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Victoire salvatrice pour toute une génération

Hanaa AI-Mekkawi, Lundi, 16 octobre 2017

Bien plus qu'un exploit sportif, la qualification au Mondial 2018 représente pour la génération née dans les années 1990, celle qui n'a jamais vécu une participa­tion de l'Egypte à la Coupe du monde, un signe porteur d'espoir. Et pas seulement pour le foot.

Victoire salvatrice pour toute une génération
Les jeunes ne cachent pas leur joie.

Que ce soit dans les cafés, à la maison ou au travail, presque tous les Egyptiens ont suivi le match décisif Egypte-Congo avec beaucoup d’enthousiasme. Dès que l’arbitre a annoncé la fin du match, les sons tonitruants des trompettes, des tambours et des klaxons ont envahi les rues des villes et villages de toute l’Egypte où des milliers de personnes se sont rassemblées pour fêter la qualification des Pharaons. C’est Mohamad Salah qui a offert le but libérateur sur un penalty dans le temps additionnel, à deux minutes de la fin du match. L’Egypte, absente de la Coupe du monde depuis 1990, a validé son billet pour le Mondial 2018. Un événement attendu depuis longtemps. Une joie pour tous les Egyptiens, toutes catégories confondues. Cependant, ce qui a attiré l’attention, c’est la génération née dans les années 1990. Ces jeunes qui n’ont jamais vécu un tel événement. Car cette victoire représente beaucoup pour ceux qui n’ont jamais vu l’Egypte au Mondial.

A l’exemple de Ramy. Né en octobre 1990, ce dernier est entré dans le monde du foot, encouragé par son père. Supporter de l’équipe de Zamalek depuis l’âge de 8 ans, il n’a jamais raté un match de l’équipe nationale et est fier de ses exploits réalisés en Coupe d’Afrique. Mais son rêve était de voir cette équipe accéder au Mondial. Mais au cours des dernières années, la déception était toujours au rendez-vous. Cette fois, Ramy et ses copains se sont réunis chez l’un de leurs copains pour suivre le match décisif, le coeur rempli d’espoir. Un espoir qui s’est enfin réalisé après plus de 90 minutes de jeu, de tension, de stress, de cris hystériques qui se sont mêlés aux pleurs de joie, aux rires et aux danses.

« Je suis fier et submergé par la joie. J’attends que cette équipe réalise de bons scores au Mondial », lance Ramy. Pour lui et ses semblables, c’est une expérience nouvelle, presque insolite. Tout ce qu’ils savent sur les anciennes participations de l’Egypte au Mondial leur a été raconté. Ils ont entendu des histoires ou des anecdotes racontées par des personnes plus âgées qui n’hésitaient pas à faire des commentaires à ce sujet. Mais eux n’ont aucun souvenir de tout cela, et ont dû patienter 27 ans, vivre les 6 éliminations en 1994, 1998, 2002, 2006, 2010 et 2014. Autant d’échecs qui ont fait perdre espoir à cette génération de voir un jour leur rêve se réaliser.

Nader est né en 1991 et travaille dans une société de télécommunications. Il parle comme un expert décrivant la souffrance qu’il a éprouvée à chaque fois que l’équipe égyptienne tentait de se qualifier en Coupe du monde. « J’ai suivi les qualifications en 2009 et en 2013, et à chaque fois, j’ai été déçu. Lors de ces matchs d’élimination, nous passions notre temps, mes amis et moi, à calculer les points et les perspectives d’élimination pour connaître le résultat qui pourrait nous aider à accéder à la qualifi­cation, y compris avec quelle équipe jouer pour la vaincre et ainsi de suite », dit Nader, en ajoutant que d’après son point de vue, si l’Egypte a été qualifiée cette fois, c’était parce que l’entraîneur de la sélection avait choisi la tactique adéquate pour remporter

la victoire. Ce qui n’était pas le cas avant : l’équipe nationale jouait en s’appuyant sur les talents et l’habileté des joueurs que les spectateurs égyptiens aiment voir. Mais dans de tels matchs décisifs, poursuit Nader, il est préférable de laisser tomber la beauté du jeu et se concentrer seulement sur les possibilités de remporter la victoire, et peu importe ce que peuvent penser les fans du foot.

Les réseaux sociaux enflammés

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Actuellement, Nader tente de s’organiser pour partir en Russie, c’est-à-dire suivre son équipe et l’encourager. En fait, l’Egypte n’a participé au Mondial qu’à deux reprises : en 1934, en étant le premier pays africain à participer à la Coupe du monde, et en 1990. Si participer au Mondial en Russie en 2018 est le rêve de tous les Egyptiens, c’est sur­tout la génération 1990 qui a été la plus concernée, la plus influencée et la plus expressive en ce qui concerne cette dernière victoire. « Cela signifie beaucoup pour nous », dit Ali, 20 ans, d’une voix cassée à force d’avoir hurlé au Stade de Borg Al-Arab à Alexandrie où il est parti spécia­lement pour encourager l’équipe nationale. Ali rappelle que les Pharaons ont même disparu de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), après des victoires consécutives jusqu’en 2010. Ses copains et lui attendaient donc que l’eau stagnante bouge.

