Dès le coucher du soleil, le jour du jeudi saint, il règne une ambiance festive dans les rues étroites et serpentées du quartier d’Al-Daher. Le brouhaha des visiteurs, tous âges confondus, domine l’ambiance. Ces derniers se déplacent d’une église à l’autre. Des chrétiens de toutes les confessions sont là pour faire revivre la tradition de « la visite des 7 églises ». Une coutume mais aussi un héritage qui se transmet d’une génération à l’autre et qui consiste à faire le tour des 7 églises et y faire une prière. Un pèlerinage symbolique qui coïncide avec le jour du pèlerinage à Jérusalem. « C’est un rite qui n’a aucune connotation religieuse, mais plutôt une pratique spirituelle que l’on suit depuis longtemps pour essayer de suivre les étapes que Jésus a vécues avant sa crucifixion », dit Nadi Bouchra, responsable au Collège de la Sainte-Famille, Jésuites, à l’intérieur duquel se trouve la chapelle des pères jésuites, datant depuis l’année 1879 et qui est l’une des stations les plus importantes de la visite.

Le rassemblement social compte aussi lors de la visite des 7 églises.
(Photo : Moataz Abdel-Haq)
Les mesures de sécurité sont importantes dans le quartier: toutes les rues et ruelles intérieures sont cernées par des barrières en fer pour empêcher les véhicules de circuler, les portes des églises sont équipées exceptionnellement de portiques de sécurité et des policiers en groupe se tiennent devant chaque église. Des mesures de sécurité bien strictes, car les églises ont été à plusieurs reprises la cible d’actes terroristes après la révolution de 2011.
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Se rappeler les souffrances du Christ

La famille de Moheb, lors de la visite de l'église des Jésuites.
(Photo : Moataz Abdel-Haq)
Anne, Caïphe, Sanhédrin, Pilate, Hérode, Pilate sont les six endroits à Jérusalem où Jésus-Christ a fait escale après son arrestation jusqu’à sa crucifixion sur la montagne de Golgotha, qui sera la septième et dernière escale sur le chemin de la croix. Ces événements se sont déroulés en un seul jour qui a débuté après le coucher du soleil du jeudi saint jusqu’au lendemain. « La journée commençait au coucher du soleil et non pas à l’aube selon les croyances juives », explique Bouchra. Cette pratique reconstitue le parcours du chemin de la croix et le chiffre 7 des églises évoque les sept douleurs du Christ.
Dès 19 heures, les foules commencent à faire leur apparition. Ils arrivent soit en groupes, en familles ou en couples. Une fois la messe ordinaire terminée, les églises commencent à accueillir les visiteurs du jeudi saint, ou jeudi des sacrements. « Ce n’est pas une obligation religieuse, mais juste une pratique spirituelle que nous avons l’habitude de faire et qui nous aide à nous souvenir des souffrances subies par le Christ avant d’être crucifié », dit Adib Abou-Negm, ex-consultant juridique, à la retraite actuellement. Ce dernier qui réside à Daher attend avec impatience cette occasion pour revoir ses amis et ses cousins qui viennent chaque année visiter des églises.

