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Lutter contre la faim autrement

Manar Attiya, Dimanche, 22 octobre 2017

« Zéro faim » est un programme de la FAO visant à améliorer la sécurité alimentaire dans les villages pauvres de la Haute-Egypte. L’objectif étant d’être à l’abri de la faim d’ici 2030. Reportage au village Manchiyet Abdel-Samad, à Béni-Soueif.

Lutter contre la faim autrement
« Zéro faim » discute toutes les difficultés qui sont en étroite relation avec la femme. (Photo : Mohamad Abdou)

Plus de 35 paysans, tous âges confondus, habillés en djellaba, sont assis à même le sol, d’autres arrivent en masse et tentent de se frayer un chemin et trouver une place où s’asseoir. Installés les uns à côté des autres, ces paysans sont là pour apprendre comment obtenir un meilleur rendement et augmenter leurs revenus. Ces agriculteurs suivent des cours hebdomadaires, et ce, pour une durée de quatre mois (du début de la période de plantation jusqu’à la récolte). La scène se déroule en pleine campagne, dans le village de Manchiyet Abdel-Samad, situé à Béni-Soueif (100 km au sud du Caire), où est basée l'une des écoles communautaires mises en place par l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Hadj Ali Zaki, qui possède 3 feddans, a toujours utilisé une méthode de culture traditionnelle (20 et 25 cm entre un plant et un autre avec des sillons de 60 cm de largeur). Il voudrait essayer une nouvelle méthode (30 et 35 cm entre un plant et un autre et des sillons de 70 cm de largeur) et a réservé un demi-feddan pour entamer l’expérience (un quart de feddan cultivé à l’ancienne et le reste pour tester la nouvelle méthode).

Comme tous les autres agriculteurs, hadj Ali hésitait à appliquer le nouveau procédé, craignant les risques. Mais en faisant l’expérience, il a compris qu’il avait tort. « En comparant les deux méthodes, j’ai constaté que les poivrons cultivés à l’ancienne ont la peau flétrie et portent des taches brunes, et au moment de la récolte, je remplis l’équivalent de 2 sacs de jute en une semaine (soit 50 kilos par sac). Tandis qu’avec la nouvelle méthode, la peau du poivron est ferme, lisse et brillante, et donc plus saine, et nous obtenons à la cueillette 20 sacs remplis de poivrons chaque semaine », précise hadj Ali avec un sourire radieux. Il ajoute que depuis, ses revenus ont augmenté, car la tonne de poivrons cultivés en suivant le nouveau procédé est vendue à 3 000 L.E., tandis que l’ancienne ne lui rapportait que 1 000 L.E.

Plus de 2 000 villages concernés

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Près de 60 % de la population de la Haute-Egypte vivent en dessous du seuil de pauvreté, un taux supérieur que la moyenne nationale. (Photo : Mohamad Abdou)

En fait, la FAO a créé trois écoles communautaires dans le gouvernorat de Béni-Soueif, dont la première se trouve à Manchiyet Abdel-Samad, la seconde au village Katane et la 3e à Behnamou. L’objectif étant d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des familles qui habitent dans les zones rurales. Ce projet intitulé « Amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages », lancé par la FAO, est une expérience inhabituelle pour les femmes et les hommes en Haute-Egypte. Ce programme touche 2 654 villageois à Manchiyet Abdel-Samad. « 398 jeunes apprennent comment cultiver des pommes de terre, des tomates, des aubergines, des gombos et des poivrons. 723 femmes au foyer, fermières et ouvrières, s’initient à l’élevage de la volaille. 577 femmes sont sensibilisées sur l’importance de réduire leur insécurité alimentaire par le biais de microprojets. 457 villageoises apprennent l’art de cuisiner. 260 autres apprennent comment faire des conserves de légumes. 239 veuves et soutiens de familles apprennent comment concevoir des modèles de jardins communautaires », déclare avec précision Dr Zahra Saleh, directrice du projet, travaillant auprès de la FAO. « Amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages », dont le coût est estimé à 3,5 millions de L.E., est financé par l’Agence italienne de coopération au développement. Il est appliqué dans cinq gouvernorats : Assiout, Assouan, Béni-Soueif, Fayoum et Sohag, et vise à atteindre, d’ici 2030, l’objectif « Zéro faim ».

15 écoles ont été ouvertes, soit deux ou trois au sein de chaque gouvernorat, pour initier surtout les femmes aux techniques de traitement d’aliments à la maison, la sécurité alimentaire et les régimes alimentaires sains, basés sur des fruits et légumes récoltés dans les champs ou les jardins potagers. Sept modèles de jardins communautaires ont été créés pour enseigner aux femmes comment cultiver des plantes plus rémunératrices, varier leurs menus et ne plus compter sur les marchés locaux en matière de nourriture.

Potagers sur les toits

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15 écoles communautaires ont été ouvertes en Haute-Egypte. (Photo : Mohamad Abdou)

Dans ce village, ce sont les femmes qui sont chargées de cultiver sur les toits de leurs modestes maisons. Une fois sur place, la scène est impressionnante, l’espace ressemble à une prairie verdoyante perchée sur le haut de la maison. « Pour nous, cette culture sur les toits a changé notre vie. Non seulement on plante des légumes pour subvenir aux besoins de nos familles, cela nous pousse aussi à consommer de la nourriture saine », confie Noura Ibrahim, villageoise de 42 ans, tout en arrosant ses légumes sur le toit de sa maison au village Manchiyet Abdel-Samad. « Je suis heureuse d’avoir un espace vert sur ma terrasse. Cela me permet de nourrir mes enfants avec des légumes frais et vendre le reste pour gagner un peu d’argent, surtout en cette période de crise économique qui touche notre pays », poursuit Noura, qui n’avait même pas les moyens pour inscrire ses enfants à l’école.

Selon un rapport conjoint du Programme Alimentaire Mondial des Nations-Unies (PAM), de l’Organisme central pour la mobilisation et le recensement (CAPMAS) et de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRIE), ces dernières années, la pauvreté et l’insécurité alimentaire se sont aggravées en Egypte. C’est la raison pour laquelle le projet a commencé dans les gouvernorats et les villages les plus démunis de l’Egypte. « Cette augmentation de la pauvreté est due à une succession de crises depuis 2005, notamment l’épidémie de grippe aviaire en 2006, les crises alimentaires, énergétiques et financières entre 2007 et 2009 et un environnement macroéconomique difficile après la révolution », précise Abdel-Salam Ould Ahmad, sous-directeur général et représentant régional auprès de la FAO. Dr Zahra poursuit : « La pauvreté et l’insécurité alimentaire qui s’ensuit enregistrent des taux plus élevés que la moyenne nationale dans les zones rurales en Haute-Egypte : près de 60 % de la population en dessous du seuil de pauvreté en Haute-Egypte, contre 42 % pour l’ensemble du pays ».

Tout cela a incité les responsables à effectuer une enquête sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle et préparer un tel projet. « J’ai posé un jour la question suivante à un fellah saïdien : Combien de jour tu t’es endormi sans manger ? Il m’a répondu : Pour moi, l’essentiel, c’est mon fils de 5 ans. Je dois me débrouiller pour qu’il ait quelque chose à se mettre sous la dent, car il souffre de malnutrition », rapporte Darine Al-Khatib, ambassadrice de bonnes volontés auprès de la FAO pour le programme « Zéro faim » au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Et il n’est pas le seul. Bahiya, 5 ans, souffre de malnutrition aiguë. « Ma fille n’a pas assez de force pour jouer avec ses amies du même âge. Ses facultés intellectuelles sont diminuées. Au début, je ne connaissais pas les raisons de ses fatigues, mais avec le temps, j’ai commencé à découvrir que c’est à cause de sa malnutrition. Faute d’argent, elle ne mange que du pain baladi et des pâtes, et boit beaucoup de thé rouge. Elle ne mange ni légumes, ni fruits », confie Oum Bahiya, très affligée par la mauvaise santé de sa fille.

Cuisines communautaires

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La culture sur les toits a changé la vie des habitants. (Photo : Mohamad Abdou)

Essayant de mettre fin à ce problème de santé et de vie, le programme de la FAO « Zéro faim » a discuté de toutes les difficultés qui sont en étroite relation avec la femme, les enfants et la pauvreté, surtout en Haute-Egypte. Les responsables du projet ont réussi à créer 15 Cuisines communautaires, deux ou trois dans chacun des cinq gouvernorats de la Haute-Egypte. Dans ces cuisines, les femmes apprennent des techniques de préparation, stockage et de conservation des aliments.

Noura Ibrahim a appris comment préparer des conserves de tomates toutes fraîches. « C’est rapide à réaliser et pratique pour préparer les sauces tomates, car hors saison, on ne trouve que des tomates cultivées en serre, sans goût et dont le prix est élevé », dit Noura. Cette dernière coupe les tomates en deux, en retire les pépins ainsi que l’eau qu’elles contiennent, puis les jette dans une grande marmite, ajoute de l’eau et du sel et porte le tout en ébullition. Et hop ! Tout est fini en 15 minutes. Elle les verse dans des bocaux en verre pour les utiliser dans diverses préparations ou les vendre. Depuis, elle apprend à ses voisines comment préparer de la sauce tomate. « Cela ne coûte pas cher, c’est sain, naturel et frais et exempt de produits chimiques », explique-t-elle à ses voisines et à toutes celles qui veulent apprendre à préparer des plats sains et savoureux.

Comme toutes les autres femmes qui participent à la préparation de mets à base de légumes frais, Noura prépare également de la confiture de fraises et d’oranges et des pâtes salées et sucrées. « Simple, rapide et facile à réaliser. Mais l’important pour toutes ces femmes, c’est d’écouler leurs produits à des prix abordables », dit l’ingénieur Hossam Métwalli, qui travaille auprès du directorat agricole à Béni-Soueif.

Ainsi, il s’agit de lutter à la fois contre la sous-nutrition et la malnutrition, notamment en initiant les paysannes, notamment celles de la Haute-Egypte, à l’importance de manger plus équilibrement, surtout lorsque l’on sait que l’alimentation de cette catégorie est faite à 70 % de pain .

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