. Réussir à s’assumer comme on est, voici le credo de ce premier mannequin en Egypte, atteint de vitiligo depuis l’âge de 13 ans. Et bien que le domaine du mannequinat se base sur des normes très strictes en matière de standard de beauté, Mahmoud s’est servi de sa maladie comme d’un atout, faisant d’elle une force. « Le vitiligo est gênant sur le plan esthétique, pourtant, c’est cette particularité qui m’a aidé à décrocher des contrats dans ma carrière », explique-t-il. Finalement, ce mannequin, qui a passé son adolescence à cacher sa maladie de la peau, l’exhibe aujourd’hui fièrement sur le podium. « Avoir une plateforme pour m’exprimer est important pour moi. Au bout du compte, je suis comme tout le monde, j’ai juste des taches blanches et cela fait partie de mon identité », poursuit-il.
En effet, les préjugés sur les maladies sont tenaces. Si Logina et Mahmoud ont osé parler, montrer ce vitiligo et bousculer les codes en vigueur dans leur carrière, d’autres n’ont rien tenté. Ils sont dans le désarroi total et sombrent parfois dans la dépression. Au travail, ils sont stigmatisés par les regards portés sur eux et ne supportent pas les remarques désobligeantes. De simples plaisirs, comme se balader sur la plage, sont très souvent gâchés par les regards insistants ou dégoûtés des gens sur eux. Un homme licencié de son travail, un élève dont les camarades refusent de lui serrer la main ou s’asseoir à côté de lui craignant la contagion et une femme maltraitée et répudiée par son mari à cause de son visage et ses parties génitales touchées par la maladie, etc. Et la liste est plutôt longue.
Briser le tabou
Cependant, cette maladie de la peau qui touche 1,5% d’Egyptiens, s’est révélée sur la scène suite à la déclaration du chanteur Ramy Gamal annonçant qu’il pourrait arrêter de chanter à cause de son vitiligo. Dans un post publié sur Instagram, cette star de la chanson a déclaré ne plus supporter de cacher sa maladie. Un moyen pour lui de s’exprimer, de s’accepter et d’être une source d’inspiration pour d’autres personnes atteintes de vitiligo. Cette déclaration a provoqué, au début, une onde de choc auprès de ses fans, et a été soutenue ensuite par plusieurs chanteurs et artistes. Et bien qu’il ait eu peur des réactions négatives, il semble très heureux de recevoir le soutien de ses fans et de ses abonnés sur Instagram (plus de 987000!). Et ce n’est pas tout. Ses collègues l’encouragent chaque jour à continuer dans le domaine du chant, en postant des likes et des commentaires sous ses selfies, lui faisant savoir que n’importe qui pourrait être atteint de vitiligo et à n’importe quel moment de sa vie.
Depuis, le problème est plus que jamais pris en compte, et de multiples campagnes de solidarité contribuent à faire changer les mentalités pour que les différences soient mieux comprises et donc acceptées. Parmi ces campagnes, on peut citer celle lancée par l’Association égyptienne de vitiligo. Son but est de sensibiliser les élèves dans les écoles primaires et préparatoires pour mettre fin au bowling et redonner confiance aux enfants qui sont atteints de vitiligo. « Ce n’est pas contagieux et ça ne présente pas de désagrément physique au quotidien. Les plaques ne grattent pas, ne sont pas douloureuses et ne brûlent pas. Le seul fardeau à supporter reste le regard de l’Autre, et à ce jour, aucun traitement n’existe pour guérir de cette maladie », explique Dr Walaa Aboul-Haggag, présidente de l’Association égyptienne de vitiligo, aux élèves, tout en tentant de leur présenter le vitiligo de manière positive. « Il est nécessaire de corriger les fausses informations qui circulent sur cette maladie, leur apprendre à penser autrement, et à témoigner de l’empathie envers l’Autre qui est différent », souligne-t-elle.
Et dans le domaine du maquillage, Aya Adel, Bossayna Saïd et Ziad Ibrahim sont trois maquilleurs qui ont osé dessiner sur leurs visages des taches blanches en appuyant sur leurs contours à l’aide d’un marqueur pour les mettre en relief, puis ils ont posté ces photos sur leur page Facebook. « Quoi de mieux pour accepter son corps qui ne ressemble à aucun autre que d’en souligner les différences. On a tous quelque chose en nous qui nous complexe. Le plus important est de briser les tabous, rompre l’isolement, et rappeler aux gens que le vitiligo n’est pas une maladie, mais une caractéristique », explique Aya Adel. Quant au photographe Mohamed Atef, il a décidé avec Mona Al-Gamal de faire une séance photo en prenant comme modèle une jeune fille bien brune. A travers ce portrait, Atef a voulu mettre en lumière cette peau atypique et faire ressortir toute sa beauté. « Certaines personnes ont des physiques plus singuliers que d’autres, en ayant des cheveux différents, des marques sur leur corps, ou bien des taches de rousseur… Mais dans tous les cas, chaque personne est unique. Pour s’accepter, il ne faut pas nécessairement avoir quelque chose d’aussi visible que le vitiligo. La perfection n’existe pas et la différence peut être belle », conclut Atef.
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