Suite à la victoire, les commentaires ont fusé sur les réseaux sociaux. On pouvait lire par exemple : « L’Histoire va témoigner que c’est cette génération qui a permis à l’Egypte de se qualifier de nouveau au Mondial. Arrêtez donc de vous moquer de nous s’il vous plaît », une citation parmi tant d’autres publiées sur Twitter. Plusieurs internautes ont envahi le site de conversa­tions lors des qualifications comme : #le mondial notre équipe, #la coupe du monde et #leader-twitter-followers-Russie, qui invitait les gens du monde entier à encoura­ger la sélection nationale. Des blagues et des caricatures ont envahi Facebook et Whatsapp. Des campagnes publicitaires ont été diffusées à la télé et à la radio délibéré­ment pour montrer que les jeunes nés dans les années 1990 sont aujourd’hui des adultes qui ont longtemps attendu un tel événement et méritaient de voir l’Egypte participer au Mondial.

Au-delà de la victoire

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Mohamad Salah, l'auteur de la victoire.

Or, au-delà de l’événement sportif lui-même, la qualification à la Coupe du monde signifie beaucoup. « Cela tombe à pic, c’est une aubaine pour nos jeunes, un traitement, un booster, un anti-dépressif alors que les jeunes sont angoissés et déprimés à cause des conditions difficiles qui les entourent. Je peux affirmer que je vois de plus en plus de jeunes âgés de 18 et 19 ans atteints de dépression », dit la psychologue Nada Adel. En effet, cette génération, née au début des années 1990, a grandi dans les années les plus difficiles. Ces jeunes ont grandi en entendant parler de la corruption et du manque de services essentiels. Puis, ils ont vécu la révolution populaire annonçant la fin de l’ère Moubarak et à laquelle ils ont participé, aspirant au changement de leur situation pour un avenir meilleur. Mais quelques années plus tard, ils se sont retrou­vés avec pas grand-chose entre les mains. « Les jeunes de cette génération sont comme coincés, pris au piège entre, d’une part, le monde virtuel où ils vivent, où ils s’expri­ment librement, se laissent aller, et d’autre part, la réalité. Une réalité difficile qu’on leur demande d’accepter, alors qu’ils ont une énergie débordante et qu’ils veulent l’exploiter. Résultat : les déceptions s’accu­mulent les unes après les autres », explique la psychologue.

S’identifier aux héros

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La qualification au Mondial, un rêve très attendu par les générations des années 1990.

Résultat, le foot devient le rêve, l’échappa­toire où l’on déverse le surplus d’énergie, ne serait-ce qu’à travers un écran. Selon Nada Adel, le foot est la seule chose qui rassemble tous ces jeunes. « Et cet exploit national repré­sente en quelque sorte pour tout un chacun un exploit personnel, un signal pour des jours meilleurs, pour un avenir plus glorieux et moins frustrant », dit-elle. « On avait telle­ment besoin de cette joie, nous, la génération qui a été même privée d’assister aux matchs », affirme ainsi Khaled, 22 ans. Une autre chose qui a accru ce sentiment d’exaltation parmi les jeunes, c’est que les joueurs de l’équipe natio­nale sont eux-mêmes de la même génération. La vedette Mohamad Salah, par exemple, a 25 ans. Une seule exception, le gardien de but, Al-Hadari, qui a 44 ans et qui fait partie de la génération précédente. Autrement, tous ont dépassé la vingtaine de quelques années, ont vécu les mêmes situations, possèdent les mêmes rêves et aspirent au même désir que tous les autres jeunes de leur âge.

En effet, selon le psychologue Nabil Al-Qott, les victoires sportives, notamment quand il s’agit de foot, le sport le plus popu­laire, font le bonheur des peuples du monde entier. Cependant, en Egypte, cette victoire a beaucoup plus de sens, c’est un véritable symbole, car ici les jeunes sont déprimés et pour eux, le foot les a unis encore une fois derrière leur pays. Un sentiment qu’ils vou­laient vivre à nouveau. Al-Qott appuie ses paroles en décrivant la nuit de la victoire lorsque la place Tahrir s’est remplie de jeunes de 18 à 28 ans, en faisant flotter des milliers de drapeaux et montrant leur joie et leur fierté d’avoir accédé au Mondial.

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