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Elevage d’autruches, un business florissant

Manar Attiya, Dimanche, 12 mai 2019

Peu connu jusque-là, l'élevage d'autruches est pourtant bien rentable et sa viande prisée par les adeptes de l'alimentation « light ». Visite guidée dans une ferme.

Elevage d’autruches, un business florissant
(Photo: Mohamad Abdou)

L’ambiance est festive. C’est la saison de repro­duction qui va de février jusqu’à octobre. Une cen­taine de personnes ont parcouru un long trajet pour arriver dans cette ferme. Certaines veulent acheter des autruchons, tandis que pour d’autres, c’est leur première visite dans cette ferme d’élevage. Ils sont là pour admirer ces grands oiseaux qui vivent à l’air libre. Mais tous atten­dent avec impatience l’abattage, le dépeçage et le découpage des autruches, car cette ferme propose à la vente de la viande fraîche. Plusieurs personnes sont venues précédemment tel Sabri, qui a des problèmes cardiaques. Son médecin lui a conseillé de consommer de la soupe aux os d’autruche ainsi que de la viande d’autruche très pauvre en calories et en matières grasses. Pour Nada et ses copines, qui font un régime, c’est la viande idéale à consommer. En fait, l’autruche n’est pas seulement appréciée pour sa viande qui est très tendre et très goûteuse, mais aussi pour ses nom­breux sous-produits (plumes, coquilles d’oeufs et cuir). Sabrina, décoratrice, est venue acheter des coquilles d’oeufs sur lesquelles elle veut appliquer des motifs de décora­tion. Les amateurs de plumes d’au­truches sont aussi présents. Fort appréciées, les plumes sont triées, lavées et teintées, et serviront de base à la création de bijoux et d’ac­cessoires. Elles sont également utili­sées au naturel ou colorées pour orner les chapeaux. Nadine, qui tra­vaille dans le cosmétique, veut acheter de la graisse qu’elle pourra transformer en huile pour fabriquer des savons, des crèmes pour les mains et des baumes de massage. Avec le cuir de ces autruches, incroyablement flexible et imper­méable, Asmaa fabrique des sacs et des ceintures, des modèles chics et pratiques, et surtout uniques, puisque chaque peau est différente de l’autre. La ferm e Kheir Baladna pour Autruches est située à quelque 45 km du Caire, dans la région d’In­chass-Belbeis, dépendant du gou­vernorat de Charqiya. Là, le proprié­taire a acheté son premier couple reproducteur au début des années 1990.

Un projet prospère

Elevage d’autruches, un business florissant
Une autruche pond entre 30 et 40 oeufs par an, vendu à 100 L.E. l’oeuf. (Photo: Mohamad Abdou)

Sur une superficie de 5 feddans, Mohamad Al-Chaféi élève 100 troupeaux d’autruches, 300 oiseaux au total. « Dans le jargon du métier, un troupeau est constitué d’un mâle et de 2 à 8 femelles. Un mâle viril peut féconder plusieurs femelles, ce qui a un impact positif sur le taux de fertilisation des oeufs, car cela augmente la production d’autruchons. Dans ma ferme, cependant, je n’ose pas mettre un mâle avec beaucoup de femelles,

cela pourrait le fatiguer », explique Al-Chaféi, tout en ajoutant qu’il place un mâle et 2 femelles dans chaque troupeau. Ce dernier a lancé son projet après avoir étudié le mode de vie des autruches: alimentation, reproduction, signes particuliers des autruchons, etc. Selon ses propos, l’autruche est un oiseau hors du com­mun! C’est le plus grand oiseau vivant au sol dans de monde. Enfermées dans une clôture de 4 m de haut pour les empêcher de s’éva­der, les autruches mâles mesurent jusqu’à 2,50 m et pèsent jusqu’à 150 kg, les femelles mesurent en moyenne 1,90 m, pour un poids qui varie entre 120 à 130 kg. Cet oiseau, qui possède une petite tête chauve, exige beau­coup d’espace et de liberté. La sur­face de l’enclos où cohabitent trois oiseaux (1 mâle et 2 femelles) doit être de belle taille, environ 300 m2. Hamada, un ouvrier qui travaille dans la ferme, ajoute qu’il est impossible d’attraper par la queue une autruche qui court à l’intérieur de l’enclos, pour essayer de la prendre en photo. « L’autruche court très vite et sur de longues distances », dit Adham Aboul-Hassan, propriétaire d’une autre ferme située à Charqiya. Adham dit avoir lancé son projet au début des années 2000, un peu par hasard. « A l’époque, j’élevais des poules et des pigeons, et je cherchais une acti­vité plus rentable. Une autruche pond entre 30 et 40 oeufs par an, et l’oeuf est vendu à 100 L.E. tandis que le prix de 30 oeufs de poules s’élève à 35 L.E. Un oeuf d’autruche équivaut à 20 ou 30 oeufs de poule. Actuellement, la vente de la viande me permet de tirer de grands profits. Les oiseaux sont abattus à l’âge d’un an et demi. Les cuisses, dont le poids varie entre 15 à 20 kilos, sont vendues sur place à des particuliers ou à des restaurateurs. Les abats, foie et coeur, sont égale­ment consommables, ainsi que le cou. Sur chaque bête, on récupère 30 kilos de viande dont le prix au kg varie entre 230 et 250 L.E., ce qui est cher par rapport au poulet dont le prix ne dépasse pas les 70 L.E. ou la viande de boeuf qui est vendue à 125 L.E. A noter que les plumes de volaille ne sont pas exposées à la vente, alors que celles de l’autruche coûtent 1500 L.E. le kg», énumère Adham avec précision.