L'église des Jésuites, qui date de 1879, est l'une des principales stations lors de la visite des églises à Al-Daher.
(Photo : Moataz Abdel-Haq)
En fait, chacun a la liberté de choisir l’une des 7 églises qu’il préfère, et peu importe l’endroit. Cependant le quartier d’Al-Daher reste le lieu qui témoigne le plus de ce rite de la visite des 7 églises. Cela est dû, comme l’explique Najat Hanna, au grand nombre des églises qui existent dans ce quartier et qui représentent toutes les confessions.
De plus, les églises sont très proches l’une de l’autre, alors il est facile de s’y rendre à pied et faire le tour rapidement. « Catholiques ou orthodoxes, grecs catholiques ou orthodoxes syriaques, et d’autres se rassemblent dans leurs églises et visitent d’autres dans une scène qui rassemble tous les chrétiens en même temps et au même endroit. C’est une bénédiction », dit Najat Hanna, 53 ans, venue avec sa famille d’Héliopolis.
Cependant, on peut rencontrer d’autres personnes qui sont là pour visiter une ou deux églises seulement et se rendent dans d’autres, situées plus loin. Anis Karam, 60 ans, est parmi ces derniers. « Il faut vraiment sentir la fatigue et déployer d’énormes efforts, si l’on veut vraiment ressentir les douleurs du Christ », ainsi pense Karam qui a choisi d’autres églises situées dans différents endroits au Caire. Les quartiers de Choubra et du Vieux Caire sont également parmi les endroits de prédilection des fidèles du jeudi saint, car c’est là où l’on trouve le plus grand nombre d’églises dont certaines ont accueilli la Sainte Famille lors de sa visite en Egypte.
« Pour entamer une nouvelle vie, il faut d’abord passer par la souffrance », répète Magdi Ayas qui se présente comme un fervent croyant de l’Eglise catholique grecque. Il a sa propre version concernant la visite des 7 églises. Il explique que c’est en fait la célébration des sept sacrements de l’église. D’autres disent que c’est pour imiter la Vierge Marie qui a visité 7 synagogues après la crucifixion de son fils. Il y a ceux qui considèrent que ce petit pèlerinage effectué symboliquement permet de faire le tour de différentes églises et donc du monde entier.
En effet, chaque basilique représente un patriarcat et symbolise également une partie du monde. « Quelles que soient les histoires qui poussent les chrétiens à se rendre dans 7 églises, l’important c’est le but de la visite qui est un moyen de nous consoler et de consolider notre foi », dit Ayas en affirmant qu’en général, le chiffre 7 a une valeur biblique symbolique forte. Ce ne sont pas seulement les sept jours de la création du monde, mais également les sept miracles de Jésus-Christ et les sept paroles de Jésus sur la croix. En fait, c’est Saint Philipe Néri, l’apôtre de la joie, qui a institué le pèlerinage des 7 églises en 1540, et cette pratique persiste jusqu’à présent. Elle a été ramenée en Orient par des prêtres et des évêques qui ont fait leurs études à Rome.
Socialiser aussi

(Photo : Moataz Abdel-Haq)
Après avoir terminé sa prière, Marie plie les papiers sur lesquels les sept courtes prières sont inscrites et dont elle doit réciter une dans chaque église. Elle rejoint une table installée dans la cour devant la chapelle et reste avec d’autres femmes à papoter avec gaieté. D’autres tables sont réservées aux hommes, des adultes, des jeunes et des enfants dans une scène qui ressemble à celle des clubs sociaux. « On profite de cette occasion non seulement pour renforcer notre foi, mais aussi pour se rencontrer et passer un petit moment agréable avec des gens que l’on ne voit pas souvent », dit Marie qui donne un rendez-vous annuel à ses voisins d’antan et ses cousins pour se retrouver à l’église chaque jeudi saint. En fait, le côté social de la visite est aussi important que le côté spirituel, comme l’explique Juliana Joseph, 25 ans. Elle vient exprès, bien sûr pour prier, mais aussi pour rencontrer ses amis dans une atmosphère différente et connaître une expérience différente. « C’est agréable de passer du temps ensemble dans les lieux saints », dit Juliana.
Quelques minutes avant minuit, la famille de Moheb fait irruption dans l’église des pères jésuites que la plupart préfère visiter en dernier, étant donné qu’elle ferme ses portes assez tard, ce qui n’est pas le cas des autres églises. Moheb, copte orthodoxe, a souvent accompagné ses amis catholiques lors de leurs visites des 7 églises, pendant qu’il était élève au cycle secondaire. Et, depuis qu’il s’est marié, il a continué à suivre cette pratique spirituelle qu’il apprécie énormément. « Le fait de prier dans 7 églises différentes enrichit notre expérience personnelle, puisqu’on fait la connaissance de nouvelles personnes dans chaque église, et donc s’ouvrir à d’autres cultures », dit Moheb.
Les gens commencent à quitter le lieu pour se préparer au lendemain qui est le vendredi saint. C’est le jour de la crucifixion de Jésus-Christ. Les églises rouvrent leurs portes le matin et les fidèles se rassemblent pour assister à un spectacle organisé par les membres du scout: ils jouent des mélodies tristes en frappant des tambours tout en s’avançant vers le cercueil symbolique du Jésus-Christ. La journée se termine ainsi et les gens rentrent chez eux avec une dose de spiritualité assez puissante qui leur suffira jusqu’à l’année suivante .
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