Adham tire de grands profits de son business. « Avec un oeuf qui pèse un kilo et demi, on peut préparer une ome­lette qui peut rassasier dix convives. Mais, attention, il faut deux heures pour obtenir un oeuf cuit dur tant la coquille est épaisse ! », avertit-il les clients qui achètent des oeufs. Qu’il fasse chaud ou froid, les autruches sont des oiseaux très résistants et capables de vivre à l’air libre sous n’importe quelle température. Leur entretien n’est pas très compliqué. D’habitude, les oiseaux géants grignotent tout ce qui ressemble à une plante. Il faut leur don­ner, en plus, des céréales pour équili­brer leur alimentation.

Aujourd’hui, le nombre de fermes d’élevage d’autruches a augmenté. D’après Kamal Aboul-Azm, vétéri­naire et professeur à l’Université de Mansoura, on en compte six dans les quatre coins de la République, et leurs superficies varient entre deux à dix feddans. Il en existe aussi de plus petites, au total 300 petites fermes, où les propriétaires élèvent les autruches sur les terrasses des maisons. Plusieurs étudiants à la faculté d’agronomie, atti­rés par l’élevage d’autruches, ont lancé ce projet après l’obtention de leur diplôme.

Un marché à la fois vieux et récent

Elevage d’autruches, un business florissant
L’abattage se fait à la ferme, quand les autruches ont entre 12 et 16 mois. (Photo: Mohamad Abdou)

En fait, l’autruche a été très tôt exploitée par les Anciens Egyptiens, principalement pour ses plumes et ses oeufs. Dès l’antiquité, ce grand oiseau était chassé par les pharaons, d’une part pour ses oeufs qui avaient des vertus médicinales: soins des plaies ouvertes, guérir des blessures, morsures veni­meuses, ou encore pour sa graisse : effet calmant sur les douleurs muscu­laires, rhumatismales et arthritiques. La beauté des plumes des autruches est reconnue depuis l’époque pharaonique. Les plumes des autruches, pour les Anciens Egyptiens, symbolisaient la justice et l’équité, étant donné que leurs dimensions sont égales de part et d’autre de leur axe central (ce qui n’est pas le cas chez les autres oiseaux). Dans les scènes du jugement dernier que préside Osiris, Maât est ainsi pré­sente sous la forme d’une minuscule figurine ou d’une plume placée sur l’un des plateaux de la balance. Elle inter­vient lors des jugements des morts. Le pharaon Toutankhamon possédait des éventails en plumes d’autruches. Ce genre de chasse-mouches n’était fabri­qué que pour le pharaon et sa famille. La déesse de la vérité et de l’harmonie est représentée par une femme portant une plume d’autruche dans les che­veux. Et, en guise de bénédiction, la coquille de l’oeuf d’autruche pouvait être déposée dans certaines tombes.

Après la période des pharaons, la population d’autruches a commencé à baisser, voire à disparaître. L’élevage des autruches et son commerce n’a repris qu’au début des années 1990 grâce à deux couples d’étrangers, qui avaient décidé d’importer des autruches d’Afrique du Sud. A partir de cette période, ce genre de marché a com­mencé à devenir florissant dans les quatre coins de la République.

Au moment de la saison de reproduc­tion qui se prolonge de février jusqu’en octobre, le contour des yeux, la peau des cuisses et du cou prennent une teinte rougeâtre chez le mâle. L’oiseau devient agressif. De temps en temps, il rugit comme un dromadaire ou produit des sons « monotones ». Par la suite, le mâle attire l’attention des femelles par une danse. Avant l’accouplement, il bat des ailes dans un mouvement rotatif en se mettant à genoux. Il plie son cou en forme de S et il balance sa tête de droite à gauche. Quant à la femelle, elle adopte alors une attitude de soumission en tenant son cou et sa tête à proximité du sol, les ailes écartées et tombantes. Cette parade nuptiale, qui se déroule à l’intérieur de l’enclos, séduit les visi­teurs.

A quelques mètres se trouve un autre enclos, c’est la garderie. « Ces bébés autruches viennent de naître », explique Adham, en pointant du doigt une vingtaine de bébés qui poussent des grognements à peine audibles. La plupart sont encore coincés dans leurs coquilles et ont du mal à s’en extraire, malgré de multiples essais, un autre fait de grands efforts pour se tenir droit sur ses pattes. Un troisième tourne son cou dans tous les sens pour essayer de bri­ser sa coquille pour en sortir. Dès qu’ils sont un peu plus grands, les portes leur sont ouvertes sur l’extérieur. « Il faut les surveiller sans cesse, faire attention à ce qu’il n’y ait pas trop d’herbe ou de cailloux, veiller à tondre et ratisser le terrain, car ils sont petits, ne savent pas se rationner et risquent l’occlusion ! » A partir de trois mois, les oiseaux, beaucoup plus résistants, sont placés dans des abris ouverts avec vue sur la verdure pour grandir à leur aise

A quelques mètres de la garderie, les autruches adultes sont bien plus sûres d’elles. A gauche, une est enfouie dans un grand trou, certainement en train de pondre. A droite, une autre, plumage noir et cou dénudé, est en patrouille. Elle s’approche du grillage, bec en avant, pour défendre son territoire.

Elevage d’autruches, un business florissant
La viande des autruches est faible en graisse et en cholestérol, mais riche en protéine. (Photo: Mohamad Abdou)

D’habitude, les autruches sont abat­tues à l’âge de 12 et 16 mois, dans la ferme qui dispose d’un abattoir. « La viande d’autruche a le goût de la viande de boeuf. Elle contient beaucoup de valeurs nutritives: Protéines 22,07g; lipides 3,19g; glucide 0 g. A comparer aux autres viandes. certains morceaux de viande d’autruches sont pauvres en matières grasses (infé­rieures à 1%) et en cholestérol. Elle est considérée comme l'une des viandes les plus saines. Le filet d’autruche est la partie la plus maigre de cet oiseau, les steaks, rôtis et médaillons d’autruche sont un peu plus gras, jusqu’à 3% de matière grasse », précise fièrement Talaat Al-Cheikh, responsable auprès de la faculté d’agronomie à l’Universi­té de Sohag. Selon Ahmad Abdel-Hafiz, cardiologue, la viande d’au­truche présente beaucoup d’avantages : riche en protéines et donc efficace pour augmenter la masse musculaire, riche en fer, elle aide au maintien des cellules saines, encourage la distribution de l’oxygène dans le sang, augmente le niveau d’énergie et le maintien d’une vie active. Faible en calories, elle est idéale pour réduire la prise de poids ; moins de gras saturés permet de main­tenir un coeur en santé. C’est la raison pour laquelle ceux qui souffrent de maladies cardiaques préfèrent consom­mer de la viande d’autruche. « J’ai l’habitude de venir dans cette ferme une fois par mois pour acheter 5 kilos de viande d’autruche. Mon mari a subi trois opérations du coeur. Son cardiolo­gue lui a conseillé de suivre un régime alimentaire », dit Nagwa Youssef, 65 ans et femme au foyer. Elle poursuit que pendant les trois mois (novembre, décembre et janvier), elle se rend à la ferme pour acheter un stock de 15 kilos en attendant la période de reproduction et d’abattage.

Les élevages d’autruches sont consi­dérés comme les projets les plus ren­tables, surnommés souvent les « fermes de l’avenir » en raison de la grande variété de leurs produits (viande, cuir et plumes), de leur efficacité de produc­tion et de reproduction, et de leur renta­bilité potentielle élevée. Là, le gagne-pain est bien réparti et tout le monde en tire profit.

La quarantaine, Nader Abadir inau­gure son restaurant qui présente de la viande d’autruche, que l’on peut manger en steak, en rôti, en pâté, accompagnée de légumes. C’est une assiette très bien soignée. Il voit que les clients apprécient cette viande très tendre, au goût du boeuf. « Le temps où l’on disait je ne pourrais jamais manger ça est bel et bien révolu ! », dit-il avec fierté .